Paillettes

Chapitre 4

Les jours suivants se ressemblaient pour Sylvain qui passait ses journées sur son ordinateur pour jouer à Elden Ring. Son portable était éteint la plupart du temps, il ne voulait ni parler ni voir qui que ce soit. Les seuls messages qu’il avait échangés, c’était avec Camille. Celle-ci n’était revenue qu'une fois à l'appartement pour récupérer quelques affaires et l’ambiance était plutôt froide. D’un côté, Sylvain préférait que ça soit comme ça pour l’instant. Mais l’isolation n’allait pas durer éternellement, il fallait bien que le jeune homme sorte de son appartement.
Ce week-end avait lieu le repas mensuel de la brigade de Vilebrequin. Depuis un petit moment maintenant Pierre et Sylvain n’étaient plus les seuls dans l’équipe ! Cadreur, chargée de production, monteur, agent marketing et bien d’autres les avaient rejoint dans l’aventure. Et le rendez-vous mensuel avait pour but de rassembler tout le monde autour d’un petit festin. Ils avaient l’habitude de faire ça dans un même petit restaurant qu’ils privatisaient pour l'occasion. Annaëlle, la chargée de production, se chargeait de tout.
Le soir du repas, Sylvain était arrivé un peu en retard malgré les messages pressants de sa chargée de production. Le jeune homme l’avait un peu fait exprès. Il pouvait repérer plus facilement le placement de tout le monde autour de la table et ainsi, ne pas s'asseoir à côté de Pierre. Il avait la boule au ventre à l’idée de le revoir et de lui parler après les quelques jours qu’il avait passés sans donner signe de vie. Il n’avait pas arrêté une seule fois de penser à lui. Sylvain salua tout le monde d’un geste de la main avant de s’installer à côté de Lucas, un de leur cadreur. Pierre était assis à sa diagonale, assez proche pour pouvoir communiquer mais assez loin pour que ça soit contraignant de le faire. Aux alentours de 19 heures 30, tout le monde était là et Annaëlle prit la parole en montant sur une chaise, les mains pleines de feuilles.
Le repas était scindé en deux parties, la première avait pour but de faire un point sur le mois précédent. Les soucis rencontrés, les vidéos publiées ainsi que leurs statistiques, les retours des sponsors mais aussi partager de nouvelles idées ou mettre en commun leur liste de contacts pour de futurs projets. Dans cette même partie, il était également annoncé le planning du mois suivant, que ce soit les tournages, les sorties de vidéos ainsi que l’avancée de leur montage. La deuxième partie était bien plus agréable pour tout le monde car elle avait pour simple but, de se péter le bide en passant une bonne soirée.
La première partie fut donc entamée pendant que les apéritifs étaient servis. Celle-ci dura une bonne heure et demie car à l'approche de la fin d’année, beaucoup de sujets avaient été abordés. Les entrées furent débarrassées et ainsi, la partie plus festive du repas commença. L’ambiance changea en quelques minutes, le silence fut rapidement absorbé par le brouhaha des membres de l’équipe. Une petite dizaine de personnes était installée autour de grandes tables mises bout à bout. Pierre essayait de capter l’attention de Sylvain pour discuter avec lui, sans pour autant aborder le sujet de son silence des derniers jours, mais le jeune homme n’était clairement pas réceptif à la discussion. Il parlait avec Joséphine, l’agente marketing de l’entreprise. Le repas était bon et l’ambiance agréable.
Au moment du dessert, Annaëlle remonta sur sa chaise pour capter à nouveau l’attention de la tablée. Elle avait une petite pochette dans la main ainsi que quelques feuilles.
“Bon. J’ai une annonce à faire. Certains sont déjà au courant, par souci d’organisation, mais j’ai une “petite” surprise pour nos patrons. Pierre, Sylvain, j’ai l’immense honneur de vous annoncer que dans deux semaines, vous partez tous les deux pour le “Tour Auto Ferrari” en Italie. Pour ceux de l’équipe qui ne savent pas trop en quoi ça consiste, et bien nos deux loulous vont passer 5 jours en Italie, à conduire des ferraris, à se péter le bide et à dormir dans de supers hôtels. Le tout au frais de l’organisation de ce “Tour Auto” et grâce à l’appui d’un loulou bien placé, qu’on remercie bien évidemment.”
Les deux concernés par l’annonce, restaient sans voix. On ne pouvait pas participer à un Tour Auto comme ça, il fallait remplir plusieurs critères très sélectifs et c’était clair qu’ils ne les respectaient pas. Surtout un “Tour Auto Ferrari” ! Pierre avait du mal à assimiler l’information et il jeta un coup d'œil à son binôme, qui lui avait le visage caché dans ses mains mais on entendait très clairement son petit rire. Sylvain releva la tête, ne pouvant pas contenir son sourire.
“Pardon c’est nerveux. Donc nous là, les deux péquenauds, on est gracieusement invité à un “Tour Auto Ferrari” ? Genre vraiment ?
-Oui Sylvain. J’ai entre les mains vos billets d’avion, le programme des 5 jours ainsi que la liste des véhicules disponibles pendant l'événement. Vous avez également deux créneaux qu’on a négocié avec l’organisation pour que vous puissiez tourner. La carte et le tracé du parcours prévu. J’ai aussi une petite liste de vêtements à amener de la part du loulou parce que vos doudounes Benzin et vos baskets là, ça ne sera pas possible.”
Pierre rigola en tapant dans ses mains avant de se lever et de rejoindre Sylvain qui s’était déjà emparé des documents pour avoir plus d’informations. Il se plaça derrière lui, appuyé sur sa chaise et un peu penché en avant. Pierre regardait par-dessus l’épaule de Sylvain et celui-ci ne pouvait pas s'empêcher d’être déconcentré par sa présence. Ils ne se touchaient pas mais Sylvain sentait la chaleur de son ami derrière et de nouveau, son parfum.
Tout le monde autour de la table les avait félicités et la soirée avait une raison de plus d'être festive. Les deux garçons échangeaient à propos de ce qu’ils allaient vivre et Sylvain avait mis de côté ses prises de tête pour le reste de la soirée. Il ne pouvait pas gâcher l’ambiance après une annonce pareille.
La nuit était bien entamée maintenant, petit à petit les membres de l’équipe rentraient chez eux. Le restaurant était placé à une vingtaine de minutes en métro de chez Sylvain, mais vu l’heure, le prochain ne passait pas avant 2 heures et demie. Il n’avait pas voulu venir en voiture car c’était toujours un enfer de se garer. Pierre lui proposa tout naturellement de le ramener chez lui, pas question de laisser Sylvain rentrer seul au beau milieu de la nuit, à pied et dans le noir complet. Le plus petit refusa à la première proposition mais avec un peu d’insistance de la part de Pierre, il accepta. Ils avaient à peine 10 minutes de route, il allait bien pouvoir surmonter l’épreuve de rester seul avec Pierre ce laps de temps.
Les deux garçons grimpèrent dans la voiture du plus grand et avant de démarrer, celui-ci ne put s'empêcher de demander à son ami s’il avait passé une bonne soirée. Sylvain acquiesça mais ne s'étendit pas sur le propos. Il triturait nerveusement le cordon de son sweat, ce que Pierre remarqua bien évidemment. Sylvain faisait souvent ça quand il était stressé, nerveux, anxieux ou juste mal à l'aise. Il ne voulut pas insister et les garçons prirent la route. Il y avait un long silence dans le véhicule et à la plus grande surprise de Pierre, Sylvain le brisa.
“C’est quand-même dingue de pouvoir aller en Italie pour le “Tour Auto”. Je ne sais pas si je réalise.
-Je suis dans le même état, je pense qu’il me faut du temps pour assimiler l’information. Déjà demain ça ira mieux mais alors le jour où on y sera je vais me reprendre une tarte dans la gueule.
-Ouais… Ça va être dingue. Il faut absolument qu’on appelle le loulou d’ailleurs pour le remercier. Oh et faut qu’on fasse les boutiques pour s’acheter des vêtement pour faire croire qu’on est riche.
-Evidemment qu’on appellera le loulou, et pour les vêtements on ira la semaine prochaine si tu veux, j’ai déjà quelques magasins en tête.
-Je te fais confiance pour les boutiques, tu es beaucoup plus intéressé par la mode que moi.
-Oui ça c’est clair. Si je te laisse tout seul, tu vas revenir avec un costume orange flashy.
-Il était super ce costume.
-Non Sylvain il n’était pas super.”
Les deux garçons ne pouvaient s'empêcher de rire en repensant au tournage de l’essai Cadillac. C’est vrai que ce costume n’était plus vraiment à la mode mais Sylvain l’aimait quand-même beaucoup. De nouveau, le silence s’installa. Pierre gardait un sourire aux lèvres, il était un peu content d’avoir pu faire rire Sylvain. C’était clair que le plus petit n’allait pas très bien en ce moment mais il ne voulait pas lui imposer une discussion, même s’il en avait très envie.
Pierre s’était garé devant chez Sylvain et coupa son moteur le temps de se dire au revoir. Mais Sylvain ne descendait pas du véhicule, il restait là à regarder dehors tout en triturant les cordons de son sweat. Pierre déposa sa grande main sur celle de son ami pour qu’il arrête et celui-ci se retourna vers lui.
“Est-ce que tu veux me parler de quelque chose, Sylvain ?
-Non. Pardon, j’étais dans mes pensées.
-Est-ce que tu vas bien ?
-Ça va. Je suis désolé pour les messages et les appels que j’ai ignoré depuis quelques jours. J’avais besoin d’être seul.
-Ça t’a fait du bien d’être seul ? Camille n’était pas là ?
-Non. Elle… était chez une amie. En fait… On s’est disputés et je crois que, je ne l’aime plus autant que je l’aimais avant.
-Oh… Je ne sais pas trop quoi dire mais c’est des choses qui arrivent, Sylvain.
-Ouais, je sais. Mais ça me fait chier bordel, ça fait plus de 5 ans qu’on est ensemble et je vais tout détruire. Je… désolé. Je vais rentrer du coup. Merci de m’avoir ramené Pierrot.”
Pierre l’avait laissé parler et ne rajouta rien. C’était sûrement mieux comme ça, il lui adressa simplement un sourire et Sylvain quitta son véhicule en lui faisant un petit geste de la main. Le plus petit regagna son appartement pendant que le plus grand reprit la route. Il en avait pour une bonne heure avant d’arriver. La musique bien forte dans l’habitacle, le compteur qui affichait bien plus que la limitation autorisée, Pierre avait les mains serrées sur son volant. Il était clair qu’il y avait autre chose que l’histoire avec Camille dans le mal-être de Sylvain et Pierre avait peur d’en être la cause.
Pierre vivait seul depuis quelque temps maintenant. Juste lui et son chien. Il avait eu une séparation douloureuse il y a maintenant 3 mois. Le plus attristant dans sa rupture ce n’était pas le fait d’avoir perdu la personne avec qui il était, le plus amer c’était de réaliseré que c’était un énième échec amoureux. Pierre avait eu plusieurs partenaires ces dernières années mais ça n’avait jamais fonctionné. Maintenant il ne voulait plus se prendre la tête à chercher quelqu’un pour combler le vide sentimental qu’il ressentait au quotidien.
Même si en réalité, Pierre aimait quelqu'un depuis longtemps. Il était tombé sous le charme de cette personne dès leur première rencontre et depuis il ne pouvait s'empêcher de brûler pour elle. Un véritable coup de foudre comme il n’avait jamais eu. Ça faisait maintenant 5 ans qu’il gardait ses sentiments à l'intérieur d’une petite boîte scellée dans les tréfonds de son être. Malgré ça, il essayait de se construire une vie amoureuse. Il avait aimé, mais ça n’avait jamais été aussi fort que cet amour interdit. Il n’y pouvait rien, même s'il le voulait, il ne pouvait se résoudre à abandonner cette petite flamme qui le faisait vivre.
En arrivant chez lui, Loulou, son jeune malinois, l'accueillit avec énergie, visiblement très heureux de retrouver son maître. Heureusement qu’il était là pour mettre un peu de vie dans cette grande maison vide. Pierre joua un peu avec lui avant de filer sous la douche et de pouvoir enfin se glisser dans son lit, grand et froid. Il avait du mal à trouver le sommeil en ce moment et commençait à comprendre ce que vivait Sylvain au quotidien. En pensant à lui, les images de leur petite escapade à Montargis refaisait surface. Il ne put s'empêcher de sourire en se souvenant du plus petit dans son grand sweat. D’ailleurs, il n’avait toujours pas récupéré son vêtement ! Mais ce n’était pas très grave. Rien n’avait d’importance pour lui que la santé mentale de son ami. Il supportait vraiment très peu que Sylvain puisse aller mal. C’était quelqu’un de solaire, toujours souriant, à raconter des bêtises et à rire pour pas grand chose. Et ça, Pierre en avait besoin. Comme une personne en manque avait besoin de sa dose, lui il avait besoin de voir Sylvain heureux. Parce que la personne qu’il aimait tant, c’était lui.