1: Le majestueux L.A.

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Dead people receive more flowers than the living ones because regret is stronger than gratitude.

{Anne Frank}

Je lève les yeux. J'inspire. Le ciel entre dans mes poumons et en sort lentement. Le bleu reste dans ma tête. Les nuages rendent mes pensées floues. Je ferme les yeux. Le firmament s'assombrit. Il est noir. Sans étoiles. Je me perds entre douleur physique et psychique. Je ne sais plus laquelle des deux est moins violente. J'ouvre les yeux. Ce foutu ciel bleu ne soulage aucune de mes douleurs. Il ne semble vouloir que protéger les nuages. J'en viens à en être jaloux. J'aimerais être l'un d'eux. Doux et tranquille. Ils vivent au-dessus de nous tous sans jamais nous regarder. Ils ne pensent pas. Ils n'ont pas de peur ni de panique. Ils vivent parmi les uns et les autres sans se toucher, sans se connaître. Vus de tous mais de personne. On se fiche bien des nuages au-dessus de nos têtes. Ils sont là sans l'être. Disparus sous nos yeux. J'aimerais me sentir aussi serein. Assez pour disparaître. Ou peut-être devrais-je disparaître pour me sentir en paix ? Le seul nuage que je peux être est celui qui tue. J'expire cette bouffée de fumée et retire ma clope d'entre mes lèvres pour taper légèrement dessus, laissant quelques cendres prendre leur envole. Je la reporte sur mes lèvres. Son goût abject me donne la nausée. L'odeur que je porte à cause d'elle me débecte. Pourtant, je continue. J'ai mes raisons et ce ne sont pas celles d'un gamin de dix-sept piges qui veut paraître cool devant les autres attardés de son âge. A 17 ça fume. A 35 ça crève.

Je n'ai pas l'intention d'attendre 35.

Mes yeux tombent sur la vieille grille en fer rouillée face à moi. Un son sinistre s'infiltre dans mes tympans. J'entends le bruit morbide des pas qui entrent dans cet endroit. La personne qui vient d'ouvrir cette vieille grille possède le même visage que chaque foutu samedi matin. Cette personne vient toujours le même jour à la même heure, chaque semaine. Dix heures tapante. Pas une minute de plus, pas une minute de moins. Dix heures. Sa ponctualité est presque plus lugubre que le son de la vieille grille rouillée. Il fait toujours la même chose. Il se dirige vers son rendez-vous habituel. Un rendez-vous qui ne lui pose pas de lapin. Il se dispose en peu en diagonale par rapport à moi. Il ne m'aperçoit jamais. Je m'affaisse un peu sur moi pour poser mes bras sur mes genoux et maintenir ma tête lourde de migraine. Je retire la cigarette de mes lèvres et la laisse tomber près de mon pied droit. Je l'écrase et repose mon attention sur lui. Il tend le bouquet de fleur qu'il apporte chaque samedi. Jamais les mêmes fleurs. Il sourit légèrement en regardant devant lui. J'imagine qu'il devait beaucoup aimer cette femme. Son nom, gravé dans du marbre en lettres dorées suffit à le faire sourire et pleurer. Il ne pouvait que l'aimer. Le bouquet de fleurs remplace le précédent, amené la semaine dernière. Je me demande s'il lui a déjà offert des fleurs en main propre. Les gens ont tendance à attendre que leurs proches crèvent pour leur offrir quelques fleurs. Quelle est l'utilité ? Mort, personne ne peut voir les couleurs, sentir toutes les odeurs. Sourire de reconnaissance. Pourtant, tout le monde le fait.

Il se redresse et regarde la tombe. Il sourit tristement ou courageusement. Quelle différence ? Il pose sa main sur le marbre froid de l'hiver. Il disperse quelques grains de poussière. Il passe sa main sur son nom comme si le fait de réécrire son prénom aller la ramener. Ça n'a jamais fonctionné. C'est une tombe pas une putain de lampe avec un génie à l'intérieur. Il lui parle. D'ici, j'entends ce qu'il dit et ce sont souvent les mêmes mots. Fleurs différentes, larmes identiques. Elle lui manque. Il se sent seul sans elle. Il aimerait la revoir. Il ne comprend pas ce qu'il s'est passé. Il veut l'entendre rire et chantonner même si elle chantait très mal. Il sourit en y repensant. Il pleure en y repensant. Il se redresse et fait un pas en arrière. Il l'aime. Il se retourne et s'en va. Le bruit sinistre de ses pas. Celui glauque de la grille. Un soulagement qu'il ne m'ait pas vu. Un autre de me dire qu'il souffre comme moi.

Bʀᴏᴋᴇɴ BᴏʏsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant