[06] À la porte de l'éternité.

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  Dans l'après-midi de ce même jour, il y a eu une progression de ton état

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Dans l'après-midi de ce même jour, il y a eu une progression de ton état. Ils ont trouvé que tu regagnais des couleurs et que tu réagissais un peu plus aux stimuli extérieurs. Alors j'ai repris espoir, j'ai imaginé tes jolis yeux s'ouvrir à nouveau, et je me suis vue t'enlacer plus fort qu'avant, t'embrasser plus vivement.

Je crois que le monstre nommé « Déni » m'a attrapée à cet instant, il m'a appâtée avec de jolis rêves et des promesses intenables. Il a masqué ces pensées qui me rongeaient, cette vérité qui tentait pourtant de hurler. Je ne voulais pas l'avouer, trop effrayée, mais je savais que tu m'avais déjà abandonnée.

Je pense qu'après ces trois premiers jours d'enfer, une nuit profonde et terrifiante est tombée sur ma vie. Le crépuscule de notre vie à deux a pris fin lorsque même les médecins ont perdu espoir. Le soleil s'est couché. J'ai sombré dans une nuit si noire qu'elle m'a entièrement aveuglée. Je ne voyais plus rien, je n'entendais plus rien. Je refusais d'y croire, je refusais d'envisager un avenir dans lequel ta main n'aurait pas été dans la mienne.

Mes nerfs rongés ont cru lâcher ce fatidique jour de février. C'était un dimanche, le six. Il était un peu plus de dix-huit heures quand j'ai vu pour la deuxième fois mon monde s'effondrer. Quand, en urgence, l'hôpital a appelé. Ils m'ont dit de venir te dire adieu avant qu'il ne soit trop tard et de me presser, parce que tu étais en train de partir, de nous quitter.

J'ai cru mourir réellement en te voyant. Ta vie ne tenait plus qu'à un fil, tu ne montrais plus l'ombre d'une réaction. Tu n'étais plus qu'un corps inerte au milieu de tubes, de machines et de cathéters. J'ai un instant voulu arracher tout cet attirail pour te serrer contre moi, mais j'ai eu bien trop peur d'être ta meurtrière. Je n'ai pas songé que j'aurais pu être ta sauveuse, celle qui t'aurais enfin délivré du calvaire dans lequel les médecins t'avaient plongé.

Alors j'ai beaucoup pleuré. J'ai tenu tes mains et j'ai fait mon possible pour que tu m'entendes, pour que, peut-être, ma voix puisse te parvenir. J'ai tenté de me résoudre au fait que tu allais m'échapper, qu'il valait peut-être mieux ne pas résister. Je ne voulais pas te faire souffrir encore. Je crois que ce soir-là, j'ai souhaité que tout cela cesse, que toute cette peine disparaisse. J'ai prié pour que toi et moi, nous puissions enfin trouver la paix, que la vie nous soit retirée pour que cet enfer puisse enfin prendre fin.

Pourtant, le lendemain tu étais encore là. Et leurs mots glaçants aussi. « Si rien ne s'améliore davantage, alors nous le débrancherons lundi prochain ». « S'il meurt alors je brûle la maison, et moi avec ». C'est ce que j'ai dit à ta famille lorsqu'ils m'ont annoncé la décision des médecins et la leur. J'étais cramponnée au canapé, les yeux dans le vague et le cœur en miettes.

Je n'imaginais pas ma vie sans toi, je ne voulais même pas y songer. Le monstre du Déni s'était emparé de moi comme le cancer s'était agrippé à toi ; il a brouillé ma vision et j'en ai oublié la souffrance dans laquelle tu te trouvais. Je n'ai pensé qu'à moi, qu'à cette peur lancinante d'être seule, de te perdre, de ne plus pouvoir t'aimer. J'ai eu l'impression de vivre une deuxième fois ton décès alors que tu étais encore là.

J'étais terrifiée par l'idée de te voir disparaître, de te voir emporter avec toi mon cœur, et toute une partie de mon être.

⟣ ☼ ⟢

Van Gogh, À la porte de l'éternité (avril-mai 1890)

𝗕𝗘𝗙𝗢𝗥𝗘 𝗧𝗛𝗘 𝗗𝗔𝗪𝗡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant