– Désirez-vous prendre un rafraîchissement, milady ?
Je portai mon éventail à mes yeux pour me protéger des rayons encore éblouissants de ce soleil de début d'octobre, et pris un instant de réflexion avant de répondre au domestique en perruque poudrée et livrée de drap bleu qui venait de me poser la question.
– Oui, servez-moi un verre de shrub à la framboise, je vous prie.
Mon verre à la main, je me détournai de l'immense table, qui avait été dressée sur tréteaux en plein cœur de la clairière et qui débordait de mets, de fruits et de gourmandises variées, et je pris le temps d'observer ce qui m'entourait.
Caroline et son mari Archibald avaient organisé un pique-nique auquel ils avaient convié toute la haute société locale, dont l'ensemble des représentants avait répondu présent avec empressement. Au-delà de leur rang élevé dans l'échelle aristocratique, les Gifford étaient connus pour organiser les meilleures fêtes de toute la région et l'on veillait à toujours être disponible pour chacun de leurs événements. Ce jour-là ne faisait pas exception : en fait de pique-nique, nous avions en vérité droit à une véritable réception. Les Gifford avaient investi une clairière à l'orée d'un petit bois du domaine de Bereton House, installant chapiteaux, tables, chaises, jusqu'à une tribune pour les musiciens et un plancher pour les danseurs ! Caroline avait supervisé une superbe décoration de tissus blancs, de lierre et autres plantes grimpantes adjointes de fleurs à floraison tardive, qui garnissait aussi bien les tables que les troncs des arbres alentours. Des lampions de papier coloré étaient suspendus aux moindres supports qu'elle avait pu trouver et promettaient de créer une atmosphère féerique une fois qu'ils seraient allumés. Mais, même en pleine lumière, l'effet général de cette installation était tout à fait enchanteur, et l'on entendait chacun des invités s'extasier en arrivant dans la clairière. Nous étions une petite quarantaine, naturellement divisés en deux groupes de sexes différents qui ne se mêleraient guère avant le repas. Près de la tribune des musiciens où de nombreux fauteuils avaient été installés, les hommes s'échangeaient poignées de main, cigares et bourrades dans le dos en riant à gorge déployée. Sous l'un des chapiteaux, à l'abri du soleil ardent de midi, l'assemblée des femmes, bien plus discrète, bourdonnait de mouvements d'éventails, de froissements de jupes et de petits rires étouffés. Seuls quelques garçons et filles à peine sortis de l'enfance faisaient entorse à la règle en jouant ensemble dans un bosquet d'arbres.
Retenant un soupir, je me dirigeai vers le chapiteau. Je saluais des connaissances, m'extasiant sur la fraîcheur du teint de l'une ou complimentant une autre pour la finesse de ses gants. Je pris naturellement soin d'éviter Lady Cobb et sa fille, toujours un peu trop apprêtée avec sa poitrine découverte, et je recommandais le shrub à la framboise à Olivia Brookehurst, dont je savais qu'elle n'était pas femme à s'offusquer d'un peu de rhum dans sa boisson. Enfin, je repérai la robe vert tendre et rose de Caroline, qui se trouvait interrompue dans son rôle d'hôtesse papillonnante par la conversation de Mrs. Loughton, la mère de son amie Mary. Je voyais à son sourcil légèrement arqué et à la manière, discrète, qu'elle avait de triturer son éventail, que ce qu'elle entendait l'agaçait tout particulièrement. Mais Caroline avait reçu une éducation parfaite, et ces symptômes ne la trahissaient qu'auprès de moi qui la connaissais par cœur ; son interlocutrice ne se rendait compte de rien et poursuivait alors que je me rapprochais :
– ... le couple que vous formez avec le vicomte est particulièrement inspirant, chère Caroline, et je me prends souvent à rêver que Mary trouve un mari qui lui soit aussi bien assorti que Lord Gifford l'est pour vous...
– Il me semblait pourtant me souvenir de votre circonspection lorsque nos fiançailles furent annoncées, circonspection que je n'oserais assimiler à de l'envie, releva Caroline d'une voix suave.
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Le Vent dans les bruyères
Ficção Histórica[SOUS CONTRAT D'ÉDITION] Lady Amy Ridley, jeune héritière éprise de liberté, a juré de ne jamais se marier pour ne pas renoncer à son indépendance. Et ce n'est pas le mystérieux Lord Hawke, nouvellement arrivé en ville pour des affaires peu reluisan...