𝓉𝓌𝑒𝓃𝓉𝓎.

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When my time comes
Forget the wrong that I've done
Help me leave behind some reasons to be missed

17 janvier 2025, Los Angeles, États-Unis.

Boom boom, boom boom.

Le son de nos cœurs qui battent à l'unisson, dès les premières notes du concert c'est comme si le temps s'était figé, nous transportant dans un état second, où rien ne compte sauf ce bruit, ce battement de cœur sur lequel nous nous sommes tous calqués.

Boom boom, boom boom.

I believe
I believe that we're just one dream
Away from who we're meant to be
That we're standing on the edge of

Mes pieds traversent la scène sans que mon cerveau ne leur ait dicté quoi que ce soit. Mes mouvements sont comme suspendus dans les airs, c'est comme si je fonctionnais au ralenti et pourtant tout se déroule si vite devant mes yeux. J'ai l'impression que je ne suis plus maitresse de mon corps, pourtant chaque geste, chaque pas est calculé avec précision pour se fondre avec ceux des autres personnes à mes côtés. Je crois que c'est ce qu'on appelle l'euphorie.

Boom boom, boom boom.

J'ai souvent été sur scène cette dernière année, et pourtant rien ne m'avait procuré la sensation de faire partie d'un tout, un élément essentiel au groupe sans qui rien ne fonctionnerait correctement. C'est ce que je ressens maintenant, entourée de ces personnes que j'ai aimé et chéri plus que ma propre vie. Qui m'ont aidé chacun à leur façon à devenir la personne que je suis aujourd'hui.

Putain ce que ça m'avait manqué.

Boom boom, boom boom.

La chanson suivante commence et je me sens finalement à ma place. Sur scène certes, mais avec ma famille. Les querelles de ces dernières années effacées de nos mémoires pour une soirée qui promettait d'être mémorable. Et elle l'a été. En quelque sorte.

Boom boom, boom boom.

J'ai l'impression d'entendre chaque cœur de chaque personne présente dans la salle résonner autour de moi, le bruit se propage dans mes tympans avec une force assourdissante, je me demande même si je ne suis pas en train de devenir folle.

Boom boom, boom boom.

Alors que je carbure aux endorphines quelque chose de dérangeant me submerge. Les cœurs, ils ne battent plus à l'unisson.

Boom boom, boom boom.

Pourtant les battements sont toujours présents, tout défile si vite devant mes yeux. Des éclats de lumière, comme des feux d'artifices dansent devant mes rétines et je suis comme absorbée par leur brillance.

Boom boom, boom boom.

Je n'entends rien de plus que les vibrations du sol sous mes pieds, mais les enceintes ont arrêté de fonctionner, la musique n'en sort plus. Tout le monde a arrêté de chanter, pourtant leurs bouches sont grandes ouvertes, comme s'ils m'appelaient. Tout à coup je me rends compte et je comprends.

Boom boom, boom boom.

Ils ne chantent plus, ils crient.

Boom boom, boom boom.

Les éclats de lumières que j'avais pris pour des artifices n'en sont pas, ce sont des balles, des bombes, des coups de feu, sortis tout droit de mon pire cauchemar pour nous engloutir. Mais je ne rêve pas et je reste là, stoïque, les bras ballants attendant que ma dernière heure sonne. Mon corps est tellement crispé que j'ai l'impression d'être devenue de la pierre. J'ai peur, qu'est-ce que je dis, je suis terrifiée.

Boom boom, boom boom.

Les déflagrations continuent, on court, on crie, on se cache, et moi, je suis plantée comme un piquet en plein milieu de la scène. Les secondes me paraissent des heures avant que j'arrive à tourner la tête vers la personne qui hurle à mes côtés.

- MARGAUX ! MARGAUX QU'EST-CE QUE TU FAIS ?! RESTE PAS LÀ IL FAUT S'EN ALLER !

Alors que tout tourne dans ma tête, essayant de reconstituer le fil des évènements qui viennent de se dérouler je sens une main agripper ma taille et m'entrainer vers le fond de la scène. J'ai envie d'hurler que je ne peux pas, qu'il ne faut pas, qu'on ne peut pas s'enfuir et les laisser tomber comme ça. Mais aucun mot ne sort de ma bouche, seulement un cri si aigu qu'il ne me semble pas possible que ce soit le mien.

Je sens nos corps tomber et s'écraser lourdement au sol, quelque chose à fait chuter mon sauveur qui se relève déjà en m'entraine plus vite encore en lieu sûr. Mais quel lieu sûr ? Le couloir qui mène aux coulisses est obstrué par le plafond qui s'est effondré. Pourtant il ne s'arrête pas, me trainant tant bien que mal derrière lui, il est blessé, quelque chose l'a touché à la jambe.

Nous arrivons enfin devant une grande caisse faite de métal, je ne vois pas bien en quoi cela pourrait nous aider mais lorsqu'il m'ordonne de grimper à l'intérieur je ne me fais pas prier. Le couvercle doit être lourd car il peine à le soulever. Je ne sais pas quelle force me pousse à sauter dedans à pieds joints, c'est pourtant ce que je fais. Une fois à l'intérieur, je maintien le couvercle sur mes épaules afin qu'il se glisse à mes côtés et le laisse retomber lourdement, à bout de force.

- Dis-moi qu'on va s'en sortir.

Je ne reconnais pas ma voix, elle semble brisée par le cri que j'ai poussé et la fumée qui s'est accumulée dans la malle dans laquelle nous sommes cachés. Quelque chose a pris feu, et je me surprends à prier qu'on nous trouve avant que ce dernier ne nous engloutisse.

- On va s'en sortir.

Sa voix est ferme et douce à la fois, je ne sais pas comment il fait pour garder son calme alors que je n'ai qu'une envie : m'effondrer en larmes. Il passe ses pouces sur mes joues et je suppose qu'elles n'ont pas attendu que je leur donne la permission pour couler. L'espace est réduit et il fait tellement noir que j'y verrais mieux les yeux fermés. Pourtant, je devine chaque parcelle de son corps lorsque je m'y blottis en silence, essayant d'étouffer les sanglots qui m'assaillent. Sa main gauche caresse mes cheveux tandis que la droite vient appuyer sur sa blessure à la jambe. Je connais son corps par cœur, comment l'oublier.

La fumée se fait de plus en plus épaisse, et même s'il m'ordonne de rester éveillée je ne peux empêcher mes yeux de se fermer. J'ai besoin d'air, je ne sais pas combien de temps je pourrai rester enfermée ainsi, plus pour longtemps je suppose. Le monde vacille autour de moi, même sa voix me parvient déformée. J'arrive à peine à chuchoter avant de sombrer dans le chaos.

- Merci de m'avoir sauvée, Owen.

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Le 17 janvier 2025, un attentat terroriste a décimé plus de la moitié des personnes présentes dans la salle de concert. Parmi elle, deux des artistes présents sur scène ont succombé à leurs blessures. Les secours ont mis trois heures et quarante-sept minutes à éteindre l'incendie. Une fois à l'intérieur, ils ont découvert que la majorité des corps avaient été brûlés, des décombres encore fumants, ils n'ont sorti aucun survivant. Les recherches se sont poursuivies jusque tard dans la nuit et, par on ne sait quel miracle, une malle servant à ranger les instruments avait été épargnée. C'est sans grande conviction que les équipes de pompiers ont soulevé le coffre, certains de n'y trouver que des cendres. Mais au lieu de ça, ils découvrirent deux corps enlacés, préservés de toute brulure. La cheffe de brigade fit monter deux civières et, une fois les corps extirpés, leur pouls fut pris. En vie, ils étaient en vie. Très affaiblis par le manque d'oxygène et leurs blessures, mais en vie.

𝐄𝐃𝐆𝐄 𝐎𝐅 𝐆𝐑𝐄𝐀𝐓.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant