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Un coup contre la porte en bois résonne entre les murs. Hinata entre-ouvre difficilement les yeux. Ses fenêtres grandes ouvertes laissent entrer une brise tiède, qui vient caresser ses joues et agiter ses cheveux. Shoyo se laisse faire, et c'est le printemps. Un second coup retenti, et l'encre un peu plus dans la réalité. Il aimerait que tout cela ne soit qu'un rêve. Le toucher d'Atsumu était semblable à celui du vent. Il se lève, enfile un short et un t-shirt à la va-vite.

- Shoyo, c'est moi, Osamu, lance alors une voix à travers la porte.

Shoyo a toujours trouvé ça fantastique, la manière dont la lumière, le son, transperce toute matière. Il n'y a donc pas de mur infranchissable.

Sur le seuil, Osamu le dévisage. Il est plus grand que lui, beaucoup plus grand même. Son regard est un peu plus doux, un peu plus calme que celui d'Atsumu. De la main droite il porte un sac en papier. Les effluves qui s'en échappent mettent rapidement Hinata sur la piste de l'identité du contenu. Il s'efface pour le laisser entrer.

- Kita s'excuse de ne pas avoir pu venir, mais il fallait quelqu'un pour faire tourner le magasin.

- Aucun problème. Je suis surpris que tu sois venu me voir en personne, lui dit-il sans le regarder.

Osamu lui tend le sac de victuailles, et Shoyo va le déposer sur le plan de travail.

- Je peux ? Demande Osamu en indiquant une chaise dont l'assise est obstruée par un amas de livres.

- Bien sur !

Hinata s'empresse de dégager le siège en entassant les livres sur son bureau. L'équilibre du monticule tient à un file. Il ferme les fenêtres, et c'est comme refermer un rideau sur cette scène. Ils sont à l'intérieur, isolé.

- J'aurais dû te le dire, commence Osamu d'une voix enrouée.

- Quoi donc ?

- Pour Kaya. J'aurais dû te dire. Peut-être que tu l'aurais sauvé.

- J'en doute, murmure Shoyo.

Osamu se prend la tête entre les mains. Ce geste lasse et tourmenté fait frissonner son interlocuteur.

- Je t'en ai voulu.

- Je sais.

Il extirpe une enveloppe de la poche kangourou de son blouson. La tend à Shoyo, le regard contrit. Il l'ouvre grossièrement, la déchire presque dans sa précipitation fébrile. Shoyo en extirpe une lettre, d'où tombe un anneau. Le bruit de sa chute ne traverse pas les murs ; il ricoche et sature l'ouïe du rouquin.

- Il a laissé ça, dans le grenier.

- Depuis combien de temps...? Souffle Shoyo, les yeux écarquillés.

- Quelques semaines.

Il hésite à lire.

"Shoyo,

Je t'aime, tu le sais n'est-ce-pas ? Comme tu vas m'en vouloir. Parfois, et contrairement à ce que je t'ai appris (!), l'amour ne suffit pas à rendre l'existence plus douce. Pour moi, en tout cas, ça n'a pas marché. Ne crois surtout pas que ce soit de ta faute : tu m'as aimé comme personne ne m'a jamais aimé. Tu m'as chéri, et malgré tout ce que nous avons traversé, je crois toujours dur comme fer que je ne te mérite pas. Je me figure ton expression en lisant ces dernières lignes : sévère, presque en colère. Je n'ose pas croire que tu pleureras.

J'ai tué ma sœur. Si je n'avais pas été si égoïste ce jour-là, si j'avais eu le réflexe de fermer ce fichu portail, si j'étais resté avec Kaya, rien de tout cela ne serait arrivé. C'était mon rôle, j'y ai failli. J'ai entendu le choc, les cris qui ont suivi. J'aurais tellement voulu que les murs soient infranchissables ce jour-là. Ce son, je l'entends dans mes cauchemars. Ces derniers temps, j'ai même peur de fermer les yeux. Alors je te regarde dormir. Comme tu es beau dans ces moments-là.

Je ne décrirai pas cette scène : celle de son petit corps sans vie. Je crois m'être évanoui, comme le lâche que j'étais. Ma mère, quoiqu'elle en dise, car je sais qu'elle a fait beaucoup d'efforts pour changer cela, en vain, ne m'a plus jamais regardé de la même façon. Cet évènement à accentuer l'humeur placide de mon père. Osamu ne m'a plus admiré. 

J'ai écris une lettre à la police, pour me dénoncer, en disant que j'étais un meurtrier. On ne m'a jamais répondu, jamais convoqué. Ma mère a simplement reçu un appel, un jour d'école, et le soir, son regard s'est figé sur moi. Elle m'a fait peur. En cet instant, je ne savais de quoi elle était capable, que signifiait ce regard. J'ai compris, plus tard, qu'elle s'était convaincu que je n'y étais pour rien, absolument rien. Mais devant le récit détaillé que j'ai exposé dans ma lettre et qu'on lui a lu, où je décrivais ces actions qui avaient eu une si tragique conséquence, elle n'a plus pu se voiler la face.

Je sais qu'elle s'en veut terriblement, de ne pas pouvoir m'aimer comme il se doit.

Ma mort est sans prétention. Je me sens juste lasse, fatigué. J'attends ce nouveau souffle depuis plusieurs années à présent. Je sais qu'il ne viendra plus. Même toi, Shoyo, tu n'as pas pu me le donner. Mais j'en ai eu l'impression. Tu es ma raison de me lever le matin.

A présent, j'aimerais te confier une mission. Shoyo, sauve ma famille.

Je ne devrais pas t'impliquer, je sais que c'est une demande terriblement égoïste. Mais je t'en pris. Au moins Osamu. Reste en contact avec lui, aime-le pour moi. Tout cet amour que tu as emmagasiné, utilise-le. Ne le laisse pas flétrir dans un coin, pourrir au fond de toi. N'en fais pas le deuil, car il n'est pas mort. Il subsiste en toi. Tel est mon lègue.

Refais ta vie, sois heureux. Je veux que tu ais des enfants, que tu deviennes vieux et grisonnant, courbé sur une canne, à regarder tes arrière petits enfants jouer. Sois présent pour mes neveux et nièces, sois l'oncle, le fils, le frère, que je ne serais plus.

Je t'aime, et ma dernière pensée sera pour toi.

Atsumu Miya"

Ils se regardent un long moment. Shoyo tend d'une main tremblante la lettre, qu'Osamu lit lentement, décortiquant chaque mot. Au sol, l'anneau projette des lumières dorées sur les murs.

Atsumu Miya appartient à Shoyo Hinata.

Under the same sky ||AtsuHina||Où les histoires vivent. Découvrez maintenant