22h44

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« le silence ne t'accompagnera plus ». 

Gaelle relisait le message de Troy, tout en regardant la place du héros qui sommeillait, éclairé par la pleine lune qui était maintenant complètement dévoilée. 
Cette phrase l'alarmait, sans qu'elle puisse bien en comprendre la signification. 

Elle ne pouvait refouler l'angoisse qui accaparait de plus en plus son esprit mettant tous ses sens en alerte. Ses doigts devinrent moites. Sa transpiration fouettée par la brise persistante glaçait son être de la tête aux pieds. Elle avait du mal à sentir le bout de son nez. L'odeur de moisissure la prenait à la gorge. 


Elle ressortit une cigarette et le bruit du frottement de la pierre du briquet se répercuta en écho sur les murs de la place. Elle trembla quand elle inspira et expira sa première taffe.

Gaelle regardait l'heure sur son portable.
Elle appuya machinalement sur l'application de son réseau social. Dix abonnées de plus.
Malgré la crainte qui tenaillait son estomac, ces nouveaux arrivants lui donnaient des frissons de joie.
Aussi, elle allait reprendre son live quand un brutal claquement de porte la fit sursauter. Ses yeux s'écarquillèrent, cherchant partout la provenance de ce son. Sa respiration s'accéléra. Alors que son esprit restait figé par la peur, son corps, lui, se déplaça suffisamment pour ne plus être au niveau de la ruelle qu'elle venait de traverser. Comme s'il sentait qu'il ne fallait pas demeurer ici.

Elle devait se mettre en route. Son cerveau lui indiquait de renoncer. Il la suppliait de faire demi-tour. Mais elle était tenace et l'attrait pour ses nouveaux followers si durement acquis la fit avancer et de nouveau déverrouiller son portable. Jetant sa cigarette terminée sur le sol, et laissant les volutes de fumée s'envoler derrière elle, elle appuya sur direct :

— Toujours là. Toujours vivante. Et toujours aussi seule, annonça-t-elle d'une voix faussement enjouée a ses followers.

Elle commença à faire le tour de la place, rasant les murs de peur de trop s'exposer à quoi que ce soit si elle se mettait au milieu. Toutes les histoires des tueurs en séries qu'elle adorait regarder lui revenaient en tête. Ceux qui attendaient tapis dans l'ombre, jouant avec leur proie comme un chat avec une vulgaire souris. Se délectant des sévices qu'ils allaient pouvoir faire subir à cette jeune fille si frêle et sans défense. La jeune fille se demandait si elle allait finir dans la rubrique nécrologique du journal de sa ville. Si elle était un fait divers malaisant. Est-ce qu'on ouvrirait une cellule psychologique quand on retrouverait son corps ? Les images et les commentaires de ces émissions à succès l'habitaient et son angoisse n'en était que renforcée. Il pouvait très bien s'en trouver un ici et maintenant, se disait-elle.

Gaelle compta les rues, étant attentive au moindre bruit : une gouttière qui laissait échapper de l'eau de son conduit, le gravillon qu'on effleurait qui dévalait la route, le parquet des maisons abandonnées qui grinçait de l'extérieur. 
Elle regarda aussi son portable, tentant de lire ce que ses internautes lui écrivaient.

— Whoua c'est hyper creepy comme ambiance ici

— La meuf est dingue

— Tu es sûre d'être seule ?

Son organe vital se pressa devant cette dernière phrase. Gaelle se demanda si elle n'allait pas bloquer cet individu. Il ne lui facilitait pas la tâche et l'effrayait encore plus.
Alors qu'elle réfléchissait... Un grincement derrière elle se produisit... 
Elle se trouvait au niveau de la rue de la catastrophe. La rue des écoles. La rue de l'accident. 


Elle se retourna prudemment, sentant son dos bruler par la terreur. Son cœur fit une embardée quand elle vit sur le socle de la statue, le tag d'un pentacle à l'envers. Ses yeux se dirigèrent ensuite vers l'immeuble, derrière cette statue, celui qu'elle avait quitté à peine cinq minutes auparavant. La fenêtre du rez-de-chaussée, qu'elle était sûre d'avoir vu fermée, était ouverte. Elle glissa son regard partout sur la place, mais ne vit rien.
Mais elle sentit... L'odeur de fumée de cigarette. Au sol, se trouvait un mégot vaguement fumé et à côté, comme sorti subitement du sol pavé, un message écrit à l'encre sombre : 

"encore une ?".

Son cœur eut un raté. Tremblante, Gaelle s'approcha pour être sûre de ce qu'elle distinguait sous la lumière de sa lampe torche, et alors elle vit les nuances de pourpre dont se parait la prose macabre. Cette couleur lui faisait penser à...

— Putain, lâcha-t-elle.

Elle se redressa vivement et se mit à courir. Ses pas s'écrasant contre les pavés, éclaboussant ses vêtements quand ceux-ci entraient en contact avec les flaques d'eau. Sa lampe torche vacillait, éclairant partiellement des morceaux de rue, d'immeuble, de trottoir, de chaussure, de fenêtre, de magasin, de... 
 Gaelle s'arrêta. Les larmes aux yeux. Le live toujours activé. Elle avait vu des chaussures.

— Putain j'ai vu des chaussures !

— whaaaaaat !?

— Non, mais là
.

— Les gars sans rire, je stresse à mort là. Vous avez vu ça ? Je suis pas folle !

Gaelle projeta sa lumière partout, mais rien, rien qui ressemblait à des souliers ne paraissait émerger de l'ombre. Elle éclaira une fenêtre et cria. Un visage.
Elle en était certaine. Elle avait vu un visage.
En ramenant le faisceau sur cette fenêtre, plus rien. Simplement un rideau de crochet qui s'agitait à cause du vent. Son esprit était-il en train de devenir fou ? 


Gaelle avait envie de vomir. De se cacher. De fuir. De courir. Elle continua de progresser, sentant des larmes de terreur dévaler le long de ses joues. Ce jeu ne l'amusait plus. Troy allait trop loin. Il fallait pourtant qu'elle avance. 



 Alors qu'elle parvenait au rond-point représentant le cercle de l'enfer, des débris de verre jonchaient le sol. Elle passa à gauche. Et alors qu'elle arrivait dans cette nouvelle rue. Elle l'entendit de nouveau. Le bruit des pas de course. Elle n'eut pas le temps de se retourner qu'elle fut percutée et projetée au sol, se coupant au passage sur les tessons de bouteilles.
Elle hurla.

La cité morteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant