~ CHAPITRE 2 ~

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- Dépêche-toi de me servir.

À peine ai-je enregistré sa commande, que le bougre pressé au comptoir me met la pression pour que je lui serve sa pinte de bière. Tout de suite, crétin. Primo, au vu de ce qu'il dégage, cet homme est un félidé et deuxio d'après sa manière grossière de me parler et de son ordre, je parierai mon poste qu'il est un panthériné. Ils se croient tout permis ceux-là. Je vous explique: parmi la famille des félidés, autrement dit des fauves, il existe deux castes: les félinés dit les "petits fauves" et les panthérinés dit les "grands fauves". Les félinés sont généralement des félins plus petits et sont donc souvent considérés comme plus faibles. Je sais, ce n'est pas facile.
Je lui lance un regard noir et lui tend sa boisson:

- Étouffe-toi avec crétin.

Ce soir, de dix-huit heures à vingt-et-une heures, je travaille seule derrière le bar pour accueillir la clientèle et effectuer le service des boissons chaudes et froides. Autant dire que c'est compliqué de tout gérer. Si le Ragnar manquait un peu de personnel en ce moment, les employés présents étaient presque tous fiables malgré la masse de travail. L'intonation d'une chanson à la radio, mêlée au bruit des verres, des couverts et du bourdonnement des conversations, se répand à l'intérieur du Ragnar et en fait son ambiance si unique. L'endroit était bien rempli, les habitués étant toujours adossés à leurs chaises. Je repère, à l'odeur qu'ils dégagent, quelques félidés répartis sur certaines tables. Ce bar possède une véritable histoire, retranscrite sur les murs, il a été construit en 1872 par George Silvestre. Cet endroit a été créé comme un véritable refuge. Son large comptoir longe l'un des murs, il peut accueillir jusqu'à vingt personnes; derrière lui, se trouvent des étagères bondées de tous les alcools possibles et, en dessous, une longue rangée de cafetières et de fontaine à bière. Eh oui... Rien que ça.

Enchaînant les commandes, je me fige lorsque j'entends deux hommes, leurs odeurs respectives m'indiquent que ce sont des félidés, discuter d'une attaque. L'un, le bougre de tout à l'heure, est petit et trapu, son rire gras et sa mine chafouine ne m'inspire que du dégoût, quand à l'autre, il est de taille moyenne, d'une carnation assez foncée, des rides barrant son front, il m'a l'air bien plus sympathique que son compagnon. Plutôt mignon, en plus. Bref, concentre-toi un peu et écoute.

- Elles deviennent trop récurrentes, la corporation va intervenir !
- Ça ne sent pas bon pour nos affaires...
- Il faut qu'ils se calment, sinon j'ai bien peur que l'unité tempête s'y intéresse d'un peu trop près.
- L'unité du tigre ? Elle n'est pas en faction à Paris ?
- Elle se déplace.
- C'est une rumeur !
- Si le tigre intervient, on est fichu. J'ai beau ne l'avoir rencontré qu'une seule fois, il est vraiment impressionnant. Ce n'est pas une rencontre qu'on oublie de sitôt...

L'unité tempête ? Le tigre ? De quelles attaques parlent-ils ?
Je n'ai pas pu continuer d'écouter leur conversation puisque Victor venait de prendre sa place derrière le comptoir et de me signaler de passer en salle. Merde. En passant à ses côtés, je lui offre un petit sourire, encore quelque peu perturbée par ce que je viens d'entendre, et lui claque un bisous sonore sur la joue. Je n'avais jamais eu d'amis, trop singulière, je faisais fuir les autres, et ce, même en grandissant. La taule que j'ai faite n'arrangeant rien. La première fois que j'ai rencontré Victor, nous étions adolescents, un groupe d'une dizaine d'individus m'avait prise à partie dans la rue. Il était intervenu en ma faveur et avait dispersé l'attroupement. Il m'avait alors tendu la main, mais, son attitude amicale avait éveillé ma méfiance, habituellement personne ne me parlait ni ne m'aidait. Finalement, je lui avais pris la main: le début de notre amitié. On est resté séparé pendant presque dix ans, mais depuis que l'on s'est retrouvé il y a quelques années, on ne s'est plus lâché, jusqu'à même travailler ensemble, au Ragnar. Du haut de ses vingt-huit années, une de moins que moi, il est plutôt beau garçon. Non, à vrai dire très beau garçon. Ses cheveux blonds cendrés coupés court encadraient un visage viril, un nez droit, une bouche toujours souriante et un regard azur. Sa barbe de quelques jours assombrissait ses joues, et lui faisait gagner plusieurs années. Son corps est svelte mais ses muscles bien dessinés tendent son polo. Un beau bijou, si je puis dire.
Il se tourne vers moi et son rictus ne me dit rien qui vaille.

- Je n'ai pas vu Barbie, elle ne travaille pas aujourd'hui ?
- Encore heureux ! Elle doit être à la pompe en train de se faire regonfler les obus.

Son rire me suit lorsque je traverse la salle pour m'occuper des clients. Ce qu'il est beau quand il sourit comme ça.

Passé deux heures du matin, il ne restait plus que quelques personnes au Ragnar, que Gabin, notre videur, s'empressa de mettre à la porte. Filant au vestiaire pour récupérer mes affaires, je croise Victor dehors, accoudé à la façade dans une pose nonchalante mais très séduisante. Arrête de le mater !

- Ça n'a pas été trop difficile jusqu'à ce que j'arrive?
- Beaucoup de clients en début de soirée mais ça s'est bien passé. Juste un crétin en milieu.

Ras-le-bol des cons ! Je ne suis ni soumise, ni docile et ni sage, et ce, même si je suis albinos.
Pour toute réponse, il m'imite et part dans un grand éclat de rire. Mon souffle se bloque aussitôt dans ma gorge et mes joues se teintent de rose. Je lui donne un léger coup sur le torse, gênée, ce qui le fait rire de nouveau.

On décide de se rejoindre au lac de la Tête d'or, situé au Parc du même nom, en milieu d'après-midi.

FélidaeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant