Chapitre 6

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Plusieurs jours avaient passé depuis l'incident à la demeure d'Irène, et l'enquête avançait à un rythme calme. John pouvait sentir que Sherlock savait certaines choses qu'il préférait garder pour lui, en tout cas pour le moment.

Il avait toujours la fâcheuse habitude de ne vous laisser voir qu'un sac de nœuds, vous laissant apercevoir parfois une bride de vérité, avant de tout dénouer et dévoiler à l'apogée de l'investigation.

Le détective avait beau être une personne au grand pragmatisme et à l'intelligence hors norme, cela ne l'empêchait pas de jouer son petit numéro. Il aimait voir la stupéfaction et l'incrédulité sur le visage des gens qui l'entouraient.

John le savait bien, mais ça ne l'empêchait pas d'aller en son sens et de le noyer d'une cascade de compliments et de questions à chaque fin de mystère.

Il était en train de rédiger ce qu'il pouvait sur l'enquête en cours, qu'il avait nommé Un scandale à Buckingham, assis sur son fauteuil favori. Dehors, la neige tombait. Le froid les avait rattrapés d'un coup d'un seul, et du jour au lendemain, toutes les rues de Londres avaient été recouvertes d'un épais tapis blanc. Le docteur aimait l'ambiance paisible que cela avait provoqué. Tout au dehors semblait maintenant sorti d'un rêve.

Il leva les yeux de son travail pour regarder les lourds flocons tomber à leur rythme régulier, quand il remarqua le regard bleu perçant de son colocataire sur lui.

Sherlock était actuellement dans son fauteuil, face à John, il avait posé ses coudes sur les accoudoirs de son siège, et avait les mains jointes devant son visage, le bout de ses doigts pressés fermement les uns contre les autres.

Et bien sûr, il avait les yeux rivés sur le docteur.

"Quoi ?" demanda John en levant un sourcil.

"Non, rien." répondit le détective en fermant lentement ses yeux et en s'affaissant encore plus dans les coussins de son siège.

John le regarda d'un air suspect, avant de retourner à son écrit.

C'était maintenant le genre d'échange qu'ils avaient le plus, il s'apercevait du regard insistant de Sherlock sur lui, lui en demandait la raison, et recevait en retour une réponse négative.

Quelque chose se trame, pensait John sans plus trop s'inquiéter du comportement parfois très étrange de son ami.

Par contre, ses oeillades insistantes commençaient à avoir un impacte sur le docteur, qui ne supportait plus cet état de nervosité permanent.

En effet à chaque fois qu'il surprenait le regard pénétrant de Sherlock, ses joues s'empourpraient et ses mains devenaient moites. Il se sentait trahit par son propre corps, et ne comprenait pas qu'une réaction de cette empleur soit nécessaire. 

Il y eut du mouvement du côté du détective et John s'aperçut qu'il s'était levé.

"Je vais me faire un café. Tu en veux un ?" demanda Sherlock en se dirigeant vers la cuisine.

"Volontiers." répondit John, puis s'empressant de préciser, "Oh, n'oublie pas, avec-"

Il n'eut pas le temps de finir avant que Sherlock l'interrompe -décidément les gens aimaient lui couper la parole- "Avec deux sucres et un soupçon de lait, oui John je pense qu'après ces années de colocations je devrais au moins savoir ça."

L'autre le regarda, un air hébété sur le visage, avant de se fendre en un petit sourire. Son colocataire choisissait volontairement d'oublier certains faits communs tel que le fonctionnement du système solaire, car il les jugeait futils, mais il décidait de s'encombrer le cerveau avec les préférences de John en matière de café.

Le docteur était intérieurement ravi, Sherlock ne montrait quasiment jamais son affection, mais quand il le faisait, c'était toujours sous les formes les plus étranges, mais également les plus sincères.

Son ami revint dans le salon, posant sa main sur l'épaule de John avant de lui donner sa tasse, puis de prendre la sienne pour aller se rasseoir avec précaution dans son propre siège.

Oh oui, John avait aussi remarqué que Holmes initiait beaucoup plus régulièrement des contacts physiques.

De simples contacts, comme la main qu'il venait de poser sur son épaule un bref instant. Un contact qui ne l'aurait pas surpris si il venait de n'importe quelle autre de ses connaissances. Mais il s'agissait ici de Sherlock, et Sherlock ne s'embêtait pas de ces gestes anodins pour ponctuer son discours, il les évitait.

Il aurait aimé le questionner sur la situation, mais après chacun de ces rapprochements, ses interrogations étaient stoppées nettes par les prunelles azures de son colocataire, fixées sur lui.

Après cette vision, sa gorge se noua, et il n'osa plus souffler mot.

Plus tard, alors que le jour venait de tomber, la sonnerie du portable de Sherlock vint rompre le silence confortable de leur appartement, et l'intéressé se rua vers l'appareil, s'empressant de décrocher.

Une fois en contact avec son interlocuteur, il resta complètement silencieux, écoutant d'un air attentif et sérieux.

Puis, brusquement, il raccrocha et se précipita dans l'entrée.

John, qui s'était rendu à la cuisine pour leur préparer le repas du soir, se dirigea vers lui et demanda, "Qu'est-ce qu'il se passe ?".

Le détective ne lui accorda pas même un regard, enfilant prestement son manteau et son écharpe, s'arrêtant juste sur le palier pour lui répondre "Je sors, ne m'attends pas pour manger."

John regarda, confus, alors que Sherlock dévalait l'escalier.

Le brusque claquement de la porte d'entrée et les remontrances de Mme Hudson à l'étage du dessous se firent bientôt entendre.

En retournant à son poste devant sa planche, à découper des poireaux, John se dit que ce devait certainement être en rapport avec l'enquête. Il y avait toujours cette  tension, infime, mais non négligeable qui flottait dans l'air à l'approche du dénouement d'une investigation, et il était persuadé de la ressentir ces jours-ci.

Sherlock se laissait souvent emporter par l'euphorie que lui procuraient les mystères qu'il jugeait dignes de son intérêt, et y dédiait toute son âme et sa personne. Si bien que ses habitudes de vie déjà bancales, n'en devenaient que plus instables, et il se passait parfois plusieurs jours sans qu'il n'avalât quoi que ce soit ou qu'il ne ferme l'œil.

Cette fois ne fit pas exception.

Pourtant, John pouvait sentir qu'il y avait quelque chose de plus. C'était d'une rareté sans nom que Sherlock rencontre une personne aux sens et à l'intelligence aussi aiguisés que les siens, et cela provoquait chez lui un état de fascination et de ravissement profond.

Et le fait qu'il s'agisse d'une créature aussi séduisante que redoutable qu'est  Irène Adler, John le craignait, avait pu également faire naître quelque chose de plus. Quelque chose comme de l'attirance.

La seule image de Sherlock et Irène ensemble rendait John malade, bien qu'il ne sache pas exactement pourquoi.

Au bout de quelques heures, le cœur chargé d'amertume, il décida d'aller se coucher et de dormir un peu.

Ce fut d'ailleurs un bien grand mot, car ce soir la, on aurait dit que le sommeil avait décidé de le quitter, le privant ainsi de la douceur et du délice de l'oubli que l'inconscient procure.

La dernière chose qu'il entendit avant de finalement sombrer de fatigue, dans ce qui pouvait maintenant être considéré comme les petites heures du jour, était le bruit d'un violon. Un violon à la mélodie si sombre et chargée de tristesse qu'elle ne pouvait renvoyer de l'auteur que l'image des tourments de son âme.





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