04/07/2028 6 a.m.

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Drôle de boulangerie. Sur quelques tréteaux s'entassent maintes propositions. Ma gourmandise en prend un coup. La multitude rend mon choix difficile. Admirable patience d'une vendeuse qualifiée, elle me décrit ses produits avec minutie et conviction. Une mezzanine apparaît, surprise de l'impromptu, remplie de bocaux et de bouteilles saturés de poussière. Je vélocipède dans la vieille ville, la fraîcheur des vieilles pierres me ravigote.
_ Eh ! Petit, réveilles-toi ! Oh petit !
H.O. _ Quoi !
_ Ben quoi ! Réveilles-toi !
H.O. _ Quoi, fais chier !
_ Y'a quelqu'un qui veut te parler.
Réaction lente d'un corps coincé entre rêve et réalité où la prostration se délecte d'une confortable léthargie.
_ Allez petit courage !
H.O. _ Putain, laches moi !
On rigole autour de moi. Déclic. Je me propulse sur mes jambes les yeux exorbités.
_ Ah, ah, ah, ah, elle était jolie au moins ?
H.O._ ..........
_ Bon l'étranger, y'a Don Barnard qui aimerait avoir une discussion avec toi.
H.O. _ Ouais vas-y parles.
_ Don Barnard !
H.O. _ Ouais, Don Barnard.
Don Barnard. _ Écoutes petit, je vais pas y aller par quatre chemins, dans la vie y'a deux sortes de gens : y'a les nombrils et les trous du cul. Toi t'es un gros trou du cul alors va chier sale merdeux.
H.O. _ Pas de soucis Don Barnard.
Don Barnard. _ Rassures moi t'as compris qu'il y avait comme un problème ?
H.O. _ Ouais, le problème fait pas partie de la Solution, Don.
Don Barnard. _ C'est bien mon gars. Maintenant je vais pouvoir te confier un secret, rapproches toi. Voilà comme ça. Tu sais, je commence à me faire vieux, mes envies changent et j'aimerais pouvoir prendre ma retraite pour enfin me poser et essayer de vivre dans un monde sans stratégie, sans action, pour respirer et apprendre la simplicité si complexe des choses. Mais il existe " un monde entre la théorie de l'existence et la pratique de la vie ", j'ai eu le temps de lire quelques bouquins depuis que je loge dans ma cabane et j'adore citer Bourdieu quand on est entre intime. Comme tu as pu le constater plusieurs personnes gravitent autour de moi. Ces gens, je les ai ramassé au fond du caniveau, tous, y compris Enna. C'était pas jojo à voir toutes ces personnes abîmées par la vie, à moitié pourries comme des fruits trop mûres laissés à l'abandon dans des herbes hautes. Et moi, je les ai relevé avec patience et abnégation comme mes propres enfants et avec le temps ils ont remonté la pente, relevé la tête et se sont reconstruits. A présent nous formons une vraie famille, solidaire, comme une équipe. La confiance est essentielle à notre cohésion. On vit, on dort, on chie ensemble. On bosse de concert. Tous donneraient leur vie pour moi, ils vendraient leur mère pour moi, ils tuent pour moi. Tout ce qu'ils possèdent m'appartient. Ils sont reconnaissants à Don Barnard et ils s'y retrouvent. Tu peux comprendre ça la reconnaissance petit merdeux ?
H.O. _ Oui, ils se sentent redevables envers vous et ...
Pling, je me prends une grande baffe en travers de la figure, douleur vive, fugace et endolorie, humiliation.
Firmin. _ Tu fermes ta gueule et tu baisses les yeux.
H.O. _ Mais....
Pling, une autre. Même si je ne pleure pas des larmes s'écoulent sur le feu de mes joues devenues rouge garance.
Firmin. _ Ta fierté on s'en tape, compris trou du cul !
Don Barnard. _ Tu vois gamin, tu ne peux plus faire semblant d'ignorer l'affront que t'inflige Firmin. Tu ne peux plus appliquer tes stratégies habituelles. Tu n'arriveras pas à fluidifier les univers autour de toi. La seule voie qui s'offre à toi consiste à nous animaliser et dans ta petite tête germe la graine de l' humanité. Nous autochtones te rejetons dans l'indignité.
Pling, encore une gifle.
Firmin. _ Alors, tu veux aller chercher ta maman ?
Don Barnard. _ T'as compris ? Tu percutes que ta réalité c'est nous ou t'es toujours en orbite ? Tu sais gamin, j'ai commencé ma carrière très jeune à partir de pas grand chose. Mon père, un petit cordonnier, excellait dans le travail du cuir. Tu connais le cuir italien ? Le top du top, de la matière noble comme c'est pas possible. Y gérait le parc de toutes les godasses du quartier. Un pilier mon père. T'es quand même au fait que les italiens ont inventé les États-Unis d'Amérique ? Bref, en parallèle il a proposé à sa clientèle un service de clé minute et il m'a formé. Du coup à seize ans j'ai monté ma première escroquerie. J'avais le double des clés de la plupart des maisons cossues à vingt kilomètres à la ronde. On rentrait chez les gens pendant leur absence, on sabotait leur confort sans que ça se remarque de trop. On pourrissait tellement la vie des gens qu'ils finissaient par vendre leur propriété une bouchée de pain. On se faisait des couilles en or. Y vendaient, on achetait. En parallèle, je me suis acoquiné avec quelques artisans. Ma petite affaire marchait plutôt bien et de fil en aiguille je me suis lancé dans la brocante. En deux ou trois ans je suis passé à l'échelon international. Nous récupérions les éléments susceptibles d'être vendus en kit ( parquet bois, cheminée, escalier bois, carrelage...), les américains adorent toutes ces vieilles reliques du vieux continent. A cet époque, je me suis constitué un réseau international très fiable à partir d'un triangle Italie, Belgique, États-Unis. J'étais devenu un recèleur, toute la planète connaissait Don Barnard. J'allais dans les plus grands hôtels, je côtoyais les stars de Holywood, je rencontrais des chefs d'états et de grands hommes d'affaires. Tous me respectaient. Je palpais de l'oseille à ne plus savoir qu'en faire. Mais ce qui devait arriver, arriva, je commis une grossière erreur. Ce fut au moment de la guerre en Syrie, je me suis lancé dans le trafic d'œuvre d'art, le carnage des nouvelles technologies plus la guerre y'avait juste à se baisser pour ramasser des joyaux. Malheureusement ces relations troubles avec le terrorisme international ne plaisait pas à tout le monde. L' état français m'a mis ses sbires du fisc au cul. Ils m'ont pressé comme un citron. Y z'aiment pas trop les indépendants, tout pour leur sacro-saint réseau. Mais grâce à mes relations et à quelques concessions, j'ai réussi à échapper à la prison. Maintenant comme tu as pu le constater on vivote mais je pourrais aisément remonter la pente avec ces apprentis nazis au pouvoir. En ce moment la brocante ça marche du feu de dieu, les vieilles recettes n'ont pas changé. Mais comme je te l'ai déjà dit je suis fatigué. Et puis j'aime pas vraiment ces nouvelles technologies, je laisse ces conneries à Enna, une virtuose de la propriété intellectuelle, elle n'a pas son pareil pour te faire prendre des vessies pour des lanternes. Avec Firmin on traficote dans notre coin, un peu de sécurité pour garder la main et entretenir nos contacts, du travail réglo. D'ailleurs le ministère de l'intérieur nous avait prévenu de ton arrivé et te voilà comme un cheveux sur la soupe. T'as aimé notre petit simulacre avec Enna ? On t'as bien baladé, si tu savais comme je me suis foutu de ta gueule. Mais j'avais pas prévu qu'elle en pincerait pour toi. Sérieusement, elle devient toute chose quand on parle de toi. Méconnaissable la fifille. Une vraie ado. T'as compris que tu fragilisait l'équilibre de notre fratrie. En temps normal, y'a bien longtemps que tu barboterais six pieds sous terre enrobé dans de la chaux vive. Mais Enna ne me le pardonnerait pas. Alors que dois-je faire à ton avis ?
H.O. _ Et le type d'hier, vous avez fait semblant de le trucider ou c'est moi qui ai des hallus ?
Pling ! Encore une torniole dans le ciboulot.
Firmin. _ Ben alors le petit malin, tu m'as dit que t'avais rien vu !
Don Barnard. _ T'avais raison Firmin, ce mec c'est vraiment qu'une nouille.
Pling !

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