You touch my hand and I'm a king

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Dédié à DoableFireLight2S, allez checker sa fic géniale ;)

« Empare-toi s'en je te dis, et s'il ne se passe rien en toi, ne serait-ce qu'au toucher de cette foutue guitare, je t'en prie fracasse-là sur mon crâne. »

L'expression qui parut sur son visage était indéchiffrable, une absence aussi soudaine que brève avant qu'il ne se décide à prendre l'instrument de mes mains, qu'il avait étudié à passer une main sur le manche, l'autre à prêter attention au son des cordes, les accordant au fur et à mesure. Méticuleux dans ses gestes, aussi attentif qu'avec le corps d'une femme.

Et puis il avait entamé quelques accords, et tout d'un coup la guitare qu'il avait dans les mains était sienne, depuis des lustres, des éternités. Le rythme était devenu enflammé sur cette base de blues qu'il parcourait de ses doigts agiles, c'est alors qu'il s'était raclé la gorge et avait commencé à chanter, d'abord réservé pour lui-même puis criant presque, comme pour dominer la guitare et la musique entière.

Well, that's all right, mama

Elvis Presley, je découvrais enfin l'artiste. C'était celui que j'avais à mes côtés, dans mon lit, une bête monstrueuse, terrifiante, qui bougeait en même temps qu'il chantait, en même temps qu'il jouait, un gourou qui nous envoûtait. Un homme comme le monde n'en avait jamais vu.

That's all right for you

Autour de lui, les tables commençaient à s'agiter, les têtes curieuses stoppaient leurs conversations pour prêter attention à cet individu provenant d'une autre dimension. Bientôt une horde de gens s'était joints à notre groupe, les uns balançant la tête, d'autres complètement estomaqués, des filles toutes rouges à côté de moi. Même le barman avait cessé de servir les bières, accoudé au comptoir, sourcils froncés.

That's all right now mama

Comment un seul homme accompagné d'une simple guitare pouvait-il provoquer une musique si puissante et galvanisante ? Sous son tailleur sa chemise beige se mouvait au gré de ses mouvements de bassin, conscient de l'effet qu'il engendrait, il était souriant, presque rieur, ce qui avait le mérite de le rendre effronté en plus d'être provoquant.

Just anyway you do

J'avais vu des gens sortir, outrés de ce diable qui par ses gestes et sa voix représentait le péché même. Le reste du bar était comme fou. Il en avait créé du vacarme, entre ceux qui sifflaient, ceux qui tapaient dans leurs mains, quand d'autres s'étaient mis à danser, hypnotisés.

Il sortait de sa cage, ce chien qu'on avait enfermé dans une voie qui le détournait de sa destinée.

« Bordel c'est qui ce mec ? » avait sorti une nana à côté de moi.

Je n'avais su quoi lui répondre. À cet instant je me remémorais les étoiles dans les yeux de mon père, quand, devant la télévision, ce drôle de type en noir et blanc, ce gosse venant de Tupelo avait fait vibrer l'Amérique entière.

Désormais je comprenais. Il avait fallu que je le vive, que je l'expérimente de toutes les manières pour comprendre qu'Elvis n'était pas qu'une voix mais un corps en mouvement, fait de chair et d'os qui pourtant était possédé par un don, une énergie qui le traversait, qui répandait, lumineuse, salvatrice, une musique qui transcendait les couleurs de peaux, était faite pour être clamée, criée, hurlée à plein poumons, à s'en user les cordes vocales.

Quand il avait fini, se passant une main dans les cheveux, un timide "merci" sortant de sa bouche on l'avait ovationné comme aucun autre musicien de ce soir. Du parfait inconnu il s'était transformé en l'attraction de la soirée, on se rassemblait autour de lui, tout le monde cherchait à savoir d'où il venait, on lui offrait des verres, les filles se rapprochaient dangereusement de lui, lui demandant son nom.

Isolée à une table du fond, j'assistais à la scène en spectatrice, le laissant avec son public. Le regard fusionnel qu'on s'était échangé à la fin de son morceau avait suffi à me persuader de sa dévotion. J'aimais à voir l'effet qu'il produisait chez les hommes, les femmes, j'aimais les yeux dévorants qu'il avait pour ces gens qu'il avait impressionné avec un rien.

Il avait fini par me rejoindre et m'avait saisie par les hanches pour me soulever et me serrer fort dans ses bras, prononçant mon nom de manière singulière. Toute proche de lui, envahie de son odeur je ressentais les sensations de son corps contre le mien comme la toute première fois. Je l'avais désiré si fort à ce moment.

Sur le chemin du retour il s'était attardé à garder une emprise autour de mes épaules, et je lui trouvais un air insouciant bien loin de son masque de brute qui me troublait parfois. On s'était embrassé dans l'obscurité d'une ruelle, il ne cessait de regarder mes yeux, de caresser ma joue.

« Tu recommences, avais-je glissé.

- Quoi ? m'avait-il demandé en reprenant son souffle.

- Ce mouvement de tête que tu fais quand tu m'embrasses, ta technique d'acteur hollywoodien.

Il avait ri, un son chargé de chaleur et de timbre.

- J'ai embrassé un grand nombre de femmes tu sais.

- Je n'en doute pas, chanceuses qu'elles sont, avais-je dit en venant lier mes mains derrière son cou.

- J'ai envie de toi, m'avait-il dit.

- Je sais. »

On s'était allongés sur l'asphalte, l'alcool monté au cerveau. Sur notre lit de goudron Elvis avait commencé à parler.

« Dalila ?

- Humm?

- Il y a des choses que tu m'as dites le soir de notre rencontre que personne ou presque n'aurait pu savoir.

Je rougissais, impatiente de découvrir la suite de ses paroles. Dieu sait combien j'avais attendu qu'il se livre enfin.

- J'veux dire, comment tu pouvais être au courant de ce que représente pour moi le gospel et le blues ? À vrai dire je ne t'ai jamais prise pour une folle. J'avais peur tu vois. Je crois en dieu et maintenant j'en suis sûr, on ne t'as pas mis sur mon chemin par hasard.

Il avait pris ma main et l'avait embrassé puis avait entrelacé ses doigts dans les miens, les avait placé au creux de sa poitrine, là où se trouvait son cœur.

« Ma mère m'a toujours dit que je deviendrai quelqu'un de grand, mais que que ça nous séparerait. Quand elle est morte il y a deux ans j'ai arrêté la musique, j'aurais dû partir de Memphis et c'était comme faire une croix sur elle, briser une promesse et il en était hors de question. J'ai commencé une carrière d'acteur ici-même, pour la garder près de moi...

Le long de son visage de héros mythologique, aux traits parfaitement sculptés j'aurais juré avoir vu l'ombre d'une larme couler sur sa joue. Je comprenais qu'il souffrait pour elle d'un amour inconditionnel, que sa mort avait ouvert une plaie dans son âme qui resterait lancinante pour toujours.

J'avais renforcé l'enchevêtrement de nos mains liées.

- Et puis t'as débarqué, avec tes cheveux roux et ton look de hippie et tu m'as balancé ce futur qui aurait dû être le mien. Et depuis que je traîne avec toi, cette partie de moi que j'ai tant renié semble prête à exploser. C'est comme si j'avais dû le faire il y a bien longtemps. J'ai l'impression qu'elle m'envoie un message, que je suis prêt maintenant.

La gorge serrée, retenant des sanglots longs, je lui avait dit :

- Elle serait si fière de toi. »

Chères lecteurs, chères lectrices merci d'avoir lu cette histoire. Quelques mots pour clarifier un peu le tout : nous sommes en 1957, j'ai donc imaginé que Gladys, la mère d'Elvis soit morte prématurément deux avant, soit en 1955 et que c'est cette événement qui ai fait chaviré le destin du King. J'espère que ce dénouement vous plaît, n'hésitez pas à me le signifier par des votes et des commentaires, merci à tous qui le font déjà et me soutiennent, vous êtes des soleils !

Love Me Tender│Elvis Presley [French]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant