Pour Emilia Lisa GodefroyMa chérie,
Je t'en prie malgré toute la peine, l'amertume et la déception que tu éprouves probablement envers moi, prend le temps de lire cette lettre. Je veux t'avertir du danger et je tiens à ce que tu connaisses la vérité. Je suis désolée de t'avoir abandonnée, de t'avoir fait du mal.
À l'époque, une seule chose était sûre, il y avait de la vie en moi, tu étais encore un petit être qui grandissait en moi. La grossesse a été particulièrement éprouvante d'autant plus que lors de l'accouchement, des complications ont eu lieu, tu ne respirais pas. Après de longues minutes à s'inquiéter, les soigneurs ont finalement réussi à te faire inhaler de l'air. J'ai été le témoin de ton incroyable instinct de survie. Quand ils t'ont enfin déposé sur moi, je ne pouvais plus te quitter des yeux: j'étais émerveillée, subjuguée par toi.
Seulement, tu es née différente, atteinte d'albinisme, une maladie génétique rare qui affecte la pigmentation de la peau et des poils.Tu as la peau très pâle, les cheveux, les sourcils et les cils blancs, de même que des iris d'aspect rouges.
Je t'écris cette lettre pour t'expliquer mon comportement, tu mérites d'en être informée. Ta différence m'a fait peur. Pourtant, malgré mon angoisse, ce sentiment d'amour ne m'a pas quitté. On ne décide pas d'arrêter d'aimer son enfant en un éclair. Mais, j'ai beau t'aimer, je ne sais pas si je pourrais parvenir à te garder près de moi, à te protéger de notre monde et des félidés. Nous sommes des métamorphes ma chérie, nous sommes capables d'adopter l'aspect d'un fauve, en tout temps. Malheureusement, de par notre nature profonde, les félidés différents font souvent l'objet de rejet, tu seras considérée comme plus faible: tu attireras l'attention.
Je regrette de devoir agir ainsi, de t'abandonner, seule, à ton sort, mais je ne me sens pas capable d'assurer ta protection. Ne t'excuse pas d'être qui tu es. Soit forte ma fille, soit courageuse, soit fière de qui tu es. Fais tes propres expériences.
Ne pense pas que je te dis tout ça pour me sentir mieux mais j'espère qu'un jour tu me pardonneras. Je t'ai glissé une photo avec cette lettre, j'espère qu'elle te donnera le courage et la force de tenir. Prends soin de toi ma chérie.Ta maman qui t'aime.
Je marche ? Non. Je cours. Où suis-je ? Le paysage montagneux défile au rythme de mes foulées. Il faisait un temps magnifique. Des rayons de soleil perçaient la cime des arbres d'où ressortait l'odeur de pin, de cèdre et de mousse. J'avale les kilomètres, mes jambes me poussant vers je ne sais où. Mon fauve se mêle à mes foulées. Ses grandes pattes puissantes foulent la terre, et le propulsent en avant, soutenant mon rythme effréné. Le vent joue dans mes cheveux et dans sa fourrure. Je me sentais plus libre, plus forte et plus sauvage que jamais.
À la nuit tombée, le murmure d'une voix ténébreuse nous parvient. D'instinct, on accélère en essayant de ne pas y prêter attention. Tout ce que l'on voulait, c'était courir. Nos sens nous menèrent dans une clairière immense. Au loin, des arbres indiquait la lisière d'une autre forêt. Les ombres d'un homme et d'un fauve se dressaient parmi les arbres. Je ne parvenais pas à les discerner clairement, et ce, malgré mes sens exacerbés. Ils ne diffusaient aucune odeur.- Emilia ! Tonna une voix masculine.
S'ensuivit, d'un puissant rugissement qui secoua la terre sous mes pieds. Mes sens me crièrent: danger ! Sauve toi ! Une vague d'adrénaline me submergea, mon fauve grondant à mes jambes, cherchant à me protéger. Demi-tour sec, on s'élança le plus loin possible d'eux. Les battements affolés de mon cœur résonnant dans mes oreilles, le cœur au bord des lèvres, je sentais une présence derrière moi. Tous mes instincts me dictaient de ne surtout pas m'arrêter. Alors, puisant dans mes ressources, je talonnais mon fauve pour qu'il nous éloigne un maximum du danger.
Malheureusement, mon pied trébucha sur une racine sortie de nulle part, brisant net ma cheville. Je me rattrapais tant bien que mal sur mes bras, amortissant l'impact le plus possible. Ma tête cogna tout de même contre une pierre, mon sang trempa la terre, qui s'en gorgea avidement. Un second rugissement effroyable retentit à nouveau. La terre vibra une nouvelle fois. Je sentis une masse fondre sur moi, une sueur froide glissa dans mon dos, dévala ma colonne vertébrale. Mon fauve gronda et se prépara à l'attaque. Mais, à l'attaque de quoi ? Je fermis les yeux. Un réflexe incongru. Sérieusement ? Je ferme vraiment les yeux ? Pitoyable.- Aaaaah !
Je m'éveillai et me redressai brusquement, couverte de sueur, la respiration hachée, les draps rejetés au pied du lit. Je me tenais assise sur mon lit essayant de réguler ma respiration, les yeux dans le vague et le corps rigide tentant de calmer les spasmes qui me parcouraient encore les mains. Je frissonne malgré moi et des picotements surgissent au souvenir de la chasse. Bordel, mais qu'est-ce que c'étaient ? Au travers des fenêtres ouvertes de ma chambre, l'écho assourdissant provoqué par la circulation de la ville se répercutait contre les murs.
J'enfouis ma tête entre mes mains pour tenter d'apaiser le bourdonnement incessant dans mes oreilles. Ma bête gronda, sur le qui-vive, dans mon esprit, ne m'aidant aucunement à me calmer. Tu vas te taire un peu, oui. Le calme ainsi revenu, j'essaye de percevoir le moindre son, mais le silence règne. Mon fauve s'ébroue dans mon esprit, ne détectant rien d'anormal.
Je passai mes jambes par delà le lit et me dirige vers la salle de bain. Je laisse couler l'eau froide dans la vasque et m'en passe sur le visage pour me rafraîchir. Le reflet que me renvoie le miroir, me révèle un visage gracieux mais étranger : deux yeux rouges brillant sous la lueur des néons, des cheveux blancs dévalant mes omoplates, si lisses qu'ils ondulent comme de la soie, un petit nez droit et une bouche, bien ourlée, tordue en une grimace de mécontentement. Je fais peur à voir. Mon corps est amincie et mes épaules, épuisées par mon manque de sommeil et mes heures interminables d'entraînement physique, sont voûtées. Sortant de la salle de bain, je rejoins ma chambre. Il faut vraiment que je dorme. Seulement, impossible de retrouver le sommeil, ce rêve empoisonnait encore beaucoup trop mon esprit. L'horloge murale m'indiqua qu'il me restait encore deux heures avant de devoir aller travailler. Parfait pour une course, j'enfile un short, un haut et sors de chez moi.En ce début de soirée, Lyon semblait si paisible, une ville débordant de fougue habituellement. Courant dans la forêt qui borde mon appartement, j'allonge mes foulées pour gagner plus de vitesse, le grondement de contentement de mon fauve résonna dans mon esprit. Depuis toujours, l'exercice est pour nous un remède au poids que représente notre albinisme. Une façon de laisser sortir notre rage. J'apprécie tout particulièrement le sport de combat. La sensation de bien-être qui m'envahit lorsque je zigzague entre les arbres, éclipse le souvenir du rugissement. Nouveaux frissons. Depuis ce bruit, un sentiment de manque me transperce sans que je ne sache d'où il provient et pourquoi je le ressens; ma bête, réclamant de combler ce vide, cherche à émerger depuis. Je la calme d'une légère caresse mentale. Passé une heure d'efforts, la fatigue se fait ressentir et je prends le chemin du retour.
Une rapide douche froide, des vieux vêtements et mes lentilles, me voilà prête pour la soirée. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été différente. Je fus très vite mise à l'écart, cataloguée comme anormale. Mon enfance a été désastreuse, mon adolescence chaotique et mon début de vie d'adulte lamentable, due à mes particularités que je n'avais pas su cacher assez tôt. Maintenant, je porte des lentilles marron-noisette, pour masquer la vraie couleur de mes yeux, ils ont quelque chose d'inquiétant d'après Horace. Ahh Horace... Il est l'homme le plus bienveillant que je connaisse. Il m'a recueilli lorsque je n'étais qu'un bébé après que ma mère m'ait abandonnée sur le devant de sa porte, en ne laissant qu'une simple lettre. C'est comme un père pour moi. Je vérifie mon apparence une dernière fois et quitte mon logement, je le ferme à clé et me prépare à rejoindre mon poste de travail.
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Félidae
ParanormalDans un monde où les félidés vivent cachés des humains lambdas. Méprisée, dédaignée, et exclus par les siens, Mia, une jeune fauve albinos est mobilisée à la capitale, dans une nouvelle unité, pour une mission de défense nationale. Elle est embarqu...