Le passeur d'âmes

Chapitre 6 - Johanna

Elles venaient d'avoir les résultats du bac. Elles l'avaient obtenu haut la main. Pour l'occasion, elles étaient conviées à la soirée de David. Ses parents possédaient la plus grande maison du quartier et il avait invité presque tous les élèves du lycée. La soirée allait être grandiose.

Camille et Johanna se hâtaient de rentrer chez Johanna. Elles avaient passé tout leur après-midi à acheter des nouvelles robes, des bijoux et des accessoires pour l'occasion. Johanna avait prévu de coiffer et maquiller Camille. Elle avait le don de réaliser des coiffures magnifiques. D'ailleurs, Nadine et Clémentine allaient sûrement les rejoindre.

Les deux jeunes filles discutaient, elles riaient. Johanna avait le béguin pour David, elle espérait faire le premier pas lors de la soirée et lui avouer enfin ses sentiments. Camille souhaitait juste s'éclater et danser.

— Mais enfin Camille, tu ne veux pas draguer ?

— Non, de toute façon, après, je vais emménager à Paris pour mes études.

— On s'en fiche, ça sera juste pour les vacances. Comme ça on pourra bien s'amuser, toi avec ton nouveau mec et moi avec David.

— On peut s'amuser toutes les quatre, on n'a pas besoin de mec. Je t'assure. Si on travaille tout le mois de juillet, on pourrait louer un bungalow en août avec les filles, qu'en penses-tu ?

Camille n'entendit pas la réponse de sa copine. Un jeune homme arrivait dans leur direction un peu plus loin. Son visage était caché par la capuche de son sweat. Il portait une casquette et avait une main dans la poche de son jogging comme s'il tenait un objet, un portable peut-être. Son regard était glacial. Elle se raidit et baissa son regard.

— Viens on fait demi-tour, dit Camille en attrapant le bras de sa copine.

Johanna n'avait pas encore aperçu l'inconnu. Camille avait toujours eu cette capacité à repérer le danger au loin.

— Pourquoi ? Nous sommes bientôt arrivées chez moi.

— Il y a un gars louche, je ne le sens pas. Viens, lui dit Camille en chuchotant.

L'homme s'approchait d'elles rapidement. Trop tard. Il aborda Johanna.

— T'es la sœur de Timéo ? C'est ça ?

— Oui, pourquoi ?

— Écoute, j'essaie de trouver ton frère, il a dû se cacher quelque part. Il devait me voir depuis une semaine. Il est où ?

Sa voix était sèche, fracassante.

Johanna s'était arrêtée net et son visage se figea.

Son frère avait toujours eu des ennuis. A 20 ans, il avait arrêté ses études, ses parents avaient enfin réussi à le faire entrer en cure de désintoxication après des années de lutte. Il avait commencé à se droguer au collège et la situation avait dégénéré. Il passait son temps à mentir et à voler pour acheter sa drogue en cachette. Il voulait arrêter et au bout d'un moment, c'était plus fort que lui, il replongeait.

Toute la famille pensait que Timéo était enfin sorti d'affaire. Dès sa sortie du centre, ils l'avaient envoyé un jour après, chez de la famille dans le sud de la France pour travailler dans des terres agricoles.

— Non, dit Johanna, il n'a pas recommencé, il t'a acheté de la drogue c'est ça ? Dis-moi que c'est faux.

Des larmes coulaient sur ses joues.

Le jeune homme lui fit un rictus. Ses yeux sombres étaient perçants.

— Tu crois quoi, une fois que je mets la main sur un bon gars, je ne le lâche pas. Dès sa sortie du centre, il est venu me trouver, il pouvait même ramper pour avoir sa came. Mais il n'a pas tout payé. Alors tu vois, va falloir me régler et vite. Il est où ce con ?

L'homme s'approcha encore plus près de Johanna.

— T'es qu'un salaud. Tout ça c'est de ta faute. Il allait enfin mieux.

Johanna hurlait. Son frère allait enfin mener une vie tranquille sans drogue, sans rien, il venait de se soigner. Il voyait enfin la lumière après toute cette vie brumeuse où il côtoyait la mort en permanence.

Camille prit la main de Johanna, elle voulait la protéger. Il fallait s'éloigner de cet homme.

Un grand danger se préparait.

Au ralenti, elle vit l'homme sortir un couteau de sa poche.

Camille n'arrivait pas à bouger, elle devait pousser le dealer, le frapper.

Mais elle n'y parvenait pas.

Johanna hurlait désespérée. Elle ne voyait pas ce qui se passait.

L'homme avait frappé Johanna avec son couteau.

Johanna recula le regard hébété.

Non.

Elle s'effondra sur le sol.

Camille prit sa copine dans les bras. Elle hurlait : "À l'aide, ma copine est en sang. Appelez les secours, vite, vite."

L'homme avait disparu.

Camille tenait Johanna dans ses bras. Elle la mit sur le côté et elle épongea sa blessure avec son pull qu'elle avait rapidement enlevé.

"Reste avec moi, regarde-moi, ils arrivent. Tout va bien," disait-elle à Johanna en lui serrant la main.

Elle entendait des voix, des personnes couraient, elles venaient pour sauver Johanna.

Johanna était par terre. Autour d'elle, les ambulanciers tentaient de la ramener à la vie.

"Tiens bon Johanna, ça va aller. Ne me quitte pas. Reste, je t'aime fort."

Elle sentit de l'eau sur son visage. La sensation était agréable. Elle voyait comme une cascade au loin et elle voulait sauter pour se rafraîchir.

Au loin, elle entendait une voix. On essayait de lui parler mais elle ne parvenait pas à comprendre ce qu'on lui disait.

Elle tendait l'oreille. Et bientôt, elle put percevoir : "réveillez-vous, tout va bien."

Elle ouvrit lentement les yeux. Elle sentait le sol froid sous son corps.

Devant elle, Philippe, les yeux crispés, la regardait et lui mettait sur le visage une serviette humide.

— Vous m'avez fait peur, lui dit-il. Vous allez mieux ?

— Je n'ai pas pu te sauver, Johanna, dit-elle.