𝐭𝐰𝐨. souvenirs d'un éreinté voyageur

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2. souvenirs d'un éreinté voyageur

     
  

【 20:23 】

  San avait fait tout son possible pour retarder au plus tard le moment où il devrait retourner dans ce lieu hideux, comme sorti tout droit des enfers. Mais il se retrouvait finalement dans la fameuse station une nouvelle fois, à attendre le prochain passage du métro, censé parvenir dans six minutes.

Cinq, maintenant.

L'étudiant laissa son regard se balader un instant sur les publicités tape à l'œil affichées dans l'endroit comme si elles pourraient vraiment le divertir de leurs couleurs entêtantes, lui qui était absorbé par ses pensées futiles.

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Un graffiti avait recouvert une partie de l'affiche, indiquant
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Un sourire aggripa le coin de ses lèvres.

L'endroit était bien moins bondé qu'il y a quelques heures, il devait y avoir une bonne dizaine de personnes à tout casser sur son quai.
Il avait bien fait d'attendre.

Ses yeux se posèrent finalement sur une personne qui semblait immergée dans son portable, sur la plate-forme parallèle à la sienne. Juste en face de lui.
Il la détailla sans vraiment y porter attention, suivant les contours de sa figure, toujours dans ses pensées.

Silhouette masculine baignée dans une tenue presque intégralement noire, elle avait cette casquette, ébène également, enfoncée sur le crâne, qui dissimulait son visage mais laissait jaillir quelques mèches foncées.
Elle semblait avoir des écouteurs vissés dans les oreilles, et triturait la lanière de son sac à dos qui se cramponnait désespérément à une seule de ses épaules, dodelinant de la tête dans un rythme discret mais gracieux.

San leva un sourcil en remarquant l'écriture blanche qui tranchait son t-shirt, d'une calligraphie délibérément bâclée et pointue.

Plissant les yeux pour essayer de lire la phrase qui se détachait sur le noir et avait l'air un temps soit peu lisible à une si grande distance, il se figea.

Ah... ? Hein ?

L'étudiant releva le regard pour découvrir celui qui le fixait à présent, curieux, perçant, et se découpant derrière la casquette et le masque qui couvraient le reste de son visage. Déstabilisé, le noiraud détourna les prunelles avec empressement, les joues un tantinet empourprées à présent.

Ce fut le moment que choisit son métro pour faire son arrivée, et notre protagoniste se rua dedans, plein d'embarras et d'un sentiment troublant sur lequel il ne put mettre le doigt à l'instanté.

Et il passa le reste du trajet à fixer ses converses neuves, se mordillant la lèvre inférieure, ne calculant pas même la barre qui infestait sûrement de microbes en tous genres, à laquelle il était aggripé.

     
  

【 22:53 】

  Le noiraud engloutit son visage dans son fidèle oreiller, songeur. La journée avait été crevante. Pourtant, quelques détails ne pouvaient s'empêcher de titiller son esprit, son cœur et ce déferlement de souvenirs qui lui martelaient la tête depuis de bonnes heures.

San se redressa, et son attention se focalisa tout de suite sur la rangée de CDs et vinyles triés par ordre de sortie et alignés avec précaution sur son étagère.
Puis elle glissa sur le trésor manquant, accroché à son mur. Un autre vinyle.

Tous d'un même groupe. Mist.

Il en avait la collection complète, et ce depuis son adolescence. Il n'écoutait plus vraiment de musique maintenant, mais il n'avait pu que les garder précieusement.

Ils transportaient trop de lui pour qu'il s'en débarrasse. Trop pour qu'il les perde de vue.

San ferma les paupières, le souffle court, laissant le silence prendre le pouvoir dans la pièce ordonnée.

Et il fredonna, dans un murmure presque inaudible :

« And even if the sun comes down,
Even if past is fading and tomorrow is dying,
Even if the world stands against us.. »

Il marqua une pause, comme s'il se préparait à chuchoter un secret de la plus haute importance. Une confession qui lui tenait trop à cœur pour qu'il la prononce comme le reste.

Il prit une large inspiration, et reprit :

« You know we'll continue running together beyond death, until eternity.. »

L'étudiant s'étala de tout son long sur son lit, de nouveau.
Ces mots, ceux qu'il ne pourrait jamais oublier tant il s'était déchiré la voix dessus. C'était comme si ils résumaient son adolescence. La joie que lui apportaient ces paroles était grandiose, d'une véhémence poignante.

Ça noyait son cœur dans la nostalgie, qui elle semblait vouloir à toux prix noyer ses joues dans les larmes.

Ça lui manquait, les bons moments du lycée, les sourires qui fleurissaient et les rires qui chantaient. Ça lui manquait, son petit village convivial, le réconfort de ses parents aimants, les japements enthousiastes de son chien quand il regagnait le docimile chaleureux, les morceaux entraînants sur lesquels ils se défoulaient pleinement, le bord de mer si accueillant. Ça lui manquait, ce rire lui manquait, ça lui manquait.

Ça lui manquait depuis longtemps, mais il fallait passer outre et avancer, garder la tête haute, parce que c'est ce qui rendrait ses parents fiers, c'est ce qui rendait ses proches paisibles.

Mais il se souvenait du sable rugueux sous ses talons et des vagues qui venaient chatouiller ses pieds de leur fraîcheur langoureuse, leur rythme irrégulier lui murmurant au creux des oreilles. Il se souvenait de l'odeur salée qui lui caressait les narines, du bleu profond qui lui faisait face et s'étendait à l'horizon, de l'atmosphère qui semblait l'embrasser et chasser les problèmes qui lui encombraient l'esprit, les noyer dans une mer de soulagement, un océan de calme. Il se souvenait de la voix claire, des discussions abstraites, de la façon dont leurs fils de pensées semblaient parfois liées.

San ?

𝐃𝐄𝐍𝐘 𝐘𝐎𝐔𝐑 𝐆𝐑𝐀𝐕𝐈𝐓𝐘⎯ woosanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant