I took the blows and did it my way

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Je me réveillai douze heures plus tard avec un mal de crâne de tous les diables.

La pièce était plongée dans l'obscurité et le silence. On devinait tout de même une heure avancée de la journée, à voir les rideaux qui filtraient les rayons du soleil. Quand j'avais tenté de me relever je me cognais la tête contre le piano, ce qui, en plus de me provoquer une douleur intense me rappelait en grand fracas des émotions qui m'avaient saisies la veille.

Des notes surgissaient dans ma tête et faisaient trembler tout mon corps. La pièce entière s'était mise à tourner, si bien que j'avais dû m'appuyer contre le piano pour ne pas tomber à la renverse.

Après avoir fumé une cigarette, je m'installais sur le piano et tentais de mémoire de reproduire les accords qui m'étaient parvenus aux oreilles. Cela devait commencer par un ré majeur puis une septième de mi enchaîné sur une septième de la. Le processus se fit naturellement, et bientôt je m'étais sentis à l'aise à enchaîner les accords sans embûches, m'efforçant de me rappeler cette voix si extraordinaire qui portait la base mélodique.

Je déplorais de n'avoir plus à l'esprit que des fragments de voix, là un léger trémolo, ici l'écho d'un timbre baryton... Sur cette absence, les accords sonnaient vides et insipides. Semblable à une pulsion, l'envie de repasser le disque m'avait pris et n'allait pas me lâcher. Je désirais plus que tout au monde entendre à nouveau la voix qui m'avait charmée. C'était comme si l'homme avec qui j'avais passé la nuit s'était évaporé au petit matin, ne laissant derrière lui que le fantôme de sa présence.

John avait dû ranger son vinyle, il ne se trouvait plus sur la platine. Je me retrouvais bientôt à étendre mes recherches sur toute la pièce, fouillant les étagères, les recoins du bureau, regardant s'il ne s'était pas glissé derrière le piano, ma recherche devint frénétique quand je me mis à soulever les tapis, à ouvrir les autres pochettes de vinyle, il était peut-être à l'intérieur...

Je commençais à m'impatienter, alors je rentrais sans frapper dans la chambre de John. Je le trouvais torse nu, Samantha endormie sur sa poitrine.

« John ! réveille toi. »

Il avait sursauté à l'appel de son nom et je le trouvais de très mauvaise humeur, les cheveux en bataille et la voix rauque.

« T'es folle ou quoi ? Moi je te laisse dormir, qu'est-ce que tu veux ? »

Samantha ne comprenait pas ce qu'il se passait et avait rabattu le drap sur sa poitrine nue.

« Où est-ce que tu as foutu le vinyle d'Elvis ?»

- Qui ? De quoi est-ce que tu me parles ?

- Allez, le vinyle d'Elvis Presley, le chanteur de rock, il est où s'il te plaît ? »

Il avait pris une grande expiration et s'était levé du lit, disant à Samantha qu'elle pouvait se rendormir. Il avait refermé la porte derrière lui.

« Bon t'es réveillée, écoute c'est génial si tes heures de sommeil te suffisent, là moi je suis encore mort donc si tu pouvais me demander très vite ce que tu veux ça pourrait me permettre de me recoucher et tout le monde serait content.

- Je te l'ai dit. Je trouve pas le vinyle d'Elvis.

- Mais je sais pas qui c'est ce Elvis à la fin ! Tu dois confondre avec quelqu'un d'autre...Franchement Dalila je t'adore mais si c'est tu me réveilles pour me parler d'un mec que je connais pas t'es gentille mais tu peux te...

- Tu te moques de moi ou quoi ? C'est l'homme le plus connu de tous les Etats-Unis, je suis pas folle quand même ? Mon père était un grand fan, ta sœur aussi ! Tu l'as dit toi-même, je réveille mon côté rock 'n' roll !

- Dalila, t'es vraiment fatigante là... Allez, retourne te coucher ça vaudrait mieux.»

Sans autre forme de procès, il était retourné dans la chambre et en avait refermé la porte, me laissant dans le doute et l'incompréhension. Une impression très étrange m'avait envahie à cet instant, celle d'être la seule à détenir une vérité cachée des yeux du monde.

Mes futures recherches n'avaient fait qu'accroître ce pressentiment : aucun magasin de musique n'avait eu vent de ce "Elvis, King du Rock and Roll", de mêmes que les passants qui m'avaient dévisagé lorsque je leur avait demandé tour à tour s'ils connaissaient l'existence du chanteur déchu, il s'agissait à chaque fois des mêmes réponses "jamais entendu parler, désolé" ; "Elvis ? Inconnu au bataillon" ; "Un homme blanc qui chante et danse comme un noir, et puis quoi encore !". Tous ces éléments semblaient faire s'orienter, se préciser, rendre évidente cette vérité aussi incompréhensible qu'indéniable : le monde s'était transformé en une nuit.

La réalité que j'avais connue la veille avait bousculé en une autre le lendemain. C'était lunaire, dénué de tout sens logique mais qui m'aurait cru ? On m'aurait tout bonnement prise pour une folle. Je n'étais d'ailleurs pas loin d'en être convaincue moi-même.

Le souvenir de mon père me parlant de son idole s'imposait si réel à ma mémoire que je ne cessais de me demander comment ma vision de la réalité pouvait-elle avoir été ainsi bouleversée sans explications. "Un monde sans Elvis n'aurait aucun sens" m'avait dit mon père, des mots lourds de sens désormais.

Pourquoi diable cherchait-on à me tourmenter d'une si étrange manière ? Seule une raison déterminée pouvait être à l'origine de cette comédie absurde. On me chargeait d'une mission, d'une quête. Le destin me faisait tourner en bourrique et je devais trouver pourquoi. C'est du moins ce que je m'efforçais de penser pour ne pas sombrer dans le flou absolu.

C'était après une journée particulièrement éprouvante à travailler une partita de Bach, tourmenté par la voix que j'avais perdue, assise à mon piano, les doigts suspendus au-dessus du clavier que la nature de la quête m'était apparue, une révélati...

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C'était après une journée particulièrement éprouvante à travailler une partita de Bach, tourmenté par la voix que j'avais perdue, assise à mon piano, les doigts suspendus au-dessus du clavier que la nature de la quête m'était apparue, une révélation délirante mais terriblement stimulante pour un esprit tourmenté comme le mien à cette époque.

Tu dois le retrouver. Démerde-toi comme tu peux, mais si le monde entier l'a oublié, il n'y a que toi pour le leur rappeler.

Love Me Tender│Elvis Presley [French]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant