Ponctuelle, j'arrivais à Bereton House alors que la chapelle du domaine sonnait de quatre coups, à peine échevelée par le galop final sur lequel j'avais lâché les rênes à Beorn. Ravi, Monsieur de Vendôme tirait la langue et frétillait de la queue. Je confiai monture et chien aux bons soins d'un jeune palefrenier aux joues rouges, et retins mes jupes pour remonter l'allée de graviers qui coupait en son milieu une pelouse grasseyante, tout en admirant la bâtisse qui se rapprochait de moi à mesure de mes pas.
Bereton House avait été reconstruit en blanche pierre de Portland moins d'un demi-siècle plus tôt après qu'un incendie eut détruit l'ancien manoir de style Tudor, dont il ne restait plus que les écuries. Le bâtiment formait un L ; la façade principale était régulièrement percée de hautes fenêtres à traverses et meneaux, au rez-de-chaussée et au premier étage, avec des fenêtres en baie de part et d'autre de l'édifice, et une partie du mur de l'aile nord était recouvert d'un luxuriant rosier grimpant dont les fleurs blanches profitaient des jours encore chauds de la fin de l'été.
La lourde porte de bois, abritée par un porche qui soutenait une avancée de la façade s'ouvrit alors que je gravissais les degrés du perron ; j'étais attendue, et le valet en livrée bleue m'enjoignit de le suivre à travers une série de pièces à la décoration toujours plus somptueuse. C'est arrivée dans l'un des petits salons, tendu d'une tapisserie crème mouchetée de pois de senteur et meublé, avec beaucoup de goût, de meubles à la dernière mode, que je vis enfin Caroline. Elle arrangeait un bouquet dont les couleurs criardes, jurant avec le reste de la pièce, me laissèrent perplexe, et soupirait avec exaspération. Lorsque son valet m'annonça, elle tourna vivement les talons avec un petit cri de joie, et manqua par là-même de faire tomber le vase et le bouquet qui lui donnait du fil à retordre. Sans aucune considération pour les convenances dues à nos positions respectives, nous courûmes l'une vers l'autre et nous tombâmes dans les bras.
Caroline Mary Gifford était mon amie depuis la plus tendre enfance. Nos pères s'appréciaient et se fréquentaient régulièrement, ce qui avait multiplié pour nous les occasions de nous retrouver jusqu'au début de notre adolescence. Nous vivions à quelques miles l'une de l'autre et échappions souvent à la surveillance de nos parents et des domestiques pour aller courir la lande, parfois jusqu'aux blanches falaises qui plongeaient abruptement dans la mer.
La mère de Caroline, plus sévère que mon père et surtout plus inquiète de bien marier sa fille, avait cependant commencé à voir ces escapades d'un mauvais œil lorsque mon amie avait atteint l'âge de onze ans. Nous avions alors remplacé les sorties par de longues lettres quotidiennes, ce jusqu'à notre entrée dans le monde et le tourbillon d'événements mondains dans lequel nous avions alors été projetées ensemble.
Le beau visage au teint d'opale de Caroline, ses cheveux d'une blondeur exquise, ses pétillants yeux bleus, son sourire enjôleur, mais aussi son extrême générosité lui avaient assuré un succès foudroyant auprès de la haute société du comté : les jeunes filles louaient sa constante bonne humeur, les mères de famille ses excellentes manières (assigner Caroline à résidence pendant cinq ans avait visiblement porté ses fruits !) et ses prétendants se retrouvaient régulièrement à court de mots pour vanter ses qualités.
Quant à moi, si j'étais tout aussi désireuse de profiter de la nouvelle vie qui s'offrait à nous, j'étais surtout soucieuse de ne point trop m'engager auprès de la gent masculine que je semblais de toute manière effrayer. J'avais trop peur de devoir renoncer à l'avenir indépendant qui m'attendait en m'assujettissant par le mariage à l'un ou l'autre des rares jeunes hommes qui osaient me faire la cour. De toute manière, la façon dont mon père élevait sa fille unique ne faisait clairement pas l'unanimité auprès de la bonne société locale, et j'étais considérée comme un drôle d'oiseau qu'il fallait – au vu du statut de notre famille et de son histoire ancestrale – au mieux tolérer poliment, au pire ignorer. On ne recherchait donc guère ma compagnie ; les mères de mes compagnes craignaient que je donne de mauvaises idées à leurs filles (imaginez un peu que la fille Ridley leur parle liberté de corps et indépendance d'esprit !), et les jeunes hommes en recherche d'une union favorable ne souhaitaient point s'embarrasser d'une épouse qui aurait certainement trouvé à redire à la gestion de leur domaine ou aurait refusé de leur rendre compte de ses allées et venues.
VOUS LISEZ
Le Vent dans les bruyères
Historical Fiction[SOUS CONTRAT D'ÉDITION] Lady Amy Ridley, jeune héritière éprise de liberté, a juré de ne jamais se marier pour ne pas renoncer à son indépendance. Et ce n'est pas le mystérieux Lord Hawke, nouvellement arrivé en ville pour des affaires peu reluisan...