Maelyan Holrol ne prenait même plus la peine de relever la tête. Il savait que son regard buterait systématiquement sur les cimes fermant le paysage en un véritable mur de pierres et de conifères. L'homme d'une trentaine de cernes avançait difficilement depuis plusieurs jours dans ce décor monotone, noyé au milieu d'arbres de roches et de malicieux cailloux semblant prendre un malin plaisir à glisser lorsqu'il posait le pied dessus. Il s'efforçait de grimper tout en pestant contre la torture que ses mollets et ses cuisses lui faisaient subir à chaque pas. Redoutant le suivant un peu plus que le précédent, lorsque son pied touchait le sol, il ne pouvait réprimer un rictus de douleur lui déformant le visage déjà rougi par l'effort. Maelyan prenait son mal en patience, ne pouvant s'en prendre qu'a lui-même, il avait conscience qu'il aurait dû prendre plus de repos avant de recommencer sa folle ascension. Fixant le sol pour essayer de déjouer les tours que les espiègles pierres ne cessaient vouloir lui jouer et malgré la souffrance due à sa pénible montée, Maelyan ne ménageait pas ses efforts pour faire à chaque fois une enjambée de plus lui tirant inexorablement un juron involontaire. Il savait cependant qu'une fois cette cime franchit, d'autres se dresseront devant lui dans un signe de défi. Il lui faudrait encore en gravir bien des semblables pour retrouver, enfin, un terrain moins accidenté et plus accueillant.
"Bientôt, se disait-il en serrant les dents, j'aurai franchi la Ceinture de Thar. Il ne me restera plus qu'à descendre et tout devrait se passer sans problème". Essayant de se donner du courage afin de ne pas penser à la sensation de faiblesse grandissante en lui. Maelyan sentait l'intensité du Don baisser au fur et à mesure de sa progression. Plus il avançait, plus le Don habituellement bouillonnant dans ses veines à tout instant, se réduisait à un bien triste frémissement peinant à se faire ne serait-ce que sentir lors de rares pulsations. La chaîne de montagne qu'il traversait, hostile et froide, l'éloignant du Don et donc faisant décroître sa force vitale tentait de le persuader pas après pas qu'il n'était pas censé être ici le pressant de faire demis-tour afin d'embrasser de nouveau le sentiment de puissance que l'on oubliait si facilement lorsque tous les jours il battait fortement au même titre que le sang parfois audible et palpable au niveau des tempes.
Maelyan avait entendu raconter qu'il n'y avait ni homme ni femme partageant sa singularité par-delà les Hautes-Rocheuses. Cela le tracassait et le rongeait petit à petit pendant qu'il marchait, si le Don devenait plus puissant grâce à la présence et l'unicité des autres personnes qui le possédaient, il savait qu'il se dirigeait vers un endroit où il ne pourrait pas ou très peu l'utiliser. Il espérait qu'après toutes ces années de séparation malgré les récits des rares compteurs et aventuriers qui prétendaient s'y être aventurés, les habitants reclus derrière les montagnes ne représentait plus de danger. Il essayait de se persuader que ce qu'il craignait n'était que des rumeurs issues d'un temps révolu. Le téméraire grimpeur avait à l'esprit que si malgré tout le Don n'était pas présent au sein des populations au prime abord austères (pour ne pas dire pire), qu'en s'avançant seul derrière la ceinture de Thar il ne serait qu'un homme sans plus de défense que la misérable épée décorative, richement décorée, lui ceignant le flanc.
Le grimpeur tentait de rester concentré sur le seul objectif de son périple : son vieux dragon. Croc-Noir servait loyalement la famille Holrol depuis plusieurs générations ne partant jamais loin d'eux et restant à leur écoute. Pourtant, alors qu'ils longeaient ensemble la frontière entre les Hautes-Rocheuses et la Modwatesia, il avait assisté, stupéfait au départ soudain de son compagnon ne répondant plus de rien. Il supposait que la gigantesque bête s'était envolée pour souffler sa dernière flamme, seul, et lui épargner ainsi de longs et terribles moments. Maelyan souhaitait le remercier afin d'honorer toutes les années que Croc-Noir avait fidèlement passées avec ses ancêtres, en l'aidant à diminuer sa souffrance et à l'accompagner avec douceur pour le départ de son grand-voyage. Il savait qu'il devait se dépêcher, les gens d'Au-delà-des Montagnes repéreraient facilement le dragon dû à son imposante stature et d'après ce qu'il lui avait été rapporté, ces majestueuses bêtes n'étaient pas plus les bienvenues que toutes personnes graciés par le Don. En voyant Croc-noir s'envoler vers les Grandes-Rocheuses, comme attiré par quelque chose, les autres membres de l'expédition commerciale à laquelle il participait lui déconseillèrent fortement de s'y aventurer : ne voulant pas risquer de l'accompagner dans un endroit si dangereux pour un dragon qui allait de toute façon mourir.
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Le frémissement des feuilles
FantasiLe vent souffle sur Hyria et ses différents pays comme il a toujours soufflé, pourtant pour quiconque sait écouter, le bruissement des arbres semble chuchoté une sinistre mélodie. Deux sœurs se trouvent prises au piège dans un pays intolérant et ré...