Préface

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PARTIE I : « Rien ne se perd, tout se transforme ».

-  MAMAN ! Tu n'as pas vu mon jean noir, crie-t-elle depuis sa chambre à l'étage.

- Dans la corbeille à linge.

- Non, pas le bleu foncé, le noir.

- Oui Brooklyne, dans la corbeille à linge.

Pourtant persuadée qu'elle l'a déjà exploré, la jeune fille retente sa chance en éparpillant sans ménagement les habits du panier sur le sol de la salle de bain. En quelques secondes seulement, elle se rend compte que le fameux vêtement y était bel et bien et l'enfile en vitesse. C'est probablement la quatrième fois cette semaine qu'elle met ce même jean, mais elle se conforte en se disant qu'après tout, en ce jour de reprise scolaire, ça ne sera jamais plus que la première fois qu'elle le portera au lycée. Déjà passablement pressée par le temps, elle ne prête que peu d'attention au restant de sa tenue, puis déboule dans sa cuisine pour emballer son petit déjeuner qu'elle prévoit de manger dans le bus.

- Ah bah voilà, il y était finalement ! Je t'ai déjà dit que pour chercher quelque chose, il vaut mieux ouvrir les yeux, sermonne Michelle qui déplore que sa fille ait un don pour éviter l'évidence.

- Vu que tu vois que dalle, t'as qu'à porter des lunettes comme ça t'auras encore plus une tête d'intello, ricane sa sœur entre deux toux grasses.

- Tu sais ce que je vois Chelsy ? Que tu traînes en pyjama alors que le bus du collège passe dans 30 minutes. En plus t'as pas réveillé Deli. DELI DEBOUT !

- Oh, mais il n'est que 7 H 30 et maman est là, elle va s'en occuper.

Trop en retard pour grimper à l'étage et lutter avec sa sœur pour la supplier de se lever, Brooklyne orchestre aux éveillées de penser à mettre ses autocollants dans son cartable et surtout, de l'habiller chaudement en prévision du froid polaire de cette journée d'hiver – alors même qu'elle ne porte qu'un pullover pour contrer les -2 degrés qui l'attendent dehors. Tout en leur donnant les dernières instructions sur les indispensables de la reprise de la petite écolière, elle chausse une vielle paire de baskets blanches (devenues marrons d'usure), et se précipite dans la cuisine pour embarquer le petit sac de congélation au plastique gras d'utilisation dans lequel elle a fourré pêle-mêle ce qui fera son petit-déjeuner.

- Elle est toujours aussi agitée ?

- Je trouve que là, ça va. Là, c'est rien par rapport aux jours d'examens. Parfois, elle – BROOKLYNE MA TARTINE ! Je peux plus la manger maintenant, se plaint Chelsy devant le toast qui lui a échappé des mains lorsque sa sœur l'a bousculé dans sa course contre la montre.

Mais à peine le chocolat de sa pâte à tartiner s'est-il écrasé contre le carrelage de sa cuisine, que Brooklyne ramasse le tout et l'enfourne dans sa bouche en poursuivant sa course.

- Rien ne se perd, tout se transforme, Antoine Lavoisier ! À ce soir, bredouille-t-elle, la tartine entre les dents, en refermant la porte d'entrée.

Désormais dehors, et ne disposant plus que de deux minutes pour rejoindre son arrêt de bus, Brooklyne se lance dans un sprint désespéré. Les lacets à peine noués et le souffle déjà court, elle cavale à vive allure dans les rues de sa petite ville. Les rares passants dehors à dégeler le parebrise de leurs voitures ou les vieillards à leurs fenêtres, la voient foncer à grandes enjambées et ne s'en étonnent même pas ; chacun d'entre eux se dit amusé « encore en retard Brooklyne Esmée ! ». Trop empressée pour s'en soucier, elle remonte la rue principale, la tartine entre les dents et le sac sur le dos à moitié ouvert. Dans sa course, elle manque de glisser sur du verglas à deux reprises, et évite de justesse de buter contre les trottoirs dissimulés dans cette matinée mal éclairée. Malgré les obstacles qui lui barrent la route, Brooklyne ne pense qu'à rattraper le bus scolaire qu'elle voit dangereusement se rapprocher. Dans un ultime effort, elle accélère, s'apprête à traverser la rue pour gagner l'arrêt de bus quand l'intérieur de son sac à dos se renverse. Obligée de s'arrêter, elle freine dans une glissade tardive pour opérer un demi-tour et ramasser ses affaires, lorsqu'en levant la tête, elle s'aperçoit que le bus, lui, n'a pas pris le temps de la freiner pour elle. Essoufflée par son vain effort, elle médite à une alternative en stagnant sur place ; son lycée est à un peu plus de vingt minutes à pied, et par ces températures, elle peut d'avance anticiper le désagrément de la raideur de ses orteils sous le froid. Michelle, tout comme son mari Damian, est hôtesse de l'air, elle revient tout juste d'Australie où elle est restée bloquée à causes de grèves qui lui ont valu de manquer les fêtes de fins d'années. Pour lui éviter la corvée du trajet jusqu'à l'établissement scolaire, elle qui est sujette à la fatigue du décalage horaire, Brooklyne préfère se débrouiller par ses propres moyens – ou par ceux de celle à qui elle fait toujours appel en cas d'impasse.

La persona non grata - FROù les histoires vivent. Découvrez maintenant