Chapitre 1 - Partie 1

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Je suis heureuse, mais aussi un peu stressée, de vous présenter le tout premier texte que je publie sur Wattpad !
Vos conseils et commentaires me seront d'une aide précieuse pour enrichir le récit et améliorer l'histoire :)
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La chaude lumière du soleil levant inonda soudainement mon visage, m'éveillant d'un étrange songe, et je battis des paupières alors que ma femme de chambre terminait d'ouvrir les lourds rideaux de brocart bleu nuit et argent. L'été n'en finissait plus de durer alors pourtant qu'octobre s'annonçait, et la journée promettait encore une fois d'être fort belle.

- Bonjour, Martha. J'espère que vous avez passé une bonne nuit ! En ce qui me concerne, j'ai dormi comme une bienheureuse et j'ai une faim de loup ! m'exclamai-je en m'étirant comme un petit chat.

- Le petit déjeuner est servi sur la terrasse côté est, Mademoiselle, répondit ma femme de chambre. La tenue que vous aviez choisie hier est prête, et la couture de votre jupe a été raccommodée cette nuit.

- Martha, vous êtes une fée pour moi, la remerciai-je chaleureusement. Amenez-moi ma robe de chambre, je vous prie, je vais tout de suite descendre déjeuner.

Je secouai la tête, faisant danser mes boucles cuivrées, pour tenter de chasser les dernières brumes de sommeil qui engourdissaient mon esprit. Las ! Je ne parvenais pas complètement à sortir du songe mystérieux, dont le souvenir s'émiettait pourtant déjà, qui m'avait emportée une partie de la nuit.

J'y avais retrouvé mon père, ce qui n'était certes pas exceptionnel puisqu'il visitait souvent mes rêves, mais il semblait vouloir me dire quelque chose que je n'avais pu retenir. Plus inhabituel, j'avais aussi rêvé de ma mère que je n'avais point connue, car elle était morte en me mettant au monde ; elle rayonnait d'un étrange bonheur, et me tenait par la main alors que nous marchions dans la lande fleurie de bruyère pourpre. Elle s'évanouissait au fur et à mesure que nous approchions des falaises et des vagues que l'on entendait déchaînées en contrebas. Soudain perdue, seule et inquiète, dans la brume qui montait de la mer, je parvenais à distinguer une haute silhouette qui se tenait à quelques mètres de moi. Alors que je me dirigeais vers elle, une sensation de chaleur et de réconfort montait en moi, et je tentais de l'appeler. Je n'obtenais aucune réaction et continuais d'avancer. Arrivée à quelques pas, la silhouette commença de se retourner, et je sus qu'il s'agissait d'un homme. D'un homme en qui je plaçais une inépuisable confiance. Je ne parvins cependant pas à distinguer ses traits, car il disparut, comme avalé par la brume, alors que j'ouvrais les yeux sur Martha tirant les derniers rideaux de ma chambre.

Légèrement agacée par le mélange d'émotions qui s'emparait de moi alors que j'essayais de retrouver le fil de ce songe, je bondis hors de mon lit, frissonnant légèrement dans ma chemise de lin. J'enfilai la robe de chambre que me tendait Martha, mes mules, et quittai la pièce avec la ferme intention de remiser définitivement ce rêve dans un coin de ma mémoire.

*

Je n'étais pas vaniteuse, mais j'avais 21 ans et la coquetterie qui convenait à une jeune femme de mon âge ! Une rapide inspection dans le vieux miroir piqueté de noir qui surplombait la cheminée de ma chambre me satisfit. Le front haut, le nez droit, le menton fier. Certes, le teint de mon visage aurait pu être plus clair, mais j'aimais trop la vie au grand air pour cela... Et, après tout, les quelques taches de rousseur qui parsemaient mon nez et mes pommettes me paraient d'un air mutin qui me plaisait assez. L'apparente simplicité de ma tenue était contredite par son excellente coupe, et les tons chauds de l'ensemble - jupe couleur feuille-morte, veste cavalière beige, fichu grège - rehaussaient aussi bien le cuivre de mes cheveux soigneusement nattés que le violet de mes yeux ourlés de longs cils bruns.

Le jour de ma naissance, sitôt que je fus sortie du ventre de ma mère et que l'on me porta à son sein, je saisis dans mon petit poing serré la larme d'améthyste qu'elle portait en collier, l'arrachant de sa fine chaîne d'or et ne la lâchant plus.

Mon père aimait à me raconter, avec un demi-sourire moqueur masquant mal l'amour qu'il me portait, que c'était cette pierre au pourpre intense qui avait insufflé la couleur mauve qu'avaient très tôt pris mes yeux. Et, ajoutait-il en riant alors franchement, « ce sont les éclats de la chaînette qui ont projeté les paillettes d'or au fond de tes iris de petite magicienne ! ».

Mon père était un homme merveilleux, et un gentleman aux idées fort modernes pour son époque. Outre le choc du décès de ma mère qu'il avait profondément aimée, quelques jours à peine après ma naissance, et moins préoccupé de faire perdurer son nom que d'assurer le bonheur de sa progéniture, il n'avait jamais souhaité se remarier, préférant se consacrer pleinement à mon éducation. Il l'avait voulue complète ; j'avais eu droit à tous les enseignements dus à une jeune fille bien sous tous rapports mais, afin de cultiver mon indépendance de corps et d'esprit, il m'avait également appris tout ce que l'héritier d'une bonne famille anglaise se doit de connaître en arrivant à l'âge adulte. Lors de mon entrée dans le monde à l'âge de seize ans, je savais aussi bien broder des points complexes sur des tissus coûteux que tirer au fusil pour chasser le gibier, et je dansais avec autant d'endurance et de souplesse que je montais à cheval. J'avais appris la science des simples que ce XVIIIème siècle si moderne commençait de reléguer au rang de superstitions ancestrales et l'on venait me quérir de Dorchester à la côte pour adoucir les coliques et apaiser les migraines. Dès mon huitième anniversaire, je l'avais suivi dans ses tournées quotidiennes auprès des fermiers et métayers qui travaillaient sur les 2.200 acres de notre domaine de Brynfield, et m'étais appliquée à recopier les longues colonnes de chiffres de ses registres, tandis qu'il m'expliquait patiemment comment mesurer les revenus de la terre dont j'hériterai à sa mort.

Je me retrouvais seule un froid matin de mars, sous la gelée de la fin de l'hiver, après avoir veillé mon père bien-aimé pendant plusieurs jours. Il mourut d'un refroidissement qui l'avait saisi à son retour de Londres où il s'était rendu pour les affaires. J'avais alors dix-neuf ans et, dans une société qui favorisait les hommes et où, bien trop souvent, les femmes quittaient la tutelle de leur père pour ne retrouver que celle de leur mari, j'avais pu grâce à lui devenir une femme libre, indépendante et fière. Et je comptais bien le rester !

Le Vent dans les bruyèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant