Sous le masque

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Un grognement sonore déchire le silence de la pièce. Machinalement, je pose ma main sur mon ventre qui crie famine. Je lâche un soupir exaspéré. J'avais l'intention de sauter le repas de midi, comme souvent, pour avancer un maximum sur mon travail. Mais la faim me tenaille. Je décide de me lever et de me diriger vers le restaurant qui fournit les repas de tous les services de l'immeuble.

J'entre dans l'immense réfectoire. Un silence pesant règne dans la pièce, là où avant, on pouvait à peine s'entendre tellement le bruit des conversations était assourdissant. En lieu et place des anciennes longues tablées, où tous les travailleurs se rassemblaient, se dressent aujourd'hui des petits espaces individuels, clôturés de vitres en plexiglas transparentes.

Je déteste cet endroit.

Il n'est que le reflet de notre quotidien: on vit, on travaille et on mange seul. Communiquer entre ces panneaux de plastique est pénible et décourageant. Du coup, personne ne parle.

Je me dirige vers l'écran d'accueil et donne verbalement mon identité et ma commande. L'écran me dirige vers le sas sécurisé où je récupère mon repas. Lasse, je me dirige vers un box vide. Je ne cherche même pas à retrouver mes élèves, je les retrouverai plus tard dans la salle de travail. Une fois assis, j'enlève mon masque et le jette dans la poubelle prévue à cet effet, avant de me désinfecter les mains au gel hydroalcoolique. J'ouvre délicatement la barquette brûlante et entame mon plat. Ce n'est pas mauvais, mais ça manque singulièrement de saveur.

— Salut !

Je sursaute à ce simple bonjour, ne m'attendant pas à être apostrophé. Je lève les yeux et mon regard tombe sur Gulf qui s'assoit au box voisin. Il me regarde de son air malicieux.

La sensation de ses doigts frôlant les miens me revient à l'esprit. Il me met mal à l'aise sans vraiment savoir pourquoi.

— Salut... marmonné-je, bien décidé à me concentrer sur mon assiette.

— Ça fait longtemps que tu travailles ici ? continue-t-il sur un ton enjoué.

J'apprécie de bien m'entendre avec mes collègues, mais je ne veux pas me lier d'amitié, c'est bien trop compliqué de s'attacher à quelqu'un. Je décide donc d'être poli, car nous allons travailler ensemble, mais en faisant le minimum.

— Depuis cinq ans.

Du coin de l'œil, je le vois faire glisser sa chaise et son plateau-repas, pour s'approcher du panneau transparent qui nous sépare.

— Donc, tu travaillais ici bien avant... il lève la main qui semble désigner l'ensemble de la pièce, tout ce merdier ?

Je souris en coin en entendant ce terme si approprié à la situation.

— Oui, bien avant ce merdier.

— Oh ! Tu as toujours voulu être laborantin, alors ?

Je tourne la tête vers lui, étonné.

— Bien sûr ! Pourquoi, pas toi ?

Merde ! Je grimace en replongeant le nez dans mon assiette. Sans le vouloir, je viens de lancer une conversation dont je me serais bien passé. Il ne répond pas immédiatement, ce qui me fait, à nouveau, tourner la tête vers lui. Il m'observe en silence. Il semble scruter mon visage. Son regard glisse sur moi et augmente la sensation de malaise qui m'habitait déjà. S'il n'arrête pas tout de suite de me dévisager, je sens que je vais rougir.

— J'ai quelque chose sur le nez ? lancé-je, irrité qu'il me fasse perdre mes moyens d'un simple regard.

Ses yeux se plissent, alors qu'il rit bruyamment. Plusieurs personnes se retournent et nous scrutent, curieux. C'est de plus en plus rare d'entendre quelqu'un rire. Il ne semble pas le moins du monde gêné d'attirer l'attention.

La mort à fleur de peau - MewGulfOù les histoires vivent. Découvrez maintenant