On thy bosom let me rest

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Il avait dû se passer un mois. Un mois à apprivoiser nos corps, un mois de sueur et de tendresse sauvage, à se faire tout ce bien qu'on qualifie de vice.

En dehors de ces râles de jouissance, Elvis n'était pas ce qu'on aurait pu appeler un bavard, et j'aimais la couleur de son silence. Il avait tendance à observer, à toucher, comme s'il s'imprégnait sans arrêt de tout ce qui l'entourait. Le mystère le rendait encore plus imprévisible dans ses mouvements et ses paroles, un autre atout à ses charmes. 

Dans cette bulle de vie que nous nous étions créés, j'avais trouvé un foyer. Pour la première fois de ma vie un homme produisait un réel effet sur moi, me rendait vulnérable aux sentiments.

Un soir d'août, alors que ma peau nue était caressée par la tiédeur du soir diffusée par la fenêtre ouverte, je pensais à tout ce qui m'avait fait en arriver là, soucieuse du chemin que j'avais fini par emprunter. Avec au creux des reins la douleur du récent ébat qui avait été particulièrement virulent, je reposais sur sa poitrine, qui se soulevait au rythme de sa respiration.

Quand j'observais son visage assoupi j'étais pleinement apaisée, dénuée de toute pensée parasite, remplie de ce bouillonnement intérieur que je ne contrôlais pas. C'est en me détournant de cette vision que je divaguais à ressasser le voyage que j'avais acheminé. À ses heures sans fin à regarder la route, à penser à mon père, à ma quête de sens. 

Tu dois le retrouver. Démerde-toi comme tu peux, mais si le monde entier l'a oublié, il n'y a que toi pour le leur rappeler.

Il était bien vivant, un bras passé autour de moi. Dire que j'avais dans mon lit une légende de la musique, qui par-dessus tout me chérissait. Si parler d'amour était un bien grand mot, il était tout au moins attiré, attaché. Son langage corporel ne mentait pas. J'avais pourtant un pressentiment étrange chaque fois que je pensais à notre histoire, une sensation douce-amère.

Je l'avais senti reprendre conscience et renforcer sa prise autour de mes épaules, coupant court à mes réflexions.

- C'était bien, avait-il dit dans un soupir.

En guise de réponse, j'avais embrassé son torse.

- Tout va bien bébé ? m'avait-il demandé. 

Tant de choses me taraudaient. Or la seule idée de me défaire de son étreinte était insupportable, comme s'il suffisait qu'il ne s'éloigne pour que je réalise combien j'étais loin de chez moi. Je feignais d'aller parfaitement bien. 

Après avoir embrassé mon crâne il s'était étiré en poussant un son guttural puis m'avait serré très fort contre lui, m'étouffant presque.

- Laisse-moi rester, je t'en prie, m'avait-il supplié.

Je l'avais repoussé, pas d'humeur joueuse ce soir-là.

- Non je peux pas Elvis, bien que je raffole de nos petites activités j'ai besoin de me reposer je travaille demain, tu me déconcentre, avais-je répliqué en me levant.

Il m'avait saisie par la taille avant que je sorte du lit pour me renverser sur les draps froissés. Il avait mis une main sur mes yeux et s'était approché de mon oreille. Il avait commencé à fredonner.

You know I can be found sittin' home all alone

If you can't come around a least please telephone

Don't be cruel to a heart that's true

Il arrivait toujours à me faire rire, au-delà de tous mes états d'âmes, sa chaleur naturelle faisait le travail. 

Baby if I made you mad for somethin' I might have said

Please let's forget the past the future looks bright ahead

Don't be cruel I got a heart so true

Sa voix d'aussi près me procurait des frissons dans tout le corps. Papa, si tu savais.

- C'est pas juste. Tu sais que c'est mon point faible. Te laisser partir après t'avoir entendu chanter est un véritable supplice.  

- Sortons alors. Ça te ferait penser à autre chose, ce qui ne peut pas te faire de mal pour demain.

J'avais levé les yeux au ciel. 

- Quelle bonne idée. Boire avant de jouer du piano si c'est pour du blues pourquoi pas, si c'est du Rachmaninov je te laisse y aller à ma place.

- Alors d'après toi Rachmaninov est plus complexe à jouer que du Elmore James ou Ray Charles.

- J'en suis absolument certaine. 

Il avait ri sarcastiquement.

- La pianiste classique a encore tant de certitudes à défaire.

Je détestais quand il me prenait de haut. S'il savait toutes les heures acharnés que je passais penchée sur le clavier, bloquée sur un enchaînement d'accords.

- Parce que tu t'y connais en classique ?

- Assez pour savoir que tu peux te permettre une escapade avant une journée de travail.

J'avais soufflé du nez. J'en avais envie et il le savait, ne penser à rien d'autre qu'à ce moment hors du temps.

- Attrape-moi mon manteau. »

Il m'avait baisé la main et on était partis pour un nouveau trajet nocturne. Notre vie était rythmée par les musiques fortes et les corps dansants. C'est le monde qu'il me faisait découvrir, celui qu'il aimait, qui l'animait, quand il n'était pas le nez dans ses scripts et ses dialogues de série B.

Ce soir-là on s'était laissés portés par le hasard et étions entrés dans le premier endroit avec de la lumière et du bruit. C'était un bar comme tant d'autres, avec des gens qui jouaient de la guitare et des couples qui s'enlaçaient près du comptoir.

On s'était commandé du gin et on s'était mis à discuter avec les autres gens. Des sacrés numéros qu'ils étaient, avec leur moustache et leurs cheveux longs, ce groupe de musiciens qui traversaient le Tennessee en van.

Ensuite les rires, la tête qui tourne et Elvis près de moi.

Il devait être dans les deux heures du matin quand un des membres du groupe s'était assis sur une table et avait commencé à jouer une ballade country. Une histoire de crocodiles et de pauvres gens, teinté d'humour et de double-sens. On s'était tous balancé en rythme avec la musique qui remplissait nos verres et nos cœurs.

Quand il avait fini, il avait levé sa guitare en direction du groupe de cinq personnes que nous formions. J'avais hoché la tête, pris la guitare et m'étais approché de mon gars, lui tendant l'instrument.

Il avait rigolé et décliné d'un revers de main, fuyant mon regard insistant. J'avais saisi son menton et l'avais scruté bien en face.

« Elvis Presley, prends cette putain de guitare. »

Love Me Tender│Elvis Presley [French]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant