Se croire en vie après une tempête est aussi vraisemblable que se penser mort au milieu d'un café, cette pensée fut la première à émerger de son esprit en ouvrant les yeux. Allongée dans les restes d'une eau chaude et peu profonde, le temps semble comme arrêté. C'est donc ça la mort ? Cette jungle de feuilles qui la regarde ? Impossible. Je dois faire fausse route. Ou suis-je ? Et le bateau ? Ma mère ? Ses interrogations ne vont pas plus loin, un spasme incontrôlé la contorsionne, faisant jaillir tous les fluides contenus par ses poumons durant sa longue agonie. Ce n'est définitivement pas la mort, ou du moins pas l'image qu'elle s'en est toujours faite. Son corps s'apparentant à un tas de brindilles brisées, cette impression désagréable d'avoir été lavée ne la quitte pas et l'horrible mélodie de la migraine chante dans son crâne, encore et encore après avoir manqué d'oxygène pendant si longtemps. Mais pendant combien de temps au juste a-t-elle sombré dans les flots ? Et pour finir où ?
Difficilement, elle s'agenouille. Le fond étrangement noir de l'eau est loin du sable chaud des îles, pouvant plus être défini comme une terre morte. Elle n'aurait su dire s'il faisait nuit ou jour ; la végétation abondante voilant la vue du ciel, pourtant elle voit comme en pleine journée, du moins, aussi bien que faire se peut sans ses lunettes. Ses sens s'éveillent un à un, suivis de près par un stresse grandissant. Rien ne lui parut familier, ni le bourdonnement incessant des insectes, ni les bruissements sauvages de la nature. Et au loin, un fracas répétitif la pousse à imaginer la taille vraisemblable d'une chute d'eau. La jungle, d'apparence, n'en est pas vraiment une. Elle paraît subtile, organisée dans une certaine mesure. Les couleurs semblent plus vives comme recouvertes d'un filtre chaleureux. Une odeur sucrée plane dans l'air, murmurant à qui veut bien l'entendre une promesse de délice. Mélangés à ce doux parfum, se distinguent la fraîche reconnaissable du printemps et les embruns lointains de ce qui s'apparente à une étendue d'eau qui ne sait pas se faire discrète.
Ses mouvements sont hachés, ralentis par le froissement de ses muscles et le poids de vêtements lourds d'humidité. Le dos tendu, elle ressent chaque partie de son corps lui crier haut et fort qu'elle devrait être morte. C'est par l'unique force de la détermination que, chancelante, elle avance autrement... Mieux vaut ne pas y penser.
Je vais rentrer chez moi. Je vais trouver le chemin. Je vais retrouver ma mère. Elle est saine et sauve. Ses affirmations tournent tel un disque dans son esprit, la poussant à oublier tout le reste. Les regrets, la douleur, la peur. Il faut avancer. Il faut avancer. L'affirmation se faufile un chemin jusqu'à son esprit, et par miracle la curiosité ressurgit, perdue dans la contemplation de ce qui l'entoure, faisant de l'ombre au reste.
Le chemin, pavé de pierres grises, la guide entre les feuilles gigantesques de la luxuriante végétation. Des plantes telles qu'elle n'en a jamais vu, pas même dans les cours de botaniques les plus avancés. Une sensation étrange l'étreint, jamais elle n'avait vu les herbes et les fourrages avoir un tel respect. La nature envahissante s'incline presque devant ce qui semble être les derniers vestiges d'une civilisation lointaine. Aucune liane n'effleure la mosaïque de dalles au sol, ni les petites statuettes de ce qui semblent être des créatures venues tout droit de livres fantastiques. Cachés, par-delà les branches moussues et l'enchevêtrement de racines hautes, se dessinent les contours flous d'un petit muré. Au plus elle s'en approche, plus elle comprend l'énormité de sa méprise. Ce qui semblait être le vestige de briques superposées est en réalité le commencement d'un pont de pierres surement vieux de plusieurs siècles. Ce dernier la relie, ainsi que toute la jungle la précédent, à un temple aux mille marches, niché fièrement sur les chutes d'eau dont le bourdonnement se ressentait jusque dans ses os au fin fond de la forêt la suivant. De toutes part des oiseaux voltigeaient, des bêtes comme jamais vu, dont la queue longue bordé de plumes bleues nuit traçait des formes sur leurs passages. Tout, en ce lieu, était inexplicable pour son cerveau terre à terre. Pas après pas, son bon sens prenait la fuite.
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Une Cité de Larmes et de Poussière
ParanormalAlors qu'elle vient tout juste d'obtenir son diplôme, la jeune Ikal ne rêve que d'une chose, pouvoir renouer avec sa mère qu'elle ne voit que trop peu. Mais c'est par une malheureuse journée de tempête, à bord de l'Atalante, que sa vie va basculer...