L'horloge du hall d'entrée, dont les neuf coups résonnèrent jusqu'à ma chambre, me tira de mes pensées. J'accrochai une broche d'ambre sertie d'or au revers de ma veste pour compléter ma tournure, et c'est en terminant de nouer les rubans mauves de mon chapeau de paille derrière mon chignon natté que je sortis de Brynfield Manor. Aussitôt, je fus accueillie par des aboiements enthousiastes : Monsieur de Vendôme, mon pointer anglais, me faisait fête en frétillant affectueusement de la queue. Je m'agenouillai pour caresser sa tête blanche et rousse ; il n'allait plus me quitter de la journée.
Monsieur de Vendôme m'avait été offert par mon père un an avant sa mort, et le nom que je lui avais choisi avait de nouveau alimenté les cancans de la bonne société du coin. Pensez donc ! Donner à son chien le nom d'un bâtard du roi de France qui, de plus, avait comploté contre son cousin Louis XIV, relevait d'une originalité d'esprit dont une respectable jeune fille du Dorset n'était pas véritablement autorisée à faire preuve !
- Allez, Vendôme, c'est l'heure de se rendre en ville pour quelques emplettes. Tu seras bien sage lorsque tu m'attendras, et nous veillerons à aller te faire courir dans la lande en fin de journée.
La température grimpait et je relevai ma jupe pour la coincer à la taille, regrettant les bas qui me tenaient chaud aux jambes. Je passai sous le porche du mur séparant la cour d'entrée de celle des écuries, et saluai Richard, le vieux maître des lieux qui ôta sa casquette en retour.
- Belle journée, Mademoiselle. Souhaitez-vous que je vous attelle le cabriolet ?
- C'est très aimable à vous, Richard, mais j'aime m'en occuper.
Je fronçai les sourcils devant son air préoccupé et lui demandai ce qui n'allait pas. Il remit sa casquette et chercha ses mots avant de me répondre.
- Norse s'est fait une vilaine foulure en travaillant hier. J'ai envoyé le jeune Tom chercher le maréchal-ferrant dès son retour à l'écurie, mais il est revenu bredouille sans pouvoir me dire quand est-ce qu'il pourra se déplacer jusqu'ici.
- Où l'avez-vous mise ? Laissez-moi l'inspecter et voir si je peux lui venir en aide en attendant qu'un guérisseur n'arrive. Je ne pense pas avoir encore quelques réserves des plantes qui pourraient la soigner, mais je me rends en ville pour des courses et je pourrai m'arrêter chez l'herboriste ou l'apothicaire. Tout compte fait, attelez-moi le cabriolet pour que je ne perde pas trop de temps.
Il m'indiqua le fond de l'écurie. Passant le long des boxes, j'entendis Beorn, mon étalon favori, frapper du sabot contre la paille pour me saluer et mander mon affection. Je le flattai d'une caresse sur le chanfrein pour le faire patienter. J'étais décidée à d'abord voir ce dont il en retournait avec Norse, qui était notre meilleure jument de travail et dont la perte éventuelle serait fort difficile à remplacer.
Arrivée à la stalle du fond, je sentis effectivement qu'il y avait un problème au membre antérieur droit ; je demandai à la jument, avec un regard franc et une main sur les naseaux, l'autorisation de l'ausculter qu'elle m'accorda aussitôt. Une fois que j'eus compris ce dont il en retournait avec sa blessure, j'enfouis mon visage dans sa crinière pour la remercier, inspirant son odeur chaude et réconfortante à pleins poumons.
- Effectivement, il faudra faire venir le maréchal-ferrant au plus tôt, confirmai-je à Richard en sortant de la stalle et en retrouvant Beorn, qui encensa avec enthousiasme sous mes caresses. Je m'enquerrai en ville de l'endroit où il peut être trouvé, et je reviendrai avec de quoi préparer une décoction d'aigremoine et de camomille dont vous lui baignerez longuement la cheville. En attendant, allez voir en cuisine s'il reste un chou. Vous prierez Mrs. Bulbrook de vous en ébouillanter les feuilles et les appliquerez avec du vinaigre en cataplasme tiède sur la foulure. Il faudra bien que cela fasse l'affaire... terminai-je dans un murmure, le cœur serré en imaginant la pire des éventualités.
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Le Vent dans les bruyères
Historical Fiction[SOUS CONTRAT D'ÉDITION] Lady Amy Ridley, jeune héritière éprise de liberté, a juré de ne jamais se marier pour ne pas renoncer à son indépendance. Et ce n'est pas le mystérieux Lord Hawke, nouvellement arrivé en ville pour des affaires peu reluisan...