𝓉𝓌𝑒𝓃𝓉𝓎 𝓃𝒾𝓃𝑒.

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28 juin 2025, Los Angeles.

Deux mois se sont écoulés depuis cette fameuse journée au cimetière, et ma vie n'a été qu'une suite sans fin d'angoisse et de tristesse. Lorsque nous sommes rentrés du cimetière je me suis murée dans un silence qui a duré des jours entiers. J'ai refusé de voir toutes les personnes qui se présentaient à moi, j'ai même refusé d'aller à mes séances de kiné. Mais Joy n'en a fait qu'à sa tête, elle est venue me chercher tous les matins et m'a poussée dans mes retranchements. Même si je ne parlais pas j'extériorisais ma peine à travers les exercices qu'elle me donnait à faire. Repoussant toujours plus loin les limites de mon propre corps.

Je n'ai pas reparlé ni à Charlie, ni à Owen depuis ce jour-là. Je me rends compte à quel point c'est égoïste de ma part de les exclure de ma vie de la sorte, mais je ne peux pas, je n'y arrive pas. Chaque fois que je me trouve en leur présence des flashbacks des trois dernières années me reviennent en mémoire et me rappellent durent tout ce que j'ai perdu et tout ce que je ne retrouverai jamais.

Le médecin m'a demandé plusieurs fois de leur accorder du temps, pour aider ma mémoire et pour aider mon esprit à retrouver des repères stables, mais c'était trop dur. C'était trop dur de voir les deux personnes que j'ai le plus aimé dans ma vie souffrir par ma faute et ne rien faire pour arrêter ça. Il m'était inconcevable de retourner vivre avec l'un d'eux.

Ainsi lorsqu'Owen est sorti de l'hôpital j'ai coupé tout contact avec le monde extérieur jusqu'à aujourd'hui.

Je me redresse difficilement du banc sur lequel j'étais assise lorsqu'une ombre se penche au-dessus de moi. Son visage me rappelle le mien, pâle, terne, creusé par la tristesse. Il passe ses bras sous mes aisselles pour me soulever en l'air et c'est comme si mes poumons recommençaient à fonctionner correctement. Je serre mes bras autour de son cou et niche ma tête dans ses cheveux, respirant l'odeur caractéristique du shampoing pour homme.

Israël finit par me lâcher et bien qu'aucun de nous n'ouvre la bouche nos sentiments passent à travers nos yeux. Il me saisit par le bras pour m'emmener vers sa voiture et je ne me retourne par une seule fois pour quitter cet hôpital de malheur qui m'aura gardée prisonnière bien trop longtemps.

Le trajet se poursuit dans le silence et lorsque nous arrivons sur le pas de la porte un poids semble se libérer de mon corps. Cet espace est neutre, aucun souvenir traumatisant n'y est rattaché et je sais qu'Izzy sera toujours honnête et impartial lorsqu'il me racontera les détails de ma vie d'avant. Parce que ça y est, je suis prête à me souvenir, il faut que je me souvienne, pour elle, pour lui, pour tous ceux qui ont péri ce jour-là. Aujourd'hui commence le début de ma nouvelle vie.

12 septembre 2025, Los Angeles.

Voilà maintenant trois mois que j'ai emménagé chez Israël et que nous travaillons d'arrache-pied sur ma mémoire. Je ne peux pas dire que je me souviens de tous les détails mais j'ai maintenant assez d'éléments en ma possession pour me figurer ces dernières années de manière chronologique. Certains flashs me reviennent de temps en temps et je sais qu'il en sera ainsi pendant encore un bon moment mais je m'y suis habituée et j'essaye de les accueillir avec reconnaissance et respect. Car même s'ils font souvent mal ils font partie de mon histoire.

Je n'ai pas repris contact avec les garçons depuis ma sortie de l'hôpital, je sais que j'aurais dû mais le processus de deuil est quelque chose que j'ai voulu surmonter seule. Enfin, aussi seule qu'on peut l'être avec un grand brun à bouclettes en guise de chaperon.

Je regarde mon meilleur ami se servir un grand bol de céréales avant de s'asseoir face à moi sur l'îlot central de la cuisine. Je lui dédie mon plus beau sourire qu'il me rend de ses dents blanches et impeccables avant de s'enfourner une grosse cuillère de céréales.

- C'est quoi le programme aujourd'hui ? lance-t-il entre deux bouchées.
- Je me disais qu'il était peut-être temps que j'aille rendre visite à quelqu'un, je réponds, énigmatique.

Il laisse retomber sa cuillère dans son bol et arque son sourcil gauche, réveillant mon hilarité.

- Plus sérieusement, tu accepterais de me conduire chez Charlie ?

Il hoche brièvement la tête avant de finir ses céréales à toute vitesse, craignant sans doute que je change d'avis. Je saute sur mes pieds et part enfiler mes chaussures avant de descendre les escaliers jusqu'au garage où Israël a déjà démarré la voiture.

Le trajet se fait dans le silence, comme à chaque fois. Je sais qu'il se demande si c'est une bonne idée mais je me sens prête. Il faudra bien un jour où l'autre que je m'en remette. Une fois arrivée devant la villa mon cœur se serre face aux souvenirs qui m'assaillent de toute part. Je prends mon courage à deux mains et détache ma ceinture avant de planter un baiser sur la joue de mon meilleur ami.

- Je peux t'attendre ici si tu veux, je n'ai rien prévu, me propose-t-il.
- Ne t'en fait pas, va faire un tour, je vais m'en sortir.

Je saute de la voiture et attend qu'il ait quitté l'allée pour toquer à la porte. Il ne faut que quelques secondes à Charlie pour ouvrir la porte et je reste interdite devant lui, le souffle coupé. Un sourire timide s'affiche sur son visage angélique et je prends quelques instants pour le détailler. Ses cheveux sont plus longs que la dernière fois que je l'ai vu, lui donnant un air de surfeur californien, quelques boucles folles encadrent son visage tanné par le soleil. Mes yeux glissent vers son cou où pend une chaine en argent qui disparait sous son t-shirt vert, faisant ressortir la couleur de ses yeux. J'ai à peine le temps de distinguer la forme ronde qui semble s'y pendre que ses bras viennent m'encercler.

Le contact ne dure qu'une demi-seconde mais il suffit à faire trembler tous mes membres. Les sentiments que j'ai eus pour lui, bien qu'enfouis sous une couche épaisse de brume, ont toujours été bien présents et bien que je ne me rappelle pas la totalité de notre relation l'essentiel est là, sous mon crâne, une combinaison loufoque de mes souvenirs rapiécés à ceux d'Izzy.

Il me fait entrer sans un bruit et je ne peux m'empêcher de remarquer que rien n'a changé. Les marques de mon passage dans cette maison sont omniprésentes de ma veste pendue au porte manteau en passant par les chaussons qui trainent sous la table basse du salon. Les larmes me montent aux yeux en pensant à tout le mal que j'ai dû lui faire en refusant de le voir ou de lui parler.

Il m'invite d'un signe de tête à le suivre dans la cuisine et je m'installe à table tandis qu'il nous sert deux grands verres d'eau. Je plonge mon regard dans la substance translucide qui scintille, trop honteuse pour le regarder en face. Après quelques minutes de ce silence interminable je décide de prendre mon courage à deux mains pour lui parler. J'ouvre la bouche et redresse la tête mais me stoppe immédiatement lorsque je le vois jouer avec la chaine autour de son cou. Ou, plus précisément, avec la bague qui y est accrochée. Je ne mets pas longtemps à reconnaitre ma bague de fiançailles. Celle qui était dans ce petit écrin vert émeraude un jour en Espagne et qui n'a jamais quitté mes pensées.

Bien que j'aie oublié la plupart des détails de notre relation j'ai toujours eu l'étrange sensation qu'il manquait quelque chose à ma main gauche. Il m'est arrivé un nombre incalculable de fois de jouer avec cette bague fantôme dont je me rappelais pourtant tous les détails, de l'entrelacement du métal à la petite pierre qui trônait en son centre. Elle n'avait rien d'extravagant mais elle était parfaite pour moi.

Sans plus de réflexion je fais glisser ma chaise sur le sol et contourne la table pour le rejoindre, passe mes mains dans son cou pour défaire le fermoir de son collier et fait pivoter sa chaise vers moi. Je lis la confusion dans son regard mais voilà bien longtemps que j'ai compris. Je lui tends la main attendant impatiemment qu'il y passe la bague pour la seconde fois et lorsqu'un éclair de lucidité passe dans son regard je sais. Je sais qu'il est la personne qu'il me faut pour continuer à me battre chaque jour que la vie acceptera de me donner.

𝐄𝐃𝐆𝐄 𝐎𝐅 𝐆𝐑𝐄𝐀𝐓.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant