Chapitre 1

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Péline me regardait courir sous la pluie. Bien à l'abri sous le préau. Sans regarder son visage, je pouvais dire qu'un sourire s'était dessiné sur ses lèvres, caché sous son voile. L'eau dégoulinait le long de mes longs cheveux bruns. Lorsqu'elle parvenait à se faufiler dans mes vêtements, un frisson remontait sur toute la longueur de mon dos - malgré la saison, les gouttes restaient froides. Je m'arrêtai un instant pour regarder ma cousine. Je lui avais proposé de me rejoindre, connaissant par avance sa réponse. Nées à un mois décart, dans une famille proche, nous avions grandi ensemble. On se connaissait par coeur.

Fille du roi, elle n'était pas aussi libre que moi. Nos parents nous avaient fait étudier les mêmes leçons, avec les mêmes professeurs et nous avions eu une seule nourrice. Cependant, Péline n'avait jamais oublié qu'un jour, elle serait promise à une tête couronnée, alors que moi, n'étant que la nièce des souverains, je savais que les grands de ce monde ne s'intéresseraient pas à moi. Là était notre plus grande différence. Elle affectait beaucoup nos caractères. En public, je me tenais sagement aux côtés de ma cousine. J'étais de sang royal et il était de mon devoir de faire honneur à ma famille. Mais mon comportement se relâchait dans la sphère privée. Péline ne s'autorisait pas cette liberté. C'était pourquoi je me trouvais en ce moment seule sous la pluie.

L'an dernier, une fête s'était tenue au village. Sans surprise, je n'étais pas parvenue à convaincre Péline de m'y accompagner. Juste avant que je ne referme la porte, elle mavait glissé : « Profite bien pour moi ! ». Cette phrase m'avait marquée. Depuis j'essayais davantage de la faire sourire quand je m'amusais librement. Pour son titre, elle s'était interdit certains faits et gestes, alors j'espérais qu'elle pourrait les vivre à travers moi.

Assise bien droite sur un rebord de mur, Péline me lança :

—Adria ! Rentrons avant que tu n'attrapes froid !

Je me tournai finalement vers elle. Je fus surprise de trouver une triste mine. Je m'avançai vers elle et m'installai à mon tour. Prévenante, ma cousine me tendit un linge que j'utilisai, reconnaissante.

—Qu'est-ce qui se passe, Péline ?

—Tout à l'heure, Père m'a annoncé qu'il m'avait fiancée.

Sous le coup de la surprise, je restai muette. Je savais que ce jour arriverait, mais pas aussi tôt. De plus, le royaume avait subi récemment plusieurs crises. Séparément, elles n'étaient rien que les souverains ne pouvaient surpasser facilement. Leur proximité temporelle avait cependant compliqué la situation. J'étais loin de m'imaginer qu'ils avaient l'intention de célébrer une union en cette période mouvementée.

—Mon oncle et ma tante ont dû te trouver le meilleur des fiancés, répondis-je machinalement.

C'était ce que les gens avaient l'habitude de dire à l'annonce d'un mariage. Je trouvais cette remarque ridicule et peu sincère. Mais la nouvelle était si inattendue que je ne pouvais trouver d'autres mots. Je savais bien qu'un jour je serais séparée de Péline, celle que j'avais depuis toujours considérée comme ma moitié. Je commençais seulement de comprendre les véritables conséquences que cette union engendrerait.

—Je suis fiancée au second prince de Gortthorn, Adria.

—Quoi ?! Tu veux dire Kirrogstag ? Pourquoi ? Tout le monde sait qu'il est sans cur. Pas seulement lui, tous les gens de Gortthorn sont des barbares.

—Mère m'a confié que nous avions besoin de cette alliance. L'état de nos finances et de notre armée ne nous permet plus de faire face à la menace que ce royaume représente. Une invasion nous serait fatale.

—Nous avons des alliés ! De plus, tu t'entendais bien avec le prince Gahr. Son père dirige l'armée la plus puissante jamais connue !

—Adria, réfléchis à ce que tu dis. En ce moment, nous sommes la proie. Tout le monde le sait. Qui voudrait une alliance avec nous ? Nous n'avons plus rien à apporter qui vaille la peine de nous supporter un cas de guerre. Père dit que c'est miraculeux qu'ils soient parvenus à un accord avec la famille Neulkahn.

Je regardai ma cousine. Elle n'avait sans doute pas protesté contre ses parents et ne le ferait pas. Sa loyauté surpassait ses peurs et sa colère. Comme Péline l'avait fait toute sa vie, elle se pliait aux ordres de ses parents.

Le messager qui avait apporté la décision finale du souverain de Gortthorn ne devançait son fils que de deux jours. C'était le temps qui restait à Péline avant d'être une femme mariée. C'était le temps qui nous restait. Parce que la résidence des Neulkahn se trouvait à des centaines de kilomètres de chez nous. Quatre semaines étaient nécessaires lorsque le temps était favorable. Le royaume de Gortthorn était connu pour ses longs hivers et un peuple à l'image de la météo : dur, froid et inhospitalier.

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