𝓉𝓌𝑒𝓃𝓉𝓎 𝓉𝓌𝑜.

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Owen

12 avril 2025, à l'hôpital.

Putain ça fait un mal de chien. J'essaie tant bien que mal de puiser toute la force qu'il me reste pour faire un pas de plus entre ces deux foutues barres. Chaque pas en avant me coûte un peu plus mais j'ai l'impression que ça fait des mois que je ne progresse pas. Le médecin dit qu'il faut que j'y aille doucement mais je ne peux pas attendre. Je ne peux plus attendre.

Attendre qu'elle se réveille, attendre que ma blessure guérisse, attendre qu'on puisse me refaire une énième opération pour réparer mon nerf endommagé, attendre de m'être remis pour pouvoir reprendre les séances de kiné. J'en ai assez.

Ça fait trois mois que je tourne en boucle. Me faire opérer, me déplacer en fauteuil roulant pour aller la voir, faire mes séances, me déplacer en béquilles pour aller la voir, devoir me refaire opérer parce que la précédente n'a pas assez bien marché à leur goût. Et toujours, toujours souffrir le martyr.

Je ne sais pas ce qui fait le plus mal, devoir sans cesse me battre pour garder ma jambe ou la voir dans cet état. J'ai l'impression qu'elle ne se réveillera jamais. Nous ne sommes qu'à deux étages l'un de l'autre et pourtant je ne me suis jamais senti aussi éloigné d'elle. Même quand on ne se parlait plus, j'avais toujours de ses nouvelles via les réseaux sociaux et j'ai toujours gardé un œil sur elle. Quoi qu'il arrive elle restera toujours la première fille que j'ai aimé, véritablement aimé je veux dire. Pas les amourettes du lycée qui durent quelques mois. Mais la voir dans cet état m'est insupportable.

Je sais qu'elle est avec Charlie maintenant, et qu'elle est heureuse. Du moins qu'elle l'était avant l'attentat. Je prie tous les jours pour qu'elle se réveille et que je puisse à nouveau voir ce sourire illuminer son visage. Même si elle n'est plus à moi, la voir heureuse est tout ce qui m'importe maintenant.

Si ma thérapeute pouvait lire dans mes pensées elle me dirait qu'elle ne peut plus rien faire pour moi et que j'ai atteint mes objectifs. Mais je ne peux pas lui dire, parce que ça voudrait dire que je serais à nouveau seul face à mes angoisses et j'ai l'impression que sans ses conseils je rebasculerais rapidement dans mes travers.

Je voulais être une meilleure personne pour elle.

C'est pour ça que je suis là, à m'acharner sur cette jambe qui ne veux pas avancer parce que je l'ai déjà beaucoup trop sollicitée aujourd'hui. Mais je veux que quand elle se réveille, elle ait en face d'elle un homme fort prêt à l'aider et à la soutenir dans toutes les épreuves qu'elle aura à surmonter. Et dieu sait qu'elle en aura...

Je veux que le jour où je descendrai la voir et que je rencontrerai à nouveau ses magnifiques yeux marrons je me tienne sur mes deux jambes, prêt à supporter tout le poids de sa peine.

J'arrive au bout de la ligne et m'accroche enfin à ces foutues barres qui sont sensé être là pour m'aider à me déplacer. Mais bon sang je ne suis pas un papi. J'ai bientôt 25 ans, je devrais être au top de ma forme et pas me trainer comme une loque entre deux barres de métal. Qu'est-ce que je déteste cet endroit.

Depuis l'accident je n'ai pas quitté l'hôpital. Bordel, trois mois c'est long. Lorsqu'ils nous ont transféré tous les deux ce soir-là on était inconscient. Margaux est la première à s'être réveillée et je crois bien que se sont ses hurlements de douleur qui m'ont sorti de ma transe. Je n'ai même pas pu lui tenir la main lorsqu'ils l'ont endormie pour ce qui devait être un long mois mais j'espère de tout cœur qu'elle a pu entendre les mots que je lui ai dit avant de sombrer. Ce n'était rien de fou, une phrase bateau pour l'aider à se concentrer sur autre chose. Et bordel j'aurais pu trouver bien mieux que « compte sur moi pour être là à ton réveil, crois-moi, je serai toujours à tes côtés à partir de maintenant ».

Et même si je suis descendu toutes les semaines pour la voir, lui parler en espérant qu'elle m'entende. J'ai l'impression que ça n'était pas assez. J'aurais dû les forcer à nous mettre dans la même chambre, j'aurais dû refuser les trois opérations qui m'ont empêché de la voir pendant plusieurs jours. Mais je voulais marcher. Et voilà où nous en sommes aujourd'hui.

Je me jette lourdement dans le fauteuil roulant que Joy, ma kiné, m'a apporté. Apparemment je suis obligé d'y rester au moins 12 heures par jour si je veux éviter de me faire réopérer, soi-disant que je suis trop persévérant. Laissez-moi rire. Je ne devrais même pas être ici tout seul et je suis sûr que si elle me voyait là elle m'étriperait, mais comme je l'ai déjà dit, je tourne en rond.

Je récupère mon portable que j'avais laissé sur l'assise le temps de faire quelques pas qui m'ont coûté les trois quarts de mon énergie et le déverrouille à la hâte lorsque je remarque une notification de Charlie. Il n'envoie jamais de messages sauf quand il y a un problème avec Margaux. Je ne prends même pas la peine de le lire et roule aussi vite que je peux vers l'ascenseur. Ce dernier met trois plombes à arriver et je me mets à maudire les personnes qui l'empruntent alors qu'elles ne font que leur travail.

J'arrive enfin au troisième étage qui pour une fois est désert ce qui m'arrange puisque j'arriverai plus vite à sa chambre mais je suis arrêtée par la réceptionniste qui me demande d'une manière trop aimable où je vais.

- Comme si vous ne le saviez pas, je réponds.
- Ce n'est pas votre étage monsieur Joyner et les visites sont pour la famille proche, combien de fois vais-je devoir vous le répéter ?
- Et moi combien de fois vais-je devoir vous dire que je suis sa putain de famille.

Sans plus de discours je me dirige dans le couloir tandis qu'elle lève les yeux au ciel en soupirant, son activité favorite semble-t-il.

J'arrive devant sa porte qui est entre-ouverte mais ne voit pas Charlie. Il semblerait que tout va bien puisqu'elle n'est plus intubée et son visage semble avoir repris de ses couleurs mais pas un chat à l'horizon. Je place mon fauteuil près du lit et sort mon téléphone pour lire le message du brun.

« Faut qu'on parle, urgent, retrouve-moi devant la machine à café de ton étage. »

Merde, j'ai dû passer tellement vite devant lui que je ne l'ai pas vu. Ou alors il a pris les escaliers pendant que j'étais dans l'ascenseur. Qu'est-ce que j'aimerais être capable de monter et descendre ces foutus escaliers. J'allais faire demi-tour lorsqu'un son semble sortir de la bouche de Margaux. Je me lève précipitamment de mon fauteuil et m'assoie sur le lit à ses côtés, caressant d'une main sa joue tandis qu'elle peine à ouvrir les yeux.

J'ai rêvé tellement longtemps de ce moment que j'en ai les larmes aux yeux. Elle essaie à nouveau de parler mais seul un sifflement rauque sort de sa bouche.

- Chut, n'essaie pas de parler, tu as été intubée longtemps, il faut que tu te ménages, je lui dis tout en continuant à caresser sa joue.

Elle ne dit plus rien et moi non plus, un mince sourire s'affiche sur ses lèvres tandis qu'elle ferme à nouveau les yeux et appuie sa tête contre ma main. Mon cœur semble sur le point de sortir de ma poitrine et lorsque je suis certain qu'elle s'est à nouveau endormie je sors mon portable pour envoyer un message à Charlie.

« Mec, elle s'est réveillée. »

A peine trois secondes plus tard j'entends la voix rauque de Charlie s'élever dans la pièce et me fait sursauter.

- Je sais, c'est ce que j'étais venu te dire.

Lorsque je me retourne pour lui faire face, son regard est sombre et brillant. Il semble sur le point de pleurer.

𝐄𝐃𝐆𝐄 𝐎𝐅 𝐆𝐑𝐄𝐀𝐓.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant