Chapitre 6

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Je me présentai au petit matin dans la cour avec un manteau qui recouvrait la moitié de mon visage. L'hiver se faisait à présent sentir et j'avais besoin de cacher ma mine désastreuse. Notre escorte de cinq soldats vérifiait les sangles de nos montures. Je vis nos bagages entassés sur une charrette, Nemy s'installa à l'avant avec un garde. Kirrogstag nous rejoignit, il s'étonna de ne pas trouver de carrosse. En effet, je n'avais aucunement l'envie de revivre notre premier voyage ensemble. Pour avoir étudié les routes qui nous attendaient, je savais qu'elles seraient plus sinueuses et caillouteuses. J'avais donc fait préparer un cheval plutôt qu'une voiture.

—Je ne savais pas que vous saviez monter, s'étonna Kirrogstag en me voyant enfourcher mon cheval.

J'ajustai ma posture, raccourcis les rênes et, sans lui accorder un regard, répliquai :

—Vous ignorez beaucoup de mes capacités.

J'étais de mauvaise humeur et je n'avais aujourd'hui aucune envie de le cacher sous un sourire et des paroles polies. On me ballotait d'un palais à un autre, me gardaient à l'écart des affaires importantes comme si je n'étais qu'une enfant ou que je ne faisais pas réellement partie de leur famille, on me reprochait à tort et à travers la faute qu'avait commise ma cousine. J'en avais assez supporté. J'étais arrivée à un point où j'étais prête à défendre la fuite de Péline si quelqu'un osait encore une fois l'évoquer. Parce que tout ce qu'elle voulait c'était se libérer de ce futur qu'elle savait hors de son contrôle.

Je talonnai mon étalon marquant le départ de notre expédition. Je fus de très mauvaise compagnie. Tout ce qu'on m'avait imposé, fait supporter, dit et reproché, je ne parvenais plus à les tasser au fond de mon esprit. Mon humeur ne s'améliora que lorsque la ville de Seiweledèr nous ouvrit ses portes. Pour la première fois de ma vie, l'attention se portait sur moi. Non parce que je me faisais passer pour ma cousine ou parce que j'étais l'épouse du prince de Gortthorn. Je savourais cet instant durant lequel je passais avant Kirrogstag. Ma confiance s'enhardit. Sur la grande place, nous descendîmes de nos montures. L'adjoint du commandant nous y attendait. Il nous salua, le reste de ses paroles ne me parvinrent pas, car une femme m'interpella. Elle m'avait saisi le bras qu'un soldat de notre escorte fit mine de libérer avant que je ne l'arrête.

—Princesse Adria ! Nous sommes ravis de vous voir ici ! Les soldats d'Asaçbjörn sont presque tous repartis, nous craignons de perdre nos emplois et maisons.

—Et des représailles ! s'écria un homme dans la foule.

Les terres de Kyealetht souffraient depuis des décennies de problèmes identitaires. Pendant mes recherches, j'avais découvert à quel point les pays de notre continent étaient dépendant des plantes que l'on faisait pousser dans la région. Principalement utilisées pour la médecine et le cosmétique, certaines plantes requéraient un environnement que les terres du Nord pouvaient leur fournir, mais elles avaient besoin de soins particuliers que le peuple se transmettait de génération en génération. Personne n'était encore parvenu à les faire pousser autre part. Kyealetht était donc la poule aux ufs d'or pour celui qui le possédait. J'avais alors compris la perte qu'avait subie Asaçbjörn en se retrouvant forcé de la céder. Un centre hospitalier s'était développé non loin de l'endroit où nous nous trouvions. Il accueillait patients et chercheurs provenant des quatre coins du continent. C'est ainsi que la plus grande bibliothèque du domaine médical avait été construite. Étonnamment, un centre d'entraînement pour soldat avait également vu le jour. J'étais passée rapidement sur le sujet, tout ce que je savais c'était qu'il était réputé. Ces deux institutions étaient à l'origine de ces problèmes de division dans la population locale. Les descendants des habitants nés de ces terres se sentaient appartenir au royaume de Gortthorn, mais les immigrés n'avaient pas oublié leur pays d'origine et leurs valeurs s'étaient conservées dans les familles. Si aujourd'hui la population asaçbjörnoise était si présente, c'était parce que mon oncle avait envoyé nombre de ses chercheurs sur place afin de faire avancer notre médecine.

Les routes du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant