Chapitre 2 : Abigail

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   Abigail avait dix-neuf ans mais avait l'impression de ne plus être elle-même depuis trois ans. Ou peut-être qu'elle s'était toujours sentie ainsi mais que cela s'était accentué depuis l'accident. Elle ne se souvenait plus vraiment. Elle avait de gros trous de mémoire de temps en temps. Cette soirée de Septembre était encore floue pour elle. Abigail se souvenait être allée à son entraînement de danse. Elle se souvenait d'être allée chez Alexandre Moore, d'avoir fumé. Elle se souvenait d'être montée dans sa voiture et d'avoir ri avec lui. Et puis le trou noir.

Le néant.

À son réveil, elle était dans un lit d'hôpital et ne pouvait pas respirer. Elle avait paniqué et avait voulu bouger mais s'était rapidement rendu compte que ses poignets étaient retenus par des sangles attachées à son lit. Et même si cela n'avait pas été le cas, vu le nombre de tubes qui étaient sur elle et les aiguilles qu'elle avait dans le corps, elle n'aurait pas pu bouger. Elle avait tout de même paniqué, s'était agitée comme elle pouvait. Avait finalement repéré sa mère, assoupie sur la chaise à côté de son lit. Le bruit de son agitation ne l'avait pas réveillée pour le moins du monde.

Abigail était seule.

Cela n'avait rien de nouveau.

Alors elle s'était calmée. Elle avait tenté d'apprendre à respirer malgré le tuyau qu'elle avait dans la gorge. Malgré celui qu'elle avait dans le nez. Abigail essayait de prendre sur elle pour comprendre ce qu'il se passait. Elle avait toussé, elle avait besoin d'air.

C'était certainement cela qui avait déclenché une alarme au-dessus de sa tête. C'était ça qui avait réveillé sa mère en sursaut avant qu'elle ne réalise, d'un coup, que sa fille avait les yeux ouverts et la regardait, désespérée. Sa mère était sortie en courant chercher un médecin, en hurlant. Pour la bonne mesure. Abigail avait vu la porte s'ouvrir et se fermer rapidement. Certaine d'avoir vu quelqu'un s'approcher. Quelqu'un qui ne portait pas de blouse.

"Alex.." avait-elle tenté d'appeler. Sa voix était rauque autour du tuyaux, elle ne la reconnaissait pas du tout. Personne ne répondit de toute façon. Elle avait dû l'imaginer. Alexandre ne pouvait pas se trouver dans les couloirs.

Des médecins s'étaient succédés ensuite. On lui avait enlevé le tuyau qui lui permettait de respirer. On lui avait dit de garder celui qu'elle avait encore dans le nez quelque temps. On lui avait alors expliqué calmement l'accident. Elle avait froid. On lui avait dit que c'était certainement l'effet du traumatisme. Elle avait demandé si elle pourrait remarcher. Oui. Après beaucoup de rééducation elle pourrait. Elle avait demandé si elle pourrait reprendre la danse. Il y avait eu un long silence.

"Quand est-ce que je pourrais reprendre la danse?"

C'était à la façon dont son père s'était approché, lui avait pris la main et lui avait caressé les cheveux qu'elle comprit. Elle ne voulait pas comprendre. Ce n'était pas possible, elle allait se réveiller.

"Je pourrais reprendre la danse, n'est-ce pas ?"

"Non." La voix de son père lui avait semblé tellement lointaine. Ce n'était pas possible. Elle allait se réveiller.

"Mais sans la danse..." Elle se souvenait de sa conversation avec Alexandre. Comment elle lui avait avoué ne rien être sans la danse, comme elle se sentait vide sans elle. "Je ne suis bonne à rien sans ça..." Sa voix était si petite, presque un souffle.

"Tu feras d'autres choses. Trouveras un autre hobby." Avait dit sa mère.

C'était à ce moment qu'elle avait commencé à pleurer. Pas pour sa jambe dans le plâtre, pas pour celle qui était dans des bandages qui devaient être changés tous les jours. Pas pour les cicatrices qu'elle aurait sur les bras ou sur son arcade sourcilière. Pas pour l'attelle qu'elle avait au poignet gauche ou pour le plâtre qu'elle avait à la main droite. Elle pleurait pour ces heures passées dans le studio qu'elle ne pourrait jamais avoir. Pour les nouveaux chaussons qu'elle venait d'acheter et qu'elle ne pourrait jamais mettre. Pour tous ces rôles qu'elle ne jouerait jamais. Pour ce futur qu'elle avait imaginé et qu'elle allait devoir abandonner.

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