Prologue

50 2 8
                                    


"Est-ce qu'on sort ensemble."

Ce n'était pas une question. La menace était à peine voilée dans la voix du jeune homme. Bjolan leva les yeux du quotidien qu'il était en train de feuilleter, droit vers celui avec qui il couchait depuis maintenant trois mois. Exclusivement. Avec qui il allait boire des coups dehors, ou allait parfois se promener, ou encore avec qui il pouvait passer une soirée au calme devant un vieux film.

Sihtric Lund était un bel homme, même dans cet état. Une mâchoire carrée, des cheveux noirs et ondulés, de superbes yeux vairons ; un corps bien fait, naturellement mince mais qu'il gardait musclé, et une voix douce. En cet instant, ses yeux étaient voilés, ses sourcils froncés, sa mâchoire crispée. Il avait le poing serré, posé sur la table devant Bjolan - soit pour se porter, soit comme une autre espèce de menace. Le rouquin mit une seconde de trop à réagir.

"Réponds, putain."

Bjolan soupira et se passa une main dans la nuque. Il savait que la conversation allait venir, c'était inévitable. Depuis que Sihtric lui avait avoué entre deux gémissements qu'il était amoureux de lui, puis qu'il lui avait soufflé sur l'oreiller qu'il voulait officialiser leur relation. Bjolan avait été incapable de lui répondre, et devait maintenant en assumer les conséquences.

"J'aime passer du temps avec toi.

-C'est pas la putain de question."

Le rouquin se leva. Il était plus grand que Sihtric, mais le jeune homme méritait d'être regardé dans les yeux. Il était en train de se mordre l'intérieur de la lèvre, ce qu'il avait tendance à faire quand il était stressé ; par réflexe, Bjolan voulut lui caresser la joue, mais Sihtric le repoussa d'un geste dur.

"Je sais pas, Sihtric.

-Tu sais pas si on sort ensemble ?

-J'aime ce qu'on a tous les deux. Je ne sais juste pas..."

Une grande inspiration. Il en avait besoin.

"Si je t'aime de cette façon-là.

-Tu me vois juste comme un trou, alors ? Je suis ton joli sex toy que tu peux balader dehors quand t'en as envie ?

-Bien sûr que non !

-Bjolan, bordel, j'étais sérieux quand je t'ai fait ma déclaration, et toi t'es même pas foutu de me répondre correctement !"

Bjolan ne savait trop que lui dire. Ce n'était pas la première fois qu'il avait une conversation de ce genre. La majorité de ses relations finissaient ainsi : avec lui, incapable d'être réellement amoureux de la personne en face.

Il appréciait Sihtric, pourtant. Énormément, même. Plus que tous les autres gars avant lui. Il était beau, intelligent, plein d'humour, beaucoup trop doué avec sa langue, et la vie était simple avec lui. Pas de prises de tête, juste des entrevues tranquilles. Mais il manquait quelque chose ; il manquait toujours quelque chose. Bjolan n'avait aucune idée de ce que c'était. Il ne voulait pas le dire à Sihtric, il ne voulait pas que le brun pense qu'il n'était pas assez bien. Parce qu'il l'était vraiment.

"J'aime ta compagnie, Sihtric. Juste...

-Je pensais - je pensais que tu m'aimais aussi. Tu m'en as donné l'impression pendant deux mois.

-Je suis désolé.

-Va te faire foutre."

Bjolan observa Sihtric prendre son sac à dos et sortir, décontenancé. Il n'était pas sûr de se rendre pleinement compte de ce qui venait de se passer, de la conversation qu'il venait d'avoir. Après une dizaine de minutes, il fut tiré de sa torpeur par la notification d'un message reçu.

N'essaie pas de me recontacter ou de me revoir pour le moment.

Il hésita à répondre ; il ne savait toujours pas quoi dire. Il pouvait bien lui renvoyer un "d'accord" ou un "ok", mais il lui semblait que cela sonnait froid et impersonnel, et ce n'était clairement pas ce qu'il voulait. Sihtric méritait mieux. D'un autre côté, ne rien répondre lui semblait pire, comme s'il n'en avait réellement rien à faire. Avec un soupir qui lui fit mal au fond de la gorge, il se mit à taper sur le clavier.

D'accord. Je suis désolé.

Sihtric ne lui répondit pas, et Bjolan était parfaitement conscient que c'était mérité.

~•~

Les deux semaines qui suivirent cette conversation, Bjolan n'eut aucune nouvelle de Sihtric, et n'essaya pas de lui envoyer de message. Ce n'était certes pas la première fois qu'on lui reprochait de ne pas rendre de sentiments, mais il n'était pas habitué à apprécier autant la personne qu'il blessait. Il avait même commencé à faire des recherches sur l'aromantisme, se disant que peut-être il tombait sous cette appellation.

La recherche fut instructive à un niveau de culture générale, mais Bjolan ne se reconnaissait pas vraiment là-dedans. Ou peut-être qu'il ne voulait pas se reconnaître, aussi, c'était une possibilité. Tout ceci l'avait mené à beaucoup d'introspection, mais il se sentait trop perdu pour que les conclusions lui semblent pertinentes. Il aimait Sihtric, mais n'était pas amoureux de lui. Il n'avait jamais réfléchit à un futur avec lui parce qu'il appréciait leurs moments au jour-le-jour. Ça avait commencé comme une relation purement sexuelle mais ils avaient finit par apprécier la compagnie de l'autre.

A quel moment Sihtric était-il tombé amoureux ? Pourquoi, comment ? Bjolan n'avait jamais eu de relation sérieuse, il n'avait pas prêté attention à ce qui évoluait entre eux.

En tout cas, son état avait été grandement remarqué à son travail. Il était d'habitude l'un des plus bruyants, toujours à crier des blagues sans queue ni tête par-dessus son bureau ; mais il trouvait qu'il n'avait plus d'inspiration. La plupart de ses collègues avaient deviné une rupture, même s'il n'avait jamais trop parlé de Sihtric sur son lieu de travail - ce n'était pas la place. Bjolan ne savait même pas s'il pouvait parler de rupture, puisqu'il ne savait pas s'ils étaient réellement sortis ensemble. Sihtric l'avait-il pensé ? Ils n'avaient jamais eu de conversation de ce genre.

Bjolan fut interrompu dans ses réflexions et sa relecture d'un texte juridique hautement prenant qu'il avait lu en diagonale en sautant des lignes par une main ferme sur son épaule. Il leva les yeux et vit le visage souriant de Hild, la seule personne dans ce bâtiment qu'il pouvait appeler son amie - leur patron ne comptait pas, ils se connaissaient depuis trop longtemps.

"Ce soir on sort.

-Où ça ?

-J'en sais rien, mais j'en ai marre de te voir maugréer dans ton coin.

-Pas envie de sortir."

Cela fit lever un sourcil à la blonde, qui lui remua un peu l'épaule qu'elle tenait jusque-là.

"Ça s'est si mal passé que ça ?"

Hild était la seule qui savait pour Sihtric, parce qu'elle était la seule à qui Bjolan faisait assez confiance pour ne pas se faire des idées quant à leur relation. Honnêtement, il n'était même pas sûr que certains de leurs collègues sachent qu'il était homosexuel, et ce n'était pas plus mal. Bjolan se contenta de grogner, peu enclin à parler de sa vie personnelle alors qu'il était assis à son bureau coincé entre deux écrans et trois piles de papier.

"Raison de plus pour venir."

Le rouquin vit les yeux gris de son amie s'étrécir alors qu'elle souriait doucement.

"Ou alors, dis-toi que moi j'ai besoin de sortir et que je n'aimerais pas y aller seule."

Il soupira. Hild avait raison, il fallait qu'il se change les idées. Et puis il lui devait bien ça, après tout ce qu'elle avait traversé ces derniers temps. Il hocha la tête avec un léger sourire, elle lui passa les doigts dans la barbe. Parfois, Bjolan se désolait qu'Hild n'ait jamais eu d'enfants, car elle aurait été une excellente mère. Mais vu la situation maritale dans laquelle elle s'était trouvée pendant des années, il fallait admettre que refuser de porter des enfants avait été une excellente décision.

Elle repartit vers son propre bureau, et Bjolan tenta de retrouver l'état d'esprit qu'il lui fallait pour relire les 6 dernières pages de cette saloperie de texte qu'il n'avait pas absorbé.

Et demain l'automne (Fanfiction The Last Kingdom)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant