Shall I stay, would it be a sin ?

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On avait fini par remonter à la surface, épuisés mais ravis. Le ciel commençait à s'éclaircir à l'horizon, avec lui les vérités brûlantes qui s'étaient cachées derrière le voile de la nuit.

Sur le chemin du retour, après ce moment d'euphorie, les esprits devenaient plus lucides sur les choses qu'on avait gardé pour nous. Les sales gueules qu'on avait. Cernés, les cheveux en pétard et le front encore ruisselant. On s'était allumés une cigarette.

« C'est comme si dieu m'avait parlé, avait-il dit dans un souffle, semblable à un murmure.

- Qu'est ce que tu dis ?

Il me regarda intensément.

- Ce soir-là. Tout ce que tu m'as dit sur une supposé personne que j'aurais été dans une autre vie.

- Oui et donc ?

- C'était tellement..., je veux dire, pendant un instant je me suis vu sur le point d'atteindre cette réalité. Comme s'il me suffisait de tendre la main pour y accéder et...

Il peinait à continuer sa phrase. Ses yeux étaient devenus plus brillants. Voyant qu'on touchait un point sensible je m'étais dit que c'était le moment où jamais.

- Allons parler. »

On marchait quelques temps avant qu'il ne m'indique d'un signe de tête une berline vert d'eau. "Mon petit privilège d'acteur", il m'avait dit. On était monté à l'intérieur. Derrière la vitre, le monde extérieur, invisible.

« Dis-moi ce que tu as ressenti, reprenais-je sans perdre de temps.

Il fumait quelques taffes, avalant ses regrets. Quelque chose l'empêchait visiblement d'en parler.

- Tu sais j'ai toujours rêvé d'être acteur à Hollywood, avoir une grande carrière à la James Dean, jouer dans des films qui marqueront l'histoire du cinéma à jamais et que tout le monde se souvienne de mon nom.

C'était triste de le voir accroché à cet espoir futile : se voir projeté dans cette voie qui n'était pas la sienne.

- Mais Elvis, commençais-je prudemment puis en m'emportant, tu n'es pas James Dean et tu ne le seras jamais !

Ma remarque avait produit un effet amère que l'on voyait se former dans ses traits. Pourtant il s'empêtrait dans ce déni en me donnant des justifications inutiles.

- Mon producteur m'a dit que si je continuais comme ça je ferai les têtes d'affiche à Hollywood dans plusieurs années. Il m'a dit que j'avais une tête qui plaisait et passait très bien à l'écran, dit-il, puis comme rattrapé par la raison son teint redevint sombre, "quand j'embrasse des filles ça fait vendre des places", m'a-t-il dit.

- Et c'est de cela dont tu as envie, vraiment ?

Il m'avait fusillé du regard.

- Ne me prends pas pour un imbécile, évidemment que ça ne me plaît pas mais c'est le début, je commence par ses rôles et ça finira par évoluer...

- Tu sais pertinemment que non, Elvis. Ce que je veux dire c'est que tu pourrais être bien plus grand que James Dean. Tout le monde se souviendrait de ton nom, tu as ma parole.

- Mais que vaut cette parole, Dalila ? Tu débarques de nulle part me disant quoi faire, me balançant des soi-disant vérités sur mon destin et puis, comment m'as-tu trouvé à ce propos ?

Je me sentie ébranlée par ses réprimandes d'autant plus que c'était la première fois qu'il prononçait mon nom. Maintenant c'est moi qui perdait le fil de ce que je disais.

- Humm, eh bien mon père qui était un.. grand fan de toi m'avait parlé de la ville où ta carrière avait commencé et donc j'ai fait un petit bout de chemin de l'Oregon jusqu'ici pour vérifier si tu existais bel et bien sans ton statut de légende du rock et donc j...

- Tu es entrain de me dire que tu as fait 4000 km pour chercher un mec qui n'existait peut-être pas ? La vache, tu es encore plus cinglée que ce que je pensais, avait-il dit en se passant une main exaspérée sur le visage.

Après l'exaspération vint l'hilarité. On s'était regardés sans pouvoir résister à rire de l'absurdité de ces circonstances. "Complètement barrée" avait-il ajouté entre deux rires.

- Mon instinct avait vu juste ceci dit, avais-je repris, toujours amusée, tu es assis à côté de moi. Mon père en serait fou de jalousie.

- Pourquoi ?

- Tu ne peux pas t'imaginer le phénomène que tu étais. Tu avais le monde à tes pieds, mon père était un immense fan parmi tant et tant d'autres.

- Ça tu me l'as déjà dit. Je voulais dire pourquoi il le serait ? Tu ne l'as toujours pas appelé depuis que tu es ici ?

La réalisation de sa question me fit retrouver mon sérieux instantanément. Je rassemblais toutes mes forces pour dire la vérité sans craindre de trahir une vague d'émotions.

- Eh bien, il est mort il y a bientôt six mois. Si tu savais combien il serait hystérique de savoir que j'ai dansé avec le king.

J'avais attendu du réconfort de sa part, ou du moins une once d'empathie, au lieu de ça il était devenu pâle, ses yeux devenant sombres et insondables. Chaque mot qu'il avait prononcé après ça étaient teintés de douleur, comme s'ils sortaient en épines de sa bouche :

- Navré pour ta perte.

C'était ahurissant de voir à quel point il pouvait passer du visage d'ange à la brute silencieuse en un instant, qui devenait alors si mystérieuse et inaccessible. Je puisais dans mes dernières ressources pour tenter de le convaincre, malgré la grande tristesse que la pensée de mon père avait fait surgir en moi.

- Quand je t'ai vu danser hier soir, ton attitude ne trompait pas. Chaque parcelle de ton corps vibrait sous l'effet du son. Tu étais exactement là où tu devais être. Maintenant tu peux décider de garder ces moments bénis pour des coups d'un soir ou bien en faire ta vie entière, perpétrer ce que nous avons éprouvé, le faire ressentir au monde entier.

Le voir en pleine réflexion me faisait me persuader moi-même que la force puisée des fonds de mon âme n'était pas vaine. Tout ça en valait la peine. Chaque seconde en sa présence était précieuse, si je pouvais me contenter de regarder son corps penché sur le volant, ses bras musclés, sa nuque, son nez sculpté.

- Il est trop tard de toute façon.

Ma tête retombait de déception. Il ne cessait de se trouver des excuses ou inventer des barrières à son art là où tout pouvait être à sa portée s'il le décidait. Avec l'énergie du désespoir je lui jetais mes dernières cartes.

- Alors pourquoi être venu à ma rencontre ? Pourquoi avoir voulu retrouver ma trace en assistant à un de mes concerts alors que tu aurais pu choisir de me revoir au détour d'une rue ?

Il avait mis du temps à répondre, comme si c'était la première fois qu'il y songeait lui-même. Puis il se mit à m'étudier comme une bête curieuse, passant ses yeux sur mon corps, de mes cuisses à mon front, passant par mes bras croisés sur ma poitrine, mes cheveux, le creux de mon cou.

- Parce que tu m'intriguait. Comme tu le fais maintenant.

Je ne pus m'empêcher d'en être terriblement troublée, ne contrôlant plus rien des mots qui sortaient de ma bouche.

- Que veux-tu dire ? Je ne comprends pas », balbutiai-je pendant que je sentais sa main dans mon dos me rapprocher de lui.

Je me retrouvais bientôt contre son torse, plus proche de son visage que je ne l'avais jamais été, où m'apparaissaient toutes ses subtilités, là un creux sous la pointe de son nez, ici une rainure sur la lèvre inférieure. Son expression avait changé. Il ressemblait à la brute silencieuse, le froncement de ses sourcils rendant son regard ténébreux mêlé à une pointe de ce que je devinais comme de l'envie.

« Tu as peur de moi, demoiselle ? » m'avait-il dit comme le soir de notre rencontre.

Mon cœur faisait des bonds dans ma cage thoracique. Puis ses yeux brûlants en plein dans les miens me remplirent de courage. J'avais fait non de la tête et l'avait laissé m'embrasser.

Love Me Tender│Elvis Presley [French]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant