Chapitre 2 - Partie 2

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Nous nous assîmes et je pris quelques secondes pour savourer ce moment de plénitude. J'avais retrouvé ma meilleure amie, ma sœur, qui gazouillait gaiement en me relatant les derniers potins de la cour. Le temps était bon ; le soleil nous baignait dans une agréable chaleur et le chant des oiseaux perchés dans les arbres qui délimitaient le jardin nous offrait une sérénade bienvenue. Souriant, je saisis brièvement la main de Caroline.

– Mon amie, chuchotai-je, sache que je suis heureuse, profondément heureuse, de te retrouver.

– C'est un bonheur bien plus que partagé ! répondit-elle.

Mais déjà, elle reprenait le récit de ses péripéties londoniennes. Je connaissais son tempérament vif et la rapidité qu'elle avait de passer d'un sujet à l'autre, ce qui ne faisait que la rendre plus attachante à mes yeux. J'avais tant de chance d'être son amie !

– Je t'en prie, goûte donc ce thé. Je le fais additionner, comme le veut la coutume, d'une bonne dose de miel de nos ruches. Mais tu verras la subtilité de ses saveurs ! N'est-ce pas qu'il est délicieux ?

Je ne pus qu'acquiescer. Le brûlant breuvage, d'un brun foncé aux reflets dorés, que je venais de reposer dans sa soucoupe, était d'un goût riche, robuste mais changeant qui ravissait mes papilles. Les yeux brillants, Caroline baissa la voix :

– Il arrive directement de la mer, exposa-t-elle d'un ton de comploteuse. Nous profitons du commerce nocturne sur la côte, toujours plus actif ces derniers temps, pour acheter des denrées qu'on ne trouve que difficilement... ou à des prix tout à fait prohibitifs !

Prise au dépourvu, j'ouvris de grands yeux étonnés :

– Mais, Caroline... tu parles de contrebande ?                                      

– Oh Amy, pourquoi dois-tu toujours employer les grands mots ? demanda-t-elle en éclatant d'un rire espiègle.

Les côtes déchiquetées du Dorset, comme le reste du littoral sud-ouest de l'Angleterre, étaient un lieu particulièrement prisé des contrebandiers qui profitaient de ses innombrables criques et grottes pour débarquer leur marchandise. C'était un fait connu de tous, ici ; j'étais certaine de connaître, parmi la haute société et la gentry de Dorchester, plusieurs commanditaires qui augmentaient leurs richesses en envoyant des marins enrichir leur patrimoine par ce commerce illégal. Mais c'était un sujet que l'on n'évoquait pas publiquement, ou très rarement – et seulement auprès de personnes de confiance.

– Mais je parle, je parle ! Et je ne t'ai toujours pas demandé comment tu allais depuis que nous nous sommes quittées à la fin du printemps, s'exclama Caroline.

– Oh, comme tu le sais, mes aventures sont bien moins captivantes que les tiennes, ma vie sociale reste fort limitée en raison de mon étrange position.

– Je sais Amy, mais cela ne m'intéresse pas moins. J'ai la chance de compter comme meilleure amie une femme libre, une femme forte ! Et laisse-moi te dire que cela ne court pas les rues.

– Ce que tu considères comme une chance, d'aucuns sont nombreux à l'appeler malédiction, répondis-je en songeant à ma rencontre avec Lady Arabella Cobb et sa fille. Il me semble que plus j'avance en âge et que plus le décès de père s'éloigne, plus l'on me voit comme une intrigante, voire une dépravée définitivement perdue. Penses-tu ! Je gère le domaine de Brynfield avec Danes, mon intendant – un homme -, j'en développe le commerce des produits – avec des hommes -, j'ai tout pouvoir de décision sur ma vie – comme un homme.

– Ne prête pas le flanc aux critiques, Amy. Quoi que tu fasses, qui que tu sois, il s'en trouvera toujours pour trouver quelque chose à redire à ce que tu fais et à qui tu es, asséna Caroline, dont l'humeur joyeuse était soudain devenue fort sage. Allez, je t'écoute, ordonna-t-elle en m'enfonçant son coude dans les côtes, à nouveau badine.

Le Vent dans les bruyèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant