Chapitre 7

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C'est arrivé par une étrange série de coïncidences. Comme un accident de train au ralenti. Pour qu'une catastrophe de cette ampleur se produise, il faut que tout s'imbrique au bon moment. Enfin, au mauvais moment, en l'occurrence. Si le chauffeur de bus était sorti plus rapidement du cul-de-sac, il n'aurait pas mis quatre minutes de plus pour arriver au lycée, et je n'aurais jamais croisé Bellamy. Si la voiture de Bellamy avait démarré immédiatement, il n'aurait pas dû recharger sa batterie avec celle de son père et il ne serait pas passé devant mon casier à ce moment-là. Et si Lexa n'avait pas eu rendez-vous avec Mme Wooten, la conseillère d'orientation, elle n'aurait pas déboulé dans le couloir dix secondes plus tard. Et tout ça ne serait jamais arrivé.

* * *

Je suis devant mon casier. La porte est coincée et j'essaie de l'ouvrir de force. Lorsque j'arrive enfin à la débloquer, je me retrouve nez à nez avec Bellamy.

— Clarke... commence-t-il, l'air abasourdi. J'essaie de te parler depuis hier. Je suis passé chez toi, mais tu étais introuvable... (Il me tend la lettre.) Je ne comprends pas. Qu'est-ce que c'est que ça ?

— Je ne sais pas... je m'entends lui répondre.

Ma voix me semble lointaine. J'ai l'impression de flotter au-dessus de mon corps, et de regarder la scène se dérouler à mes pieds.

— Je veux dire : ça vient de toi, non ?

— Oh ! Waouh... (Je prends une grande inspiration et je saisis l'enveloppe. Je me retiens à grand-peine de la déchirer.) Tu as reçu ça quand ?

— On me l'a envoyée par la poste. (Bellamy fourre les mains dans ses poches.) Quand l'as-tu écrite ?

— Il y a très longtemps. (Un petit rire forcé s'échappe de mes lèvres.) Je ne me souviens même pas quand. Je devais être au collège.

Bravo, Clarke. Continue comme ça.

— O.K., dit-il lentement. Mais tu écris qu'on est allés au cinéma avec Echo, Mike et Ben. C'était il y a deux ans. Je mordille ma lèvre inférieure.

— C'est vrai. Mais de l'eau a coulé sous les ponts, depuis. J'ai l'impression que ça fait une éternité.

Je sens des larmes me monter aux yeux. Si je me déconcentre, ne serait-ce qu'une seconde, si je me laisse aller, j'éclaterai en sanglots et ce sera encore pire (même si je doute qu'on puisse faire pire, comme situation). Je dois rester calme, détendue et nonchalante. Si je pleure maintenant, tout est foutu. Bellamy me dévisage avec une telle intensité que je dois détourner les yeux.

— Donc... Est-ce que tu... Tu étais amoureuse de moi ou...

— Oui. C'est clair. Tu me faisais complètement craquer. Mais c'était avant que tu te mettes avec Echo. Ça fait un millénaire.

— Pourquoi tu n'as jamais rien dit ?

Parce que, Clarke... Ah, je n'en sais rien... (Dans ses yeux, je lis la stupéfaction, mais pas seulement.) C'est dingue. Je n'ai rien vu ! La manière dont il me regarde me ramène deux ans en arrière.

C'était l'été. J'avais quatorze ans et lui quinze. On était sortis quelque part et on rentrait à la maison. Il m'a dévisagée d'une telle façon que j'ai cru qu'il allait m'embrasser. J'ai paniqué et je me suis moquée de lui. Depuis, il ne m'a plus jamais regardée comme ça. Jusqu'à aujourd'hui. S'il te plaît, tais-toi. Je ne sais pas ce qu'il a en tête, ce qu'il veut m'annoncer, mais je ne veux pas l'entendre. Je serais prête à tout pour ne pas l'entendre. Je ne lui laisse pas le temps de parler. Je déclare :

— Je sors avec quelqu'un.

— Quoi ? fait-il, complètement hébété. Quoi ?

— Ouaip. Je sors avec quelqu'un que j'adore, donc ne te prends pas la tête avec ça.

A toute les personnes que j'ai aiméOù les histoires vivent. Découvrez maintenant