3. Confidence aigre-douce

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Pour atteindre la demeure de la famille Shi, il était nécessaire de couper par un grand jardin. Les sentiers de graviers permettaient de conserver l'aspect naturel du parc. Des chemins de terre serpentaient au-dessus de cours d'eau et traversaient des petits bois. Aux heures de l'après-midi, les pelouses étaient recouvertes par des familles et groupes d'amis allongés sur l'herbe fraîche.

Des bribes de conversations se mélangeaient au chant des moineaux et autres oiseaux perchés sur les branches. Les braillements d'enfants jaillirent soudain au coin d'un vaste terrain tondu.

He Xuan ne fit attention ni au paysage romanesque ni au vacarme, son instinct de vengeance était la seule chose qu'elle avait en tête. Elle n'avait pas le temps de s'ennuyer. En outre, l'étoffe de la nouvelle robe de He Xuan était si longue qu'elle craignait marcher dessus avec ses bottes si elle baissait sa garde. Elle n'avait d'ailleurs pas l'habitude de porter ce genre de tenue et de sentir les courants d'air parcourir sa jambe. Elle regretta de ne pas avoir pris un collant opaque pour couvrir sa cuisse blanche.

Shi Qingxuan, au contraire, flânait. Elle profitait d'un moment d'inattention pour observer les parterres de fleur à l'entrée d'un jardin botanique et renifler leur parfum. Puis, quand elle remarqua que sa compagne ne l'attendait pas, elle se plaignait.

- Ming-jie, tu vas trop vite. J'ai mal aux chevilles, asseyons-nous sur un banc.

He Xuan se retourna et saisit sa main pour lui faire accélérer la cadence. Elle trouvait toujours des excuses afin de partager un contact physique ou reproduire certaines scènes sentimentales clichés. Shi Qingxuan consommait trop de comédie romantique à l'eau de rose. Elle l'avait même un jour contrainte à regarder Fifty Shades of Grey à son plus grand damne. Un souvenir très douloureux.

Shi Qingxuan continua de se plaindre inlassablement pour une pause. Constatant qu'elle conversait avec un mur, elle tira le bras de sa copine de toutes ses forces et l'entraîna sur un banc non loin d'un ancien kiosque.

- Je n'en peux plus. On fait une pause Ming-jie. Gege peut encore attendre.

Exténuée par leur marche et la chaleur estivale, elle sortit un éventail cyan de son totebag et s'éventa. Ses boucles châtains s'aplatissaient sur ses tempes humides. Les minces rayons de soleil qui passaient au travers du plafond de feuille éclaircissaient le fard rose de ses joues. Elle délaça la boucle de ses escarpins vernis pour décrisper ses chevilles comprimées.

He Xuan soupira et s'assit à ses côtés, en lissant l'étoffe de sa robe pour couvrir au maximum sa peau. Elle observa l'édicule au croisement des chemins. Le toit en métal reposait sur des fines colonnes de bois. Une troupe de musicien amateur accordait leur instrument et jouèrent quelques accords. Sa nervosité s'évapora petit à petit, elle avait besoin de scroller sur Weibo.

Au moment où elle voulut sortir son portable, un ballon en mousse l'atteignit en plein visage. Une marque rouge ainsi que des grains de sable salirent la pâleur de son teint. Ses lèvres se crispèrent de colère et ses dents grinçaient telles un tiroir rouillé. Le duo d'enfant, qui folâtrait, frissonna de peur, et aucun d'eux n'eut le courage d'aller s'excuser ou de demander le renvoi de leur jouet. Si le joujou n'était pas si mou, elle aurait pu d'un coup de griffe l'éclater et le mettre en miette. Elle se contenta de leur relancer la balle sans se préoccuper ni de la puissance de son lancer ni de la cible qu'elle atteindrait.

Shi Qingxuan pouffa de rire derrière son éventail et prit la main de sa partenaire pour l'apaiser.

- Joli lancer Ming-jie ! Tu es vraiment sans pitié, l'encourage-t-elle.

- Je hais tellement les gosses, répliqua He Xuan en fixant son attention sur son écran et repoussant la main étrangère de la sienne, irritée.

Elle consulta sa galerie et admira les nombreuses photos de ses poissons pour se calmer. Elle était passionnée par les créatures marines et rêvait de vivre dans un aquarium. Hua Cheng appréciait également de s'occuper d'eux en les nourrissant et leur apprenant des tours. C'étaient à se demander qui d'elles deux étaient la plus mère poule. En revanche, He Xuan n'avait jamais laissé Shi Qingxuan observer ses veuves noires. Elles étaient trop précieuses pour elle.

Âpres représaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant