Chapitre 12:

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Rosa reposa brutalement au sol le malheureux panier de linge tout juste enlever du séchoir improvisé du camp et ne put s'empêcher de pousser un plus profond soupir qu'elle ne l'aurait voulue. Le bruit attira le regard intrigué de quelques armures dorées passant par là un gobelet à la main et elle glissa sans s'en rendre compte la main dans ses fins cheveux noirs, déjà délicatement striés de blanc, comme pour souligner subtilement (du moins du point de vue des hommes) leur beauté. Sous leur sourire, sa main descendit toute seule tortiller les fines boucles tombant sur le haut de sa poitrine dont son col dévoilé seulement la naissance. Aussitôt qu'ils furent partis, elle regarda autour d'elle afin de vérifier que personne n'ait remarqué son petit jeu. Ici, elle devait faire attention à ne pas éveiller les soupçons. Les filles de peine au camp ne passaient pas leur temps à se triturer les cheveux ou à battre des cils en regardant ces beaux hommes d'armes.

Oui enfin beau... le secret et d'au moins leur faire croire.

Elle ne put se retenir de rire.

Les bras meurtris à force de battre les draps et de soulever des charges à longueur de journée, Rosa s'efforça de retourner aux séchoirs pour récupérer le reste du linge. Elle passa devant deux dames qui ne la remarquèrent pas, mais ralentit le pas pour les observer.

– Ne m'en parlez pas ma chère. De nos jours, il y a bien assez de ponts pour ce tout cela ne se reproduise pas mais pensez qu'il y a de cela quelques dizaines de cernes seulement...

Une grosse femme en habit de velours sûrement trop léger pour la saison encore fraîche et les cheveux tenus par un fin filet argenté agrémenté de délicieuses perles, discutait avec une de ses semblables se pavanant avec plus de dentelle sur les manches que Rosa ne pourrait jamais s'offrir en tout en vie.

– Oh oui, vous avez bien raison, on compte bien des histoires sur tant de pauvres gens traversant des rivières à pied et surprit par la pluie, en quelques instants emportés sous les eaux.
- Nous pouvons voyager beaucoup plus sereinement qu'auparavant, c'est vrai. On ne peut dignement pas se plaindre de vivre de nos jours quand on y réfléchit. Les dieux sont si bons avec nous, si Thar nous accorde sa grâce en ensoleillant plus chaleureusement notre périple tout sera parfait.
- Les jours se rallongent déjà depuis quelque temps, c'est vrai, mais le soleil tarde à venir. Enfin, s'Ils le veulent, notre voyage sera bien agréable.

Pressant le pas pour s'éloigner au plus vite de ces deux femmes, Rosa se fit violence pour ne pas leur rétorquer le fond de sa pensée. Un voyage agréable pour mes dames ? Elle qui devait trimer le jour et ne se reposait presque pas la nuit pour pouvoir subvenir à ses besoins...
S'il y avait une justice dans ce monde, la pluie tomberait à flots en ce moment même pour les embarquer toutes les deux ! La grosse se noierait à coup sûr au moins et l'autre ferait moins la maligne avec ses broderies trempées et déchirées.

Pour Rosa, il était établi depuis longtemps que la justice ne jouerait jamais son rôle. Sinon comment expliquer qu'une petite fille comme elle, si gentille et ambitieuse soit tombée dans une si mauvaise famille. Si les dieux pouvaient vraiment bénir des personnes ou ce stupide voyage, elle se demandait s'ils ne pouvaient pas tout en autant en maudire. Parfois elle aimait amèrement à croire qu'elle bénéficiait des faveurs sournoises de Misery. Peut-être que son influence sur les hommes devait quelque chose au dieu si énigmatique et cruel ? Après-tout, c'était le seul en qui Rosa, petite, s'était confiée, lui suppliant de gagner en aisance oratoire et de savoir convaincre afin d'être écoutée et de pouvoir de prendre sa vie en main.

N'était-ce pas Sa volonté lorsqu'un jour, fuyant une énième fois les coups de son père, Rosa rencontra Madame Ruby qui s'était proposé de l'accueillir sous son toit et de lui apprendre un métier ? La petite fille alors perdue et confuse y vit l'apparition d'un véritable signe. « Ruby, s'était-elle dite, comme la pierre de Misery ! Un des dieux répond-il enfin à mes appels ? ». Il s'avéra par la suite que Madame Ruby n'avait pas menti, elle lui fournit de la nourriture et un toit sous lequel dormir chaque soir. Plus que tout, en dernier cadeau, elle la nomma Rosa. Un nouveau nom pour nouvelle vie qui commençait. Pour la sécurité et le foyer qu'on lui accordait, Rosa ne ménageait pas sa peine quand il s'agissait de s'occuper de la maison et d'aider en cuisine. Consciente de la chance qu'elle avait, elle ne rechignait jamais sur le travail et se montrait toujours volontaire pour être utile à Madame Ruby. Le jour où elle fut assez grande, d'après celle-ci, pour enfin apprendre à utiliser ses atouts et à devenir une femme, elle lui apprit comment se rendre encore plus utile. Et c'était tant mieux ! Elle en avait alors assez plus qu'assez de récurer les marmites et de vider les pots de chambre à longueur de journées. Son insouciance et sa naïveté perdue depuis longtemps, Rosa savait pertinemment ce qui se tramait dans la maison de Madame Ruby. N'étant point idiote, elle comprenait parfaitement les discussions des autres filles partageant le même toit qu'elle. Une fois complètement devenue femme aux yeux des autres et surtout des hommes, Rosa se lia d'une amitié étrange avec les autres filles de Madame Ruby. Si au début elle crut qu'elles seraient de véritables atouts pour elle et un soutien moral, elle apprit vite que même ici derrière les sourires se cachaient les morsures de la vie. Parfois tendre, parfois jalouses ou même virulentes, Rosa apprit à ses dépens à se détacher d'elles pour survire. Même Madame Ruby, au final, ne lui accordait pas plus d'attention qu'aux autres, Rosa travaillait pour elle et ça s'arrêtait là.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 25, 2022 ⏰

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Le frémissement des feuillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant