Douceur

#11 « Mes yeux la dévorent, la scannent. Impossible de m'en détacher. »

J'ai toujours eu des émotions beaucoup trop fortes. Trop de joie, trop de tristesse, trop de colère... Trop d'amour -sentiment étroitement lié à la haine.
Je passe plus de temps dans ma tête qu'en dehors. Je suis "perchée " comme disent mes potes, mais mon imagination me fait faire des miracles -il faut savoir se valoriser par moment.
J'analyse et sur-analyse en arrière plan, de manière automatique, absolument toutes les situations. J'ai un sens de l'observation extrêmement aiguisé - je suis capable de retenir l'emplacement d'un moindre grain de beauté, et mes sens sont constamment en éveil.
Alors imaginez cinq minutes, à quel point ces facultés peuvent devenir surpuissantes une fois Cupidon sur l'affaire. Les sentiments et l'attirance décuplent les sens.

Janvier 2019, nouveau travail, nouveaux bureaux, nouveaux collègues. Surtout une.

« Enchantée Vi, je suis ta responsable. Nous allons faire le tour des locaaaux ! ». Jamais vu quelqu'un aussi enjoué à l'idée de faire visiter des bureaux. Ses dossiers sous le bras, elle marche d'un pas énergique. Ses boucles rebondissent sur ses épaules, ses chaussures à talons claquent sur le parquet. Un bruit qui a le don de m'insupporter au plus haut point. Comment est-ce possible de se faire remarquer autant en marchant ? Elle ouvre la première porte vigoureusement : « Saaalut les filles ! Je vous présente Vi, elle est nouvelle dans le service. Merci de lui faire un accueil digne de notre équiiiipe ! ». Sourires crispés. En même temps, tout le monde aurait été crispé face à quelqu'un qui met autant de longueur sur les voyelles. Gênante celle-ci.
En parlant de gêne, je le suis tout autant : je dois me présenter. J'entre dans la pièce, regards blasés des deux filles en face de moi, comme si on venait de les couper en plein récit du scoop du siècle. Je lâche un petit « Bonjour... ».

Une voix suave me répond : « Salut. »
Je me retourne. Une troisième personne se tient derrière la porte. Mains dans les poches, adossée au mur. Cheveux aux épaules, demi chignon en bataille sur la tête. Regard noir, mystérieux. Menton légèrement remonté qui lui donne un air dédaigneux. Large t-shirt, sneakers, style bien à elle. Caractère fort, pour sûr.
« Moi c'est Cliff. » Elle se redresse. « Bienvenue. »
Je l'analyse, l'observe dans les moindre détails. Couleur des yeux, coiffure, vêtements, tattoos, piercings. Trop d'éléments. Mes yeux la dévorent, la scannent. Impossible de m'en détacher. Mon cerveau beugue total, obnubilé par elle.

« Elle, si je la vois tous les jours... Ça va pas le faire. »

« Ça va pas le faire », tournure de phrase signifiant que j'allais tout dynamiter.

Spoiler alert : je l'ai vue tous les jours.