Chapitre 9

970 26 10
                                    

Cela fait maintenant deux semaines que je suis dans la villa, j'ai pris mes petites habitudes. Chaque jour, Alejandro vient me voir, nous révisons, nous mangeons et rions ensemble. Cependant, cela fait plus d'une semaine que j'ai un sentiment d'abandon et de solitude que l'adolescent à la tignasse rousse et sa bonne humeur perpétuelle ne parviennent pas à abattre. Aussi bien Brook que Raphaëlle, aucune des deux n'a fait son apparition depuis maintenant une semaine, depuis que nos regards se sont entrecroisés au travers de cette baie vitrée.

Leurs voix, leurs odeurs, leurs présences au charisme indéniable me manquent. Même leurs voix dures et impartiales lorsqu'elles m'ordonnent n'importe quoi me manque. Et pourtant je déteste que l'on me dicte ma conduite, mais je crois qu'elles m'ont séduites en si peu de temps. 

“Arrêtes Alli tu deviens folle, ces femmes sont d'horribles tortionnaires, avec une prestance à couper le souffle certes mais elles sont dangereuses” 

Je suis partagée entre curiosité et raison, entre envie de vivre et instinct de survie, entre ce que je perçois de bien ou de mal. 

Ce manque que Alejandro a tenté en vain de combler s'est accompagné par les appels de ma famille. Moi qui était privée de tout contact extérieur pendant au minimum une semaine. Cela peut paraître peu, mais lorsque vous êtes plongé dans l'inconnu et que vous manquez terriblement de compagnie, bien que Alejandro soit une des meilleures compagnies dont on peut rêver, ne plus avoir de contact avec votre famille vous rend nerveux et attristé. 

Un matin, alors que pour la énième fois de la semaine, le grand lit de la chambre conjugale n'est occupé que par mon corps au teint bronzé, entretenu par mes visites régulières des somptueux jardins que renferment les grands murs blancs derrière lesquels je suis enfermée, sur la table de nuit se trouve mon téléphone. Je l'ai immédiatement reconnu de par sa coque où est inscrit en lettres esthétiques la citation suivante:  « Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif et méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. » Simone de Beauvoir. 

Ma mère a toujours été une fervente féministe. Quand j'étais jeune elle me lisait les œuvres de Simone de Beauvoir, de Bell Hooks ou encore de Margaret Atwood. J'ai vécu entourée des idées de George Sand, d'Olympe de Gouge, de Simone Weil et tant d'autres encore. C'est sans doute pour cela qu'en 4ème, alors qu'un garçon de la classe nommé Mario a fait tomber son papier de gâteau devant une fille, qui passait le balai car elle avait cassé son verre, en lui disant  « fait ton devoir femme, ramasse » je me suis interposée et ai récité cette citation de Simone de Beauvoir, laissant au passage les collégiens du réfectoire se retourner vers lui pour admirer sa frustration perceptible. 

Les hommes de ma famille sont d'ailleurs très engagés dans son combat, il est vrai que seule ma mère cuisine dans le couple mais c'est surtout pour nous éviter d'être malade à causes des repas de mon paternel qui se sert bien mieux d'un couteau pour égorger un homme que pour découper des légumes. Il a même soutenue ma mère quand elle lui a avoué vouloir lancer sa propre ligne de lingerie féminine. Je pense que d'une part ça l'arrangeait qu'elle choisisse ce domaine plutôt que de reprendre ses études de droit. 

Mon téléphone m'a donc aidé, j'ai repris contact avec ma mère qui s'est empressé de me faire passer un interrogatoire alors que mon père tentait en vain de calmer son engouement. Je revois encore la scène de notre premier appel vidéo. 

~Flashback de cet appel~

Je m'assois sur le premier coussin que je trouve en mettant mon téléphone à la verticale contre le pot de fleur situé sur la petite table en bois ancien du salon. C'est ma mère qui lance l'appel que j'accepte la seconde suivante sans une once d'hésitation. 

Allison Grayson Scott : Entre quatre mains  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant