XIV/ Jeunesse

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    Azur Brumeux avançait d'un pas lourd dans la lande gelée. Sa démarche, claudicante, laissait imaginer une blessure. Seulement, la nuit noire, toute voilée de nuages neigeux, cachait le sang qui coulait comme de la lave suintante.

Une peine infinie le tuait. On aurait dit une énorme écharde qui s'incrustait toujours plus dans son cœur. Un cœur qui ralentissait toujours un peu plus. Allait-il s'arrêter de battre ?

Non loin, il discerna ce qu'il cherchait. Il était arrivé. Il était enfin là où il devait être.
Le souffle lourd et calme d'un percheron endormi, l'odeur rassurante du crottin et du foin, la douceur de la terre battue et de la chaleur de l'étable l'accueillirent.

Au milieu de cet enfer polaire, se trouvait ce lieu providentiel. Une planche de salut face au déluge...

Malgré la fatigue il perçut des voix bien connues :

« Et là, j'ai dit : « Mais dis-moi, Jacot ? Tu viens de voler ma litière ! Et il me répond, l'air de rien : « Et oui, pardi ! ». Non mais le culot du félin !

- Dingue ton histoire, Zyréel ! Au moins aussi dingue que celle « du rat qui parle mais en fait c'était ton frère ! »

- T'es vraiment rabat-joie, Brise ! J'essaye de réchauffer l'atmosphère... J'entends quelqu'un.

- L'odeur de mon clan ! »

Azur Brumeux entendit une cavalcade fondre sur lui et il s'écroula, se sentant enfin à l'abri.

« Azur Brumeux ? Azur ! »

Il savoura le parfum rassurant de Brise, se laissa porter, soigner, nourrir comme un chaton...

« C'était quoi ? demanda-t-il, tout ensommeillé et la peau du ventre bien tendu.

- Du lait de vache. »

Le timbre dur de Zyréel le ramena à la réalité.
Il croisa le regard inquiet de Brise et murmura :

« En une journée, je suis devenu mentor et lieutenant. »

Un hoquet surpris s'échappa de la gueule ébahie de ses hôtes.
Dehors, la neige se mit à s'effondrer sans un bruit sur la lande, la couvrant d'un tapis de cendres.

Soudain, un nouveau parfum s'invita dans la grange : une odeur de pins et de musc.

~~~O~~~

Perle d'Obsidienne jeta un regard méfiant à l'énorme silhouette qui dormait paisiblement dans l'étable. Ses lourds sabots pouvaient sans mal briser un chat en deux. Ses naseaux laissaient s'échapper une douce fumée nacrée et ses oreilles se laissaient guider par les bruits alentours. Enfin un être paisible dans tout ce chaos. La guerrière en était presque jalouse...

La veille, lors de l'assemblée, elle et Azur Brumeux avaient convenu d'un rendez-vous ici quoi qu'il advienne.
Elle tenait son engagement malgré les circonstances, malgré le fait qu'elle venait de traverser trois territoires pour arriver à bon port ...

Après une seconde d'hésitation la féline passa devant l'étalon et rentra dans la grange...
Elle fut aussitôt accueillie par une femelle crème, svelte et à l'œil farouche :

« Pas un pas de plus ! »

Perle d'Obsidienne siffla avec mépris, ses muscles roulèrent sous sa fourrure toute mouchetée de flocons.

« Sinon quoi ? Qu'est-ce que tu vas faire, chatte errante ? feula-t-elle en retour, toutes griffes dehors :

- Ici, c'est toi l'intruse ! Recule ou meurs.

LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~ II. Remords Où les histoires vivent. Découvrez maintenant