History Ov

24/06/2028

La ligne des arbres s'arrête. Une grande prairie s'étale devant moi. Pièce de lumière entre deux obscurités. Je me sens nu. Je choisis de rester à couvert et de me poster à l'orée du bois, à l'affût de la moindre tâche de couleur. Je n'ai toujours pas mangé, ma bouche est sèche. Je pue. Avec mes doigts je frotte mon visage pour récolter le sel de ma sueur ensuite je les léche. Je rêve d'enlever mes vêtements, pièces difformes de tissus ordinaires, mes chaussettes qui font corps avec mes pieds, mes chaussures et de prendre une douche chaude enveloppé dans des volutes de vapeur.

Je pense au livre écrit par Albert Camus "La Peste". A un moment l'écrivain philosophe développe l'idée qu'il est préférable de vivre sans espoir, nous montre l'absurdité d'une existence vouée à une vie après la mort.

Je suis lessivé. Ici il m'est impossible d'allumer un feu.

À l'horizon une multitude de points noirs troue le ciel, anarchique. En dessous, il me semble distinguer un grillage. Mon regard s'affine. Une cage. Une charogne sanguignolante accrochée à une esse de boucher pend à l'intérieur. Un piège à corbeau. Je bloque ma réspiration. Un long moment je reste immobile. Un marteau cogne dans ma poitrine, résonne dans mes tempes. Conscience accrue, surréelle. Il est préférable d'attendre la nuit pour se déplacer. Quel genre d'autochtones peut bien vivre ici ? Des trognes s'avancent vers moi semblables à des pelotes de raphia difformes.

En priorité il faut que je me repose, que je dorme.

Une soudaine émotion me submerge. Un violent spasme ébranle mon corps. Une immense vague fracasse toute retenue. Enfin, j'éclate en sanglot. Je n'entendrais plus jamais la voix de mes proches. Je ne sentirais plus jamais leur odeur familière. Je ne sourirais plus jamais à leurs mimiques entendues. Je porte le deuil d'êtres vivants.