Je retrouve Ismaël comme prévu à l'entrée de l'établissement, partiellement en travaux le temps de la pause pédagogique. C'est la première fois qu'on s'adresse la parole. Jusqu'alors, on s'était à peine croisés en amphi. J'ai quand même une impression de déjà-vu assez intrigante, mais je ne parviens pas à me remémorer un contexte. Nous n'avons pas d'autre choix que de prendre les escaliers pour rejoindre la bibliothèque au septième étage. Notre box de travail est spacieux, équipé d'une grande table et de chaises confortables, d'un écran de réunion que l'on peut brancher à l'ordinateur ainsi que d'un tableau à feutre pour brainstormer. La porte est teintée pour éviter de déconcentrer les étudiants qui y travaillent, et les fenêtres offrent une vue imprenable sur quelques monuments historiques de la capitale.
Nous consacrons l'après-midi à la mise en commun de nos connaissances sur le sujet afin de mieux cerner les recherches à effectuer. À tour de rôle, on griffonne au feutre effaçable nos idées schématisées. Je ressens une certaine... attraction pour Ismaël, dont le corps élancé laisse deviner des années de pratique sportive. Celui-ci a une aisance déconcertante lorsqu'il explique ses théories et fait preuve d'une pédagogie remarquable. Seul point troublant, ses fesses paraissent particulièrement arrondies et bombées, ce qui ne correspond pas au reste de sa silhouette travaillée.
Au milieu de l'après-midi, je dois interrompre nos échanges :
- Ah mec je suis désolé mais je vais devoir te laisser un petit moment. Dans leur dernier mail, la direction indique que les toilettes de notre bâtiment sont aussi hors service le temps des travaux et qu'il faudra aller à celles de l'annexe Jean-Baptiste Say. Sans ascenseur et s'il n'y a pas de queue, il me faudra bien vingt minutes pour faire l'aller-retour...
- C'est pas grave, t'en fais pas, je peux commencer à chercher des manuels d'économie pendant ce temps.
- Je sais pas comment tu fais pour te retenir, surtout après déjeuner !
- T'en fais pas, j'ai l'habitude.
Pas convaincu d'avoir compris le sens de cette dernière phrase, j'entame mon périple vers les toilettes d'un bâtiment universitaire de la rue adjacente. La situation n'était pas pratique pour les rares étudiants qui se rendaient à l'université pendant les vacances, mais était moins dérangeante que si les travaux avaient eu lieu pendant la période scolaire. À mon retour à la bibliothèque, nous reprenons notre travail mais avons du mal à nous concentrer. Le soleil n'est plus au rendez-vous et les heures de recherches commencent à nous fatiguer.
Pendant qu'Ismaël fait une dernière démonstration sur le tableau blanc, je remarque que son postérieur a encore gonflé. J'y vois même un début d'auréole humide à l'arrière de son jean dont la forme n'a plus rien de naturelle. Stupéfait, je dévisage Ismaël encore une fois et suis frappé d'un flash : il s'agissait du garçon qui m'avait emboîté le pas aux toilettes lors de la soirée d'intégration.
Ismaël, conscient que je ne l'écoute plus qu'à moitié, me demande :
- Bon, tu veux qu'on arrête pour aujourd'hui ? T'as l'air perdu dans tes rêves...
- Non, c'est juste que... Je crois que je te reconnais. On s'est croisé pendant la semaine d'inté !
- Surement, on a probablement croisé toute la promo cette semaine. C'est quoi le problème ?
- C'est juste que, un soir, tu m'es passé devant aux toilettes et tu en es ressorti avec un autre pantalon. Au début, je pensais que l'alcool me jouait des tours mais non. Et là, je ne veux pas t'embarrasser mais tu commences à...
- Tu vas te moquer de moi ?
- Non, non ! Surtout pas ! Je voulais juste te dire que...
- Que ma couche commence à fuir ? Merci, je sais. J'en porte depuis que je suis né. Ou plutôt, je n'ai jamais arrêté d'en porter. J'ai un problème de santé qui me force à porter des protections. T'as eu tes explications, t'es content ?
- Oh, je ne voulais pas te... Enfin, désolé de... Tu peux bien-sûr compter sur moi pour ne le répéter à personne.
- J'espère bien. Ça suffit pour aujourd'hui, on se retrouve demain à la même heure pour bosser.
Ismaël enfile une longue veste d'automne -qui camoufle assez bien son petit accident- et prend la porte avant même que je n'ai le temps de ranger mes affaires. Je suis encore ébranlé par la confidence de mon camarade. Porter des couches à cet âge ne doit pas être une condition agréable, encore moins lors de ces épisodes de honte en public. En fait, je ne me doutais même pas que des jeunes de mon âge pouvaient être confrontés à cette situation. Le soir venu pour tenter de me rattraper, je lui envoie un message sur Instagram :
- Je suis désolé d'avoir été indélicat cet après-midi. Tu peux me faire confiance pour rester discret à ce sujet. N'hésite pas si tu as besoin ;)
- C'est gentil mais t'es pas obligé de me parler comme si j'étais handicapé. Je vais bien, j'ai juste du mal à gérer ça depuis la rentrée.
- Mais comment ça se fait que t'aies ce genre d'accidents si tu as l'habitude depuis très jeune ?
- Je n'ai pas trouvé mes changes complets habituels au Carrefour City et j'ai dû me rabattre sur des protections moins absorbantes. Jusqu'au lycée, j'arrivais à gérer ce problème discrètement car j'avais accès à une salle de change à l'infirmerie. Maintenant, je n'ai plus ce luxe et doit porter le même change jusqu'à ce que je rentre chez moi. J'habite à côté donc c'est rarement un problème, mais il m'arrive d'avoir des fuites comme lors de l'intégration ou cet après-midi...
- Tu devrais passer à la galerie commerciale de Beaugrenelle, y'a une boutique spécialisée en paramédical, tu y trouveras peut-être ce que tu cherches. Encore désolé pour tout à l'heure, c'était déplacé. Et puis mieux vaut dédramatiser, après tout toi tu n'as pas eu à te taper un périple pour aller pisser cet aprem !
Ismaël laisse ce dernier message en « vu », signe évident de ma maladresse répétée. Cette révélation a complètement bousculé ma perception d'Ismaël. Mon camarade m'avait confié son plus grand secret, et j'espérais au fond de moi que cet épisode nous permettrait de nous rapprocher.
VOUS LISEZ
Accidents : Débuts à l'université
General FictionPremier épisode des aventures de Luc, étudiant à Paris qui sera confronté aux petits problèmes de son camarade Ismaël. Une aventure mouvementée pleine de nostalgie.