Chapitre 1

275 12 1
                                    

- Non mais quelle blague ! Je plains franchement les 35 pauvres filles qui seront choisies !!
Une enveloppe portant le cachet royal dans la main, maman a explosé.
Assis à la table pour dîner, mes quatre frères, mon père et moi, tâchons de rester silencieux pour ne pas envenimer la situation. Après tout, maman a ses raisons d'être en colère. Quand elle était jeune, ma mère a participé à la Sélection du roi -prince à l'époque- Maxon Schreave, et leur histoire incroyable n'est un secret pour personne dans tout Illeá. La sélectionnée America Singer, caste 5.
Dès les premiers jours, ils se sont très vite rapproché. Ma mère est vite devenue la favorite du roi Maxon. Enfin du prince Maxon. Le père de Maxon, c'était une autre paire de manche. En effet, les idées de ma mère n'étaient pas au goût du roi de l'époque. Ça a bien compliqué l'affaire… Pourtant, pendant toute une période, le peuple a bien cru que ma mère finirait quand même reine, et que la situation de la société changerait beaucoup. Mais le prince a fini par choisir Kriss.
D'après ma mère, c'est à cause du manque d'honnêteté de Maxon, et de sa peur de bousculer sa petite tranquillité. D'après mon père, c'est à cause de leurs disputes continuelles sur leurs sentiments respectifs. J'aurais plutôt tendance à croire mon père car je sais que maman ne nous dit pas tout. Peut-être par simple pudeur... Je respecte ça et c'est pourquoi les hypothèses de mon père n'ont jamais été soulevées devant elle.
Par ailleurs, il faut dire que tout ça, c'est aussi un peu une histoire de politique. Le nouveau couple royal a changé beaucoup de choses qui n'auraient sans doute pas été changées de la même manière si ma mère avait été au pouvoir. Le système de caste par exemple : il n'a pas encore été aboli -notez bien que je dis "pas encore"- mais plusieurs améliorations progressives sont arrivées. Au niveau de la rémunération notamment, et de la répartition des tâches, pour que les castes les plus basses ne soient plus les plus pauvres. Et puis surtout : une nouvelle caste est apparue. La caste 0.
C'est une création qui tend vers l'abolition des castes.
On choisit d'y entrer comme on veut. Une caste où tu n'es ni un 2, ni un 4, ni un 8... Autrement dit, tu peux être à peu près ce que tu veux. Quand on est dans cette caste, le mariage avec une personne d'une autre caste est -par exemple- beaucoup plus simple. Pour le travail aussi, c'est plus libre. On ne peut pas réellement travailler pour nous-même -on ne peut que travailler en tant qu'aide pour une autre personne- mais on peut aider à n'importe quel métier. On a donc beaucoup plus de choix !
Ma famille et moi faisons partie de cette caste 0.
Ça a l'air beau tout ça... le problème, c'est que les changements ont du mal à se faire dans la mentalité des gens. Pour l'égalité des castes par exemple : si jamais une personne de caste basse arrive à mieux gagner sa vie grâce à ce système, elle décide aussitôt d'acheter sa place dans une caste supérieure... donc finalement, rien ne change réellement.
Quant à la caste 0, c'était une bonne idée. Mais beaucoup de gens n'osent pas s'y risquer. Et, comme à cause de l'ignorance cette caste est un peu crainte, donc méprisée, il est plus difficile d'en sortir que d'y entrer. Bref, il y a encore du boulot… Et quand il y a du boulot niveau politique, la tradition veut qu'une sélection s'organise pour distraire le peuple en attendant : Trente-cinq jeunes filles, pouvant venir de partout, qui vont tenter chacune de conquérir le cœur du prince !
C'est aussi cette distraction -qui a pour but de faire oublier un peu les problèmes politiques au peuple- que maman désapprouve. Elle considère ça comme de l'hypocrisie...

Alors que j'absorbe les dernières gouttes du potage que j'ai moi-même préparé avec ma mère, celle-ci se lève de table. Dans ses mains crispées, elle tient toujours l'enveloppe.
- En fait, je crois que je vais régler le problème tout de suite ! Ça sera fait.
Je jette un coup d'œil inquiet à mon père. Il me fait signe que ça va aller. Maman s'éloigne de la table pour s'approcher de la cheminée. Quand je comprends ce qu'elle s'apprête à faire, j'ai envie de protester. Mais je n'en trouve pas la force. Après tout, je m'en contrefiche de ne pas participer à la Sélection, et je sais bien que ma mère serait catastrophée à l'idée que j'en fasse partie. Alors je ne dis rien quand elle jette l'enveloppe de demande de participation dans les flammes.
- Voici ma réponse votre majesté !!, affirme-t-elle, furieuse.
La fin du repas se fait dans le silence. Je range la table sans un mot avec l'aide de mon frère jumeau, Cône, et de mes deux petits frères, Janvier et Maxence. Notre grand frère, Louis, en est dispensé puisqu'il doit se reposer avant d'aller travailler de nuit en tant qu'aide-infirmier à l'hôpital.
Quand nous avons fini, je monte vite dans ma chambre pour me retrouver seule. Finalement, je ne le reste pas très longtemps puisque bientôt, mon père vient me rejoindre.
- Victoria ? Je peux entrer ?
Il ne me laisse pas le temps de lui donner mon autorisation. Refermant la porte derrière lui, il vient s'assoir sur mon lit, près de moi.
- Je suis désolé du comportement de ta mère ma chérie. Mais je sais que tu peux comprendre.
Je lis dans ses yeux l'amour qu'il porte à ma mère, comme à chacun des membres de notre famille. L'amour auquel je me suis toujours accrochée.
- Je comprends papa, ne t'en fais pas. Je sais que je n'aurais pas dû me montrer enthousiasme quand j'ai appris que la lettre de la Sélection était arrivée... Ce n'était pas correct pour maman.
Mon père secoue la tête.
- Ce n'est pas tant ta réaction que ta mère désapprouve. Elle est juste choquée par la Sélection. Je crois qu'elle avait espéré qu'il n'y en aurait plus après les catastrophes de la dernière.
Après un petit temps de silence, il rajoute :
- Elle trouve que ce n'est qu'un petit jeu horrible et il n'est pas question pour elle de t'impliquer là-dedans. Et là-dessus je suis d'accord.
Je ne réponds rien.
Qu'est-ce que j'en sais moi ? Je ne le connais pas le prince Joshua Schreave, mais lui ne nous connait pas non plus après tout. Une rencontre comme la Sélection doit peut-être être considérée simplement comme une occasion de faire connaissance... mais je sais que mes parents ne le voient pas comme cela. Je ne sais plus trop quoi en penser.
- Ne t'inquiète pas pour ta mère, continue mon père. Cette petite crise va lui passer et bientôt, on n'en parlera plus ! Tout redeviendra comme avant quand les sélectionnées seront choisies et que tu ne figureras pas parmi elles. Promis.
Sur ce, il embrasse tendrement mon front et me souhaite bonne nuit. Je lui souris en retour tout en retournant ses dernières paroles dans ma tête. J'espère qu'il a raison. J'espère que la diffusion de la Sélection ne va pas continuer d'irriter notre mère de la sorte. Je n'aime pas la voir dans cet état.

La Sélection de Victoria (T1) - DescendanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant