Chapitre VII

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Ils émergèrent dans un couloir vide. Leurs pas résonnèrent entre les murs froids du château. Les torches projetaient leurs mains tenues, geste de l'interdit entre les deux personnages d'une tragédie. Il la poussa contre un mur, l'emprisonna en s'appuyant contre les pierres, ses deux bras de chaque côté de ses épaules.

— Tu ne peux pas faire ça.

Sa voix se mua presque dans un murmure, par peur que tout le château ne l'entende.

— Personne ne sait que c'est moi.

— Je croyais que tu ne voulais pas enfreindre cette règle.

— Je me suis dit que si Roméo avait réussi à aimer Juliette, alors...

Elle le poussa et il fit un pas en arrière.

— C'est de la fiction ! s'écria-t-elle.

— Alors je n'ai pas le droit de t'aimer, c'est ça ?

Elle posa une main sur ses lèvres et suffoqua. Entendre son hoquet de douleur fut comme se recevoir un poing dans le ventre. Il aurait voulu effacer ses larmes naissantes, y déposer de la joie à la place. Mais comment faire ? Où était le bonheur, où se cachait-il ?

— Tu m'aimes, murmura-t-elle.

— Je t'ai aimé pendant six ans.

— Tu mens.

Il fut si surpris qu'il n'arriva pas à parler. Elle se tint le ventre, laissa une larme couler le long de sa joue.

— Tu mens, c'est impossible.

— Pourquoi ?

— Parce que ça fait six ans que je te regarde en m'imaginant une vie avec toi.

Le "toi" se confondit dans un sanglot. N'était-ce pas une tragédie en elle-même ? Passer six ans de sa vie à aimer quelqu'un, sans savoir que ce quelqu'un nous aimait en retour ? Marcher les yeux rivés au sol, se persuader que le sentiment ne sera jamais réciproque, pour découvrir que l'être aimé faisait exactement la même chose.

— Je croyais que tu m'admirais pour ma façon d'être, comme tous les autres.

— J'ai fait bien plus que t'admirer.

Il étouffa un juron et passa une main dans ses cheveux. La vie s'était bien jouée d'eux. Oh, parfaitement bien, même. Sous une impulsion presque colérique, il s'approcha à nouveau d'elle, toucha sa joue de son pouce. Il essuya la larme qui venait de tomber.

— Tu m'as dit un jour que tu souhaitais voir le monde exploser. C'est le moment, Druella. Je me plierai à ta volonté. Dis oui et nous enfreindrons toutes les règles possibles. Dis non et je me retirerai.

— Toutes les règles possibles ?

— Absolument toutes.

Ses lèvres étaient si proches. Il dut se faire violence pour ne pas les écraser, les goûter, connaître leur saveur, les posséder. Il avait passé tellement de temps à s'imaginer ce moment qu'il croyait que tout cela n'était qu'un rêve. Sa poitrine se comprima quand elle réduisit la distance entre leurs visages. Le bout de leur nez se frôlèrent. Son souffle caressa sa peau. Et il se répétait "ne bouge pas, reste immobile" pour ne pas se jeter sur elle et la dévorer. Elle toucha timidement ses lèvres. Tout comme Ève se délectait de sa première pomme, Druella passa sa langue sur sa bouche, une aveugle expérimentant ce monde de l'obscurité, cet endroit interdit. Il entrouvrit légèrement ses lèvres et elle colla les siennes dessus. Le soulagement qui le traversa fut si violent qu'il en frissona. Six ans. Six ans à attendre ce moment. Il emprisonna sa langue entre ses dents, prit possession de sa bouche entière. Plus rien ne pouvait l'arrêter. Pas même l'éruption d'un volcan, ou un soudain tremblement de terre, ou les foudres d'un dieu, non, peu importe les catastrophes qui pourraient surgir à cet instant précis, il continuerait de l'embrasser. C'était vital. Nécessaire. Et maintenant qu'il connaissait son goût, comment s'en passer ?

Le club des Interdits - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant