Chapitre 5 - Le poing serré

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La tenue était posée sur le lit. Camille prépara vite un sac avec une bouteille d'eau et une serviette. Elle enfila son legging et son tee shirt. Elle avait attaché ses longs cheveux noirs en une queue de cheval

Elle avait décidé de se rendre au cours de self defense. Après tout, pourquoi ne pas essayer de changer ?

Philippe avait raison. Elle n'aurait rien pu faire si l'inconnu l'avait agressée, elle était tellement bloquée et ne connaissait aucune attaque.

Des frissons la parcoururent. Elle ressentait un sentiment étrange et nouveau, celui d'aller à l'encontre d'elle-même.

Elle enfila son manteau et sortit. Dehors, l'air froid l'envahit, elle marcha rapidement à travers les rues éclairées par les lampadaires. Le traiteur accueillait ses clients avec une vitrine alléchante. A la boulangerie, la vitrine était plutôt vide et les quelques clients prenaient les dernières baguettes qui restaient. Camille passa devant sa banque et son centre médical. Certains passants pressaient le pas, d'autres flânaient dans les boutiques. Elle trouva rapidement la salle de mémoire.

Elle ouvrit la porte, le digicode ne semblait pas fonctionner et elle entra dans le hall. Tout était calme, elle s'attendait à voir des enfants chahuter en attendant leur cours. Mais il n'y avait personne. Elle marcha vers la grande salle, Philippe rangeait les tapis.

— Bonsoir, dit-elle.

— Vous êtes venue, je vous attendais, lui dit-il avec un grand sourire. Il lui serra la main.

Il portait son kimono blanc. À sa taille, il avait une ceinture noire sur laquelle étaient accrochées des barrettes dorées.

— C'est un dobok, lui dit-il, en lui montrant sa tenue.

Il se dirigea lentement vers l'étagère située au fond de la salle.

— Voyons voir, poursuivit-il, vous êtes de taille moyenne, plutôt petite, ce dobok sera parfait pour vous. La prochaine fois, vous mettrez cette tenue, vous serez plus à l'aise dans les exercices.

— Merci. Ok, ça veut dire que je vais continuer ?

— Cela ne tient qu'à vous, moi je serai ravi de vous entraîner.

Camille était intriguée, elle se tenait seule avec Philippe dans cette grande salle. Toujours aucun enfant en vue.

— Je suis la seule élève ? Il n'y a pas d'enfants ? Ou des adultes ? lui demanda-t-elle.

— Je vous ai réservé un cours particulier. Les enfants ont déjà fini, on peut commencer. D'abord un peu d'échauffement. Allez, enlevez vos chaussures et avancez sur le tapis.

Camille s'exécuta, elle se plaça en face de Philippe.

— On va commencer par cinq tours de la salle. C'est parti.

Elle enchaîna ensuite avec des exercices pour travailler les bras, les jambes et tout son corps. Il lui faisait faire des squats, des coups de poing dans le vide à droite et à gauche. Elle eut aussi droit à la planche.

— Comment vous sentez-vous ?

Camille transpirait déjà, mais elle ne dit rien. Elle était là pour apprendre, elle allait continuer jusqu'au bout.

– J'ai l'impression de me vider la tête, c'est plutôt chouette de faire du sport après le travail. D'habitude, je cours uniquement le week-end.

— Je vais prendre ma raquette de frappe et vous allez commencer à donner des coups de poings et des frappes de jambes, d'accord.

— Je ne frappe jamais, alors je ne sais pas si je pourrai.

Camille était devenue blême. Elle refusait de faire du mal aux gens, comment accepter de frapper ? Ses yeux perçaient le regard de Philippe.

– Vous êtes venue pour faire autrement, non ? Vous allez essayer. Dites-vous que cette raquette de frappe ne ressent rien. C'est un objet, pas une personne. Essayez de le visualiser.

Il alla chercher dans une autre étagère l'objet en question. Il ressemblait à une petite raquette ronde rembourrée.

— C'est parti, mettez-vous en position. Sautillez. C'est bien. Les mains en position. Devant vous, poings serrés.

Camille suivit ce que faisait Philippe à la lettre, elle ne voulait plus réfléchir, elle se fia au son de sa voix.

— Maintenant, vous donnez un coup de pied sur ma raquette, pied droit.

Philippe positionna la raquette devant lui, au niveau de sa taille.

Camille ferma les yeux. Dans sa tête, les pensées se bousculaient.

Elle entendit une voix. Johanna...

Camille, ma choupinette, tu es forte, tu es capable, vas-y.

Tu sais bien que je ne frappe personne Johanna.

Qu'est-ce qu'il t'a dit Philippe, c'est un objet.

Je croyais que je ne savais pas faire.

On peut avoir tort et changer, Camille, fais-le pour toi, pour te protéger, je veux que tu sois toujours en sécurité, Camille, tu n'auras plus peur d'un inconnu dans la rue, d'une personne qui t'embête, d'un gars qui ne te plaît pas. Frappe Camille, frappe. Tu as le droit de te défendre, tu peux dire non.

Mais si je réussis, ça veut dire que j'aurais pu....

Qu'est-ce que tu aurais pu ?

Camille ressentait la présence de son amie, elle la voyait devant elle. Johanna, avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds. Elles étaient complètement différentes, elle avec la peau mate et Johanna, toute pâle.

Johanna lui souriait. Elle savait que cette fois, Camille se jetterait à l'eau.

D'un coup, elle frappa. La douleur au pied lui arracha un cri.

Elle entendait Philippe qui lui disait de recommencer. Sa voix était lointaine. Elle se fia à lui et reprit.

Elle frappa, frappa encore.

Elle ressentit comme une délivrance, des années de frustration qui sortaient de son corps. Elle lâcha d'un coup sa colère, sa tristesse et cette foutue culpabilité.

Elle recommença plus fort, plus longtemps.

Des larmes coulaient de ses yeux, elle ne pouvait plus s'arrêter.

Ses pieds ne l'écoutaient plus, ils voulaient faire mal. Bientôt, ses mains rejoignirent cette course effrénée.

Elle ne contrôlait plus rien. Ses mains frappaient, ses pieds aussi.

Elle pleurait.

Elle voyait Johanna l'encourager au loin.

Et tout devint noir.

Le passeur d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant