VIII/ Visions

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     Sur une berge humide, deux silhouettes se tenaient là sans un bruit.
Les brumes rosées du matin drapaient les cieux d'un voile poudré. La lune, vague croissant, s'estompait à l'horizon et laissait place à un soleil encore hésitant.
Les branches nues bourgeonnaient, les sarcelles cancanaient gaiement dans la rivière sereine et la bise venue des plaines portait en son sein le parfum des genêts en fleurs.

Les deux ombres félines, l'une puissante l'autre grêle, se laissaient bercer sans un mot. Aucune ne semblait vouloir esquisser un mouvement. Respiraient-elles seulement ?
Presque invisibles, on douterait de leur existence.
Peut-être n'était-ce là que le reflet d'un songe.

« Nuage de Houle ? »

La plus frêle murmura ce nom avec une pointe d'hésitation dans la voix, comme si, à force d'attendre là en silence, elle doutait de la présence de l'autre.

« Oui ? »

La réponse, rassurante, presque nonchalante, la poussa à continuer :

« Je me demande parfois si...

- Si ?

- Si tu m'aimes. »

Nuage de Houle ferma puis ouvrit ses grandes prunelles bleu lagon avant de répondre dans un soupir lasse :

« Nuage de Marée... »

Derrière l'agacement on décelait la tendresse.

« Tu ne le dis jamais.

- Toi non plus. »

Nuage de Marée inclina la tête, comme si elle réalisait enfin quelque chose. Elle ouvrit la gueule, la ferma, tourna sept fois sa langue entre ses crocs puis articula doucement :

« J'ai sûrement peur de ta réponse.

- Parce que tu voudrais dire « je t'aime. » comme une question ? »

Comme pour clarifier sa pensée, Nuage de Houle mima :

« Je t'aime ?

- Pour toi, un « je t'aime. » n'attend rien en retour ?

- Tout paraîtrait superflu. »

Toutes deux se turent, pensives.

Nuage de Houle coula un regard si doux vers Nuage de Marée que le dur azur de ses yeux parut soudain cristallin.
Mais qui sait, ce n'était peut-être qu'un jeu de lumière...

        Derrière cet éclat paisible, dissimulé dans l'ombre, se trouvait un félin blanc. Impuissant, il assistait à la scène sans comprendre...
Pourquoi était-il là ? Pourquoi ses rêves se mêlaient-ils à des bouts de souvenirs égarés ?
Azur Brumeux se sentit tiré en arrière, tout tourna à toute allure puis tout se figea dans un noir absolu.
Une peur indescriptible pulsait dans ses veines, un monstre appelé « mille questions » habitait son esprit et enfin la lassitude s'abattit sur ses épaules.

Il ne comprenait rien.

Que faisait-il dans ce rêve ? Était-ce seulement un rêve ? Mais pourquoi cette vision au lieu d'une autre ?
Et par dessus tout, que devait-il en faire ?

Oui. Il était fatigué de tout cela.

« Trouve ceux qui détiennent la vérité. »

Azur Brumeux ne reconnut pas la voix qui retentit dans ses pensées déjà emmêlées, mais il n'y prêta pas attention.
Il voulait juste se réveiller, vivre et oublier tout cela.

Quand il ouvrit les yeux sa vue était encore embrouillée de fatigue.
Les fragrances des plantes médicinales lui rappelèrent où il était et comment il y était arrivé :
L'accrochage avec le Clan de la Rivière, la noyade, Nuit Claire...

LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~ II. Remords Où les histoires vivent. Découvrez maintenant