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Huit morts. Quatre membres du Bonten, et quatre policiers. Un membre dans le coma. Un autre qui n'était plus capable ni de bouger, ni de réfléchir, ni même de reconnaître sa famille. Deux blessés graves. Trois autres avec des blessures par balles, moins importantes. De nombreux traumatismes. Rindo avait deux côtes cassées. Un poignet réduit en mille morceaux et enfermé dans un plâtre. Une épaule en lambeaux, maladroitement recousue au fil, et infectée par l'eau de la mer et par la fumée de l'explosion. Une légère commotion à la tête. Les poumons pollués, et les cordes vocales cassées à force d'avoir trop toussé. Des souvenirs flous, des flashs qui défilaient devant ses iris, des images qui se répétaient en boucle.
Il était... complètement dévasté... Jamais, jamais, il n'avait connu un tel désastre suite à une mission. Beaucoup de missions avaient mal tourné, il y avait parfois des morts, et très souvent des blessés importants. Mais la situation n'avait jamais été si catastrophique. Il n'y avait jamais eu de membre dans le coma, et jamais un chef de brigade n'était mort. Mais là... Deux chefs étaient morts. Deux. Et deux autres membres importants du Bonten étaient presque morts. Hajime était tombé dans le coma... Hanma s'était fait fusillé... Shinichiro n'avait presque plus aucune capacité, et il était si affaibli qu'il ne pouvait rien faire seul... Et Kazutora... Il était...
Rindo n'arrivait pas à y croire. Kazutora ne pouvait pas être mort. C'était impossible, il n'avait pas pu mourir. Il avait forcément survécu, il ne pouvait pas être mort. Il avait forcément été ramené et soigné, oui, il s'était fait soigner et il devait être en train de dormir dans une chambre. Il devait être dans une des chambres à côté de celle où se trouvait Rindo, allongé dans un lit confortable, avec des bandages faits avec soin sur ses blessures, peut-être une canule dans le nez pour l'aider à respirer, et une transfusion de sang pour compenser avec tout le sang qu'il avait perdu... Oui... toutes ses plaies devaient être recousues à présent, sa main avait dû être refermée, et les coups de couteaux qu'il s'était pris... ils devaient... C'étaient de lointains souvenirs, aucun organe n'avait pu être touché, et... Et ses entailles devaient aussi avoir été soignées... Elles le devaient...
Il n'était pas mort, ce n'était pas possible, Rindo refusait d'y croire. Il avait survécu, il était en vie, il était toujours là, il ne pouvait pas être parti. Chifuyu n'avait pas mutilé son ventre, il n'avait pas été aussi sanguinaire avec lui, il ne s'était pas endormi à jamais dans les bras de Keisuke et Kazutora n'avait pas fermé les yeux à jamais. Non, ce n'était pas réel. Ce n'était pas possible qu'il soit mort. Comment pourrait-il être mort ? Il ne pouvait pas les laisser, il ne pouvait pas partir comme ça. Il ne pouvait pas être mort de cette manière, pas comme ça, pas sur cette île, pas à cause de Chifuyu. Il ne pouvait pas être mort, pas juste avant que l'hélicoptère de ne les sauve, pas juste au moment où tout c'était fini. Pas dans les bras de Keisuke, et pas sans avoir dit au revoir à Rindo... Pas sans un regard pour lui...
Ce n'était pas possible, Rindo refusait d'y croire...
— Rin, murmura quelqu'un près de lui.
Le jeune homme ne répondit pas, et garda les yeux perdus dans le vide.
— Rin, répéta la personne en secouant légèrement son épaule intacte. Rindo, tu nous entends ?
Rindo cligna des yeux, revenant lentement à la réalité.
— J'ai terminé ton bandage, dit une seconde voix.
Rindo leva la main et effleura son front du bout des doigts. Des bandes de coton étaient posées dessus, cachées sous ses mèches violettes. Elles faisaient tout le tour de sa tête, sûrement pour protéger la blessure qu'il s'était faite au crâne en tombant sur l'île...
— Rindo ça va, demanda Ran avec inquiétude.
— Il est en état de choc, et il vient de se réveiller. Laisse-lui un peu de temps.
Le jeune homme tourna les yeux et regarda autour de lui avec fatigue, en ignorant son frère et le médecin qui se tenaient autour de son lit. Ce n'était même pas un vrai médecin d'ailleurs, enfin, pas pour les vivants... Ryusei était le médecin légiste du Bonten, il n'était pas souvent au siège car il était toujours en déplacement, Rindo le voyait assez rarement. Il avait dû venir au Siège en urgence en apprenant la situation, après tout il avait quelques capacités de médecin, il pouvait les soigner un minimum...
   — Je vais rapidement t'ausculter, et ensuite je te laisserai tranquille, dit-il avec calme.
   Il mit son stéthoscope dans ses oreilles, avant de poser son embout sur la côte de Rindo. Le jeune homme le laissa faire et se força à respirer lentement, en prenant de grandes respirations. Son esprit se remettait à fonctionner peu à peu, et désormais il arrivait à voir parfaitement le décor et à se re-concentrer sur la réalité. Il se trouvait dans une chambre de soin, c'étaient les pièces réservées aux blessés dans la tour du Bonten. Les murs de la chambre étaient d'un blanc impeccable, il n'y avait aucune décoration, presque pas de meubles, ce qui rendait la pièce très vide. Elle était assez petite, mais de grandes fenêtres à la droite de Rindo éclairaient la pièce et l'agrandissaient, et puis les murs blancs la rendaient plus spacieuse.
   Derrière les fenêtres, le soleil brillait haut dans le ciel. Il s'était complètement levé, il n'y avait plus qu'une trace de rose dans le ciel, il n'y avait plus qu'une grande toile bleue, maculée de nombreux nuages blancs qui flottaient au-dessus des tours de la ville. Le temps était magnifique, étrangement les nuages étaient tous éloignés du soleil, comme pour ne pas risquer de l'éclipser, et ils paraissaient tous bien pâles à côté de sa lumière. Il devait faire bon dehors, bien meilleur que sur l'île, près de la mer où le temps était glacial. Alors Rindo était de retour au Siège du Bonten...
   Il n'avait aucune idée de comment il était arrivé là, ni depuis combien de temps il était allongé dans ce lit. Ses souvenirs peinaient à revenir, tout s'emmêlait dans son esprit, et son mal de tête n'arrangeait rien. Il ne se souvenait pas de tous les derniers événements qui s'étaient déroulés sur l'île. Il se souvenait avoir provoqué une explosion, il la revoyait clairement dans ses pensées, et il sentait toujours la sensation de tremblement provoquée par l'explosion. Rien qu'en y repensant, il pouvait ressentir l'odeur des arbres brûlés, la vague de chaleur qui les avait submergés, la poussière qui lui avait irrité les yeux, et sa gorge qui s'était mise à le brûler.
   Rindo n'arrivait pas à reconstituer le fil des événements, mais peu importait. Il n'arrivait pas à penser à quoi que ce soit d'autre que Kazutora. Il ne pouvait pas croire à sa mort, ses souvenirs devaient lui faire défaut...
   — Ça m'a l'air en ordre, finit par dire Ryusei en retirant son stéthoscope pour le mettre autour de sa nuque. Comment tu te sens ?
   — ... Vide, murmura Rindo en fixant le mur blanc devant lui.
   — Tu dois être encore sonné. Essaye de suivre la lumière, d'accord ?
   Rindo vit une petite lumière blanche apparaître devant ses yeux et bouger de droite à gauche, et la suivit sans conviction.
   — Tu devrais manger, t'es tout pâle, dit Ran avec inquiétude.
   — ... J'ai pas faim, murmura faiblement le jeune homme. J'ai dormi depuis combien de temps ?
   — Un jour.
   — Un jour, s'exclama Rindo en écarquillant les yeux.
   — Oui, on t'a injecté un puissant somnifère pour te calmer... On a dû faire pareil avec Keisuke, il s'est réveillé juste avant toi.
   — ... Et les autres ?
   — Sanzu est avec Senju, mais il va bien. Il comptait passer te voir tout à l'heure. Hajime est dans une chambre, il est dans le coma mais son état a été stabilisé pour l'instant. Il a perd énormément de sang... Seishu est avec lui, ils ont dormi ensemble. Shinichiro aussi est dans une chambre de soin, avec Wakasa, Emma et Izana. Il va bien, mais il est extrêmement faible. Tu pourras aller les voir si tu veux, mais pour l'instant il faut que tu te reposes.
   — Où est Kazutora ?
   — Il est... On a pu le ramener... Benkei aussi... Lui aussi, tu pourras aller le voir...
   Rindo se redressa immédiatement et souleva sa couette de lit. Il arracha sèchement l'aiguille de la perfusion enfoncée dans son avant-bras, retira la canule qu'il portait pour mieux respirer, et se leva rapidement.
   — Rindo qu'est-ce que tu fais, s'exclama Ran en le retenant par le bras. T'es encore faible, tu dois te reposer ! 
   — Il faut que j'aille le voir, dit Rindo en se dégageant de sa main.
   — T'es blessé, tu dois rester au lit, insista son grand-frère. Tu as besoin de repos.
   — Non je vais bien, je dois voir Kazutora. 
   — Rindo, il va pas partir..., murmura doucement Ran.
   Rindo fixa longuement son grand-frère sans répondre, son cœur loupant plusieurs battements dans sa poitrine.
   — Laisse-le y aller, intervint Ryusei en posant sa main sur l'épaule du jeune homme. Je vais l'accompagner, et puis on ira voir les autres avant pour le préparer.
   — Mais il-
   — Il faut qu'il lui dise au revoir. Après Kazutora ne sera plus là, je m'occupe de lui et Benkei ce soir, expliqua Ryusei à voix basse. Viens Rindo, je vais y aller avec toi.
   Rindo regarda Ryusei d'un air bouleversé. Dire au revoir à Kazutora... Mais il ne voulait pas lui dire au revoir, il voulait seulement voir comme il allait... Pourquoi parlait-il de lui dire au revoir ? Kazutora n'allait pas partir... Il n'avait pas le droit de partir... Il ne pouvait pas...
   — Rindo tu viens, demanda Ryusei en voyant qu'il n'avançait pas.
   Le jeune homme déglutit difficilement et fronça les sourcils. Il se leva et posa ses pieds nus sur le carrelage froid, ignorant la désagréable sensation qui parcourut sa peau, et sortit de la chambre. Ryusei le suivit, et Ran les accompagna également, sûrement pour rester auprès de Rindo. Rindo s'arrêta au milieu du couloir et tourna la tête de gauche à droite. Il était bien de retour à la maison, il reconnaissait ce décor. Le tapis de velours rouge qui couvrait le sol, les murs sombres, éclairés par des appliques au mur qui diffusaient une douce lumière jaune. Il n'y avait aucune décoration, pas un tableau ni une photo accrochée au mur. Il y avait qu'une succession de portes noires, espacées par quelques vitres qui permettaient d'observer certaines pièces depuis l'extérieur. C'était comme ça à tout l'étage. Rindo était bien de retour à la maison.
Constater qu'il était réellement de retour chez lui, en sûreté au siège du Bonten, lui procura un profond sentiment de soulagement. Il était vraiment de retour, l'île était loin désormais, les policiers aussi, et il n'y avait plus aucun danger. Il était en sécurité, il ne risquait plus rien. Tout était terminé, tout était enfin fini... Rindo sentit des larmes lui monter aux yeux en constatant cela, et il se mordit la lèvre. Il n'était resté qu'une nuit sur l'île, mais ça avait été la nuit la plus longue, éprouvante et terrifiante qu'il n'avait jamais vécu. Il avait eu tellement peur au cours de cette nuit que son cœur était épuisé et n'arrivait plus à battre correctement, il se sentait vidé. Il n'en pouvait plus. Ça avait été un véritable cauchemar, un terrible rêve éveillé. Maintenant qu'il était en sûreté, Rindo se rendait compte d'à quel point les choses avaient mal tourné, et d'à quel point il se sentait mal. La nuit noire qu'il venait de passer l'effrayait encore, il était terrifié. Comment est-ce que tout avait pu vriller à ce point... ?
— Ça va aller, demanda Ran avec inquiétude.
Le jeune homme hocha la tête sans pouvoir répondre.
— Viens, je vais t'emmener voir Hajime, décida Ryusei en partant à droite.
Rindo tourna la tête et le regarda partir avec appréhension, avant de le suivre. Il avançait faiblement, à petits pas, comme pour retarder le plus possible le moment où la réalité le frapperait. Il savait déjà qu'Hajime était très mal et qu'il était tombé dans le coma... Mais il ne savait pas s'il était prêt à le voir dans un lit d'hôpital. Le voir de ses propres yeux ne ferait que renforcer l'horreur de la situation, ça ne ferait que la rendre plus vraie, plus réelle... Rindo ne savait pas s'il était prêt à voir son meilleur ami dans un tel état...
Mais ses pas le guidèrent d'eux-mêmes jusqu'à la chambre d'Hajime, et il finit par s'approcher très lentement d'une vitre, devant laquelle Ryusei s'était arrêté.
— Je préfère ne pas te faire rentrer, Seishu est avec lui, dit Ryusei.
Rindo ne répondit pas et fit quelques pas vers la vitre, qui donnait vers la chambre. Comme pour la sienne, il n'y avait qu'un unique lit dedans, entouré de plusieurs machines électriques. Il n'avait aucune idée de ce à quoi elles pouvaient servir, il reconnut simplement un cardiogramme qui faisait apparaître les lignes de vie de son meilleur ami. Les courbes du cardiogramme étaient à peine visibles, elles étaient régulières, mais elles étaient faibles, le cœur d'Hajime battait à peine...
Rindo détourna les yeux des machines et les posa sur le lit en face de lui. Hajime était allongé dedans. Lui aussi portait une canule dans son nez, ses lèvres violettes étaient faiblement entrouvertes, et l'expression de son visage était figée. Un bandage propre cachait son œil blessé, il n'y avait plus aucune trace de sang sur son visage pâle, et un cerne presque noir apparaissait sous sa paupière clause. Un tube transparent reliait une perfusion à son bras, une aiguille enfoncée dans sa peau brillait dans le noir, et il portait plusieurs gros pansements sur ses bras. Juste à côté de lui, Seishu était allongé dans le lit et se tenait à lui. Il avait posé sa tête sur l'épaule de son fiancé et ses yeux étaient clos, l'un de ses bras passait autour de sa taille pour le tenir tendrement, et l'une de ses mains était posée sur la sienne. Rindo baissa les yeux et vit leur bague de fiançailles briller dans la faible obscurité de la pièce. Malgré le combat qu'ils avaient mené, leur bague était intacte, et elle brillait toujours autant.
Hajime avait presque l'air de dormir comme ça...
— Il n'y a eu aucun signe de réveil, demanda difficilement le jeune homme.
— En arrivant il a bougé un peu ses doigts, mais depuis plus rien. Il est tombé dans un profond coma, expliqua Ryusei en fixant Hajime. J'ai réussi à stabiliser son état de justesse, à quelques minutes près il mourrait vraiment.
— Tu as pu faire quelque chose pour son œil, demanda Ran.
— Pas vraiment. Je l'ai opéré comme je pouvais, mais les yeux sont très durs à soigner, ça se fait au laser et je ne sais pas le faire. Pour l'instant j'ai arrêté l'hémorragie et j'ai empêché l'infection, mais c'est tout. Je ne savais pas s'il vallait mieux lui retirer son œil ou essayer de coudre ou... je sais pas. Seishu n'a pas voulu que j'y touche trop, il préfère que Hajime choisisse lui-même quoi faire quand il se réveillera.
— Il y avait du sang dans ses oreilles, se rappela Rindo dans un souffle.
— Je sais. Il ne devait plus très bien entendre sur l'île, mais avec l'explosion, ses tympans ont explosé, dit Ryusei. Il ne pourra plus rien entendre, ça c'est certain... Il n'entendra pas Seishu lui parler dans son coma...
Rindo regarda avec impuissance son meilleur ami, avant de nouveau regarder sa bague de fiançailles, qui brillait contre celle de Seishu.
— Est-ce qu'il va se réveiller un jour, murmura-t-il en sentant ses yeux se remplir de larmes.
Ryusei tourna la tête vers lui et le regarda longuement.
— Il y a peu de chances, dit-il à voix basse.
Rindo étouffa un sanglot et plaqua sa main contre sa bouche sans pouvoir détourner le regard. Ran posa doucement sa main dans son dos et la passa délicatement, tandis que Ryusei lui lançait un regard désolé.
— Seishu ne sait rien de tout ça. Il ne sait pas qu'Hajime ne l'entendra plus jamais, ni qu'il y a peu de chances qu'il se réveille. S'il te plaît ne lui dis rien pour l'instant, dit Ryusei en baissant la tête. Il vaut mieux attendre un peu...
— Ils voulaient se marier, dit le jeune homme d'une voix tremblante. Seishu l'avait demandé en mariage... I-ils voulaient partir et se marier... Ils voulaient vivre ensemble, en sécurité... J-juste après la mission, ils devaient quitter le B-Bonten...
Ni Ran, ni Ryusei ne répondirent. Rindo se laissa tomber en avant et s'appuya avec détresse sur la vitre devant lui, les yeux rivés sur le corps d'Hajime.
— I-Il est tout pour Seishu, c-c'est pas possible... c-c'est pas possible, R-Ryusei tu dois trouver une solution mais Hajime doit se réveiller... I-Il doit se réveiller et épouser Seishu, il doit partir avec lui, il peut pas mourir, dit Rindo en secouant la tête, des larmes dévalant ses joues à toute vitesse. O-On doit le sauver, on peut pas le laisser comme ça... C'est mon meilleur ami, j-je peux pas le perdre, j-je peux pas... R-Ryusei fait quelque chose, t-tu peux pas le laisser comme ça...
— Rindo... Je suis désolé mais ça ne dépend pas de moi..., dit Ryusei avec peine.
Rindo lâcha la vitre et glissa lentement contre, en continuant de pleurer avec impuissance.
— J-J'aurais jamais dû le l-laisser seul... J'aurais pas dû le laisser se battre sans moi... N-ni venir sur l'île... C'est de m-ma faute... C'est de ma faute... Je l'ai détruit, j'ai r-rien fait pour lui, e-et je l'ai poussé vers la mort, alors que j-je s-savais ! Je savais que S-Seishu avait besoin de lui, je savais qu'ils voulaient se marier, j-je savais qu'ils voulaient être heureux, je le savais ! J-Je le savais et j'ai rien fait p-pour les protéger !
— Rindo arrête, c'est pas de ta faute tout ça, dit Ran en s'accroupissant près de lui pour le prendre dans ses bras. T'y es pour rien, Rin c'était son choix ok ? C'était son choix et même si t'avais essayé de l'en empêcher, je suis sûr que ça n'aurait rien changé !
— Mais j'ai même pas essayé, cria Rindo avec détresse. J'ai rien essayé, j'ai rien fait, rien du tout ! J'ai même pas essayé de le ralentir, ni de le protéger et, j'ai rien fait, je l'ai regarder mourir sous mes yeux, et j'ai rien fait ! J'ai rien fait, ni pour lui, ni pour Hanma, ni pour Kazutora, j'ai jamais rien fait et maintenant regarde où on en est !
— Il n'y avait rien à faire pour eux Rindo, c'est pas de ta faute ! Tu pouvais pas les aider, tu pouvais pas les sauver, qu'est-ce que t'aurais pu faire ?! À part les enchaîner, t'aurais rien pu faire pour les sauver Rindo ! Ils ont choisi de se sacrifier pour ceux qu'ils aimaient, et ça tu n'aurais jamais pu l'empêcher !
— T'en sais rien, s'écria Rindo à travers ses larmes. J'ai même pas essayé et maintenant ils sont morts, y'a plus rien à faire, plus rien. Et rien n'aura plus jamais de sens parce qu'ils sont plus là ! J-Je les ai regardé mourir et je suis resté immobile devant eux... Je suis resté là, à les regarder en sang, à souffrir e-et j'ai rien fait, et personne n'a r-rien fait pour eux ! C'est notre faute à tous, o-on les a laissés tomber alors q-que c'étaient nos meilleurs a-amis, on l-les a abandonnés, o-on les a lâchés !
— Arrête Rindo, tu vas réveiller Seishu, dit Ryusei en s'accroupissant près de lui. Je sais que c'est horrible, mais Ran a raison, c'est pas de ta faute. Arrête de pleurer, et garde ta peine pour toi, t'as pas le droit de pleurer. Pas ici, pas devant Seishu. Lui il pense qu'Hajime reviendra, alors laisse-lui ce maigre espoir.
— M-Mais c'est horrible, il faut lui dire la vérité, dit Rindo en secouant la tête.
— Non. Non pas maintenant. Tout le monde va mal, et si Seishu apprend qu'il ne retrouvera peut-être jamais Hajime, il risque de faire quelque chose de très grave. Pour l'instant il faut le préserver, alors s'il te plaît, ne fais pas trop de bruit et garde ta peine secrète.
Rindo regarda Ryusei avec horreur. Il le voyait à peine à travers ses larmes, il ne voyait plus que des cristaux qui étincelaient devant lui, entrecoupés de taches de couleurs imprécises. Pourtant, le regard sombre de Ryusei transperçait ses larmes et le paralysait, il avait une expression dure, et aucune goutte d'eau dans les yeux. Comment pouvait-il rester de marbre face à cette situation... ?
Rindo ne pouvait pas le supporter, c'était horrible. Il fallait le dire à Seishu, ils n'avaient pas le droit de le laisser vainement espérer. En se taisant, ils condamnaient Seishu à espérer toute sa vie que son amour perdu revienne. Il attendrait en vain au chevet de son fiancé, il passerait ses nuits dans ses bras froids, à écouter les artificiels battements de son cœur. Il continuerait de penser à lui, à passer dans sa chambre de soin et à regarder avec espoir le cardiogramme. Il ne pourrait jamais passer à autre chose, il vivrait dans l'attente, et il parlerait à Hajime sans même savoir qu'il n'y avait aucune chance qu'il l'entende. Se taire reviendrait à condamner Seishu aux tourments de l'attente, à la douleur de l'amour, et à la souffrance de l'espoir. C'était l'empêcher de refaire sa vie, lui voler son bonheur. Ce serait comme l'enfermer dans le souvenir d'Hajime... Ils ne pouvaient pas lui infliger cela... Si Hajime n'allait pas se réveiller, Seishu devait se libérer de lui...
— On ne peut pas ne rien lui dire..., murmura le jeune homme en essuyant ses larmes.
— Pour l'instant on ne lui dit rien, répéta Ryusei. C'est un ordre de Mikey. Une fois que les choses iront mieux et qu'on pourra aider Seishu à laisser partir Hajime, on lui dira. Mais pour l'instant il n'est pas prêt, et nous non plus.
— Mais il sera jamais prêt à le laisser partir, c'est l'amour de sa vie ! P-Pourquoi tu débranches pas H-Hajime si tu sais qu'il ne se réveillera pas ?!
— On ne sait pas ce qui va arriver, peut-être qu'un miracle va se produire et qu'il se réveillera..., dit Ran en serrant le jeune homme contre lui.
— Rindo, il y a déjà quatre morts, et tout le Bonten est en train de s'écrouler, il faut limiter les dégâts, dit Ryusei en le prenant par les épaules.
— Détruire la vie de Seishu c'est limiter les dégâts, s'écria Rindo.
— Sa vie sera détruite quoiqu'il arrive, murmura doucement Ryusei. Et ça je ne peux rien y faire malheureusement...
— Dis pas ça, coupa Ran. On ne sait pas ce qui va arriver pour Hajime, nous aussi on doit garder espoir. Il y a peu de chances qu'il se réveille, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en a aucune. Je suis sûr qu'une part de lui est toujours là et qu'il se bat, il n'abandonnerait jamais Seishu. Il va se battre pour lui, pour revenir et lui dire qu'il l'aime, et ils vont se retrouver. Ok Rindo ? Hajime va revenir, et tu verras qu'il sera heureux avec Seishu, ils vont se marier et ils ne se sépareront plus jamais, ok ?
Rindo ne réussit pas à répondre. Quel intérêt il y avait à répondre, il savait très bien que son grand frère lui disait ça pour le rassurer... Il fallait voir la vérité en face, Hajime n'ouvrirait sûrement plus les yeux... Ils avaient trop tardé pour le sauver, Seishu n'avait pas arrêté de leur dire qu'ils devaient se dépêcher, mais ils avaient traîné et voilà le résultat... Ils étaient rentrés trop tard...
— Rindo, appela une voix au bout d'un moment.
Le jeune homme releva la tête sans comprendre et chercha des yeux celui qui venait de l'appeler. Sanzu venait d'apparaître dans le couloir, il se tenait à seulement quelques mètres de lui, juste devant une porte ouverte. Rindo se releva immédiatement, s'arrachant à l'étreinte de son frère, et courut vers son petit ami avec désespoir.
— Tu vas bien, dit-il en se jetant dans ses bras.
— Je vais bien... Et toi ? Ça va tes blessures, s'inquiéta Sanzu en le serrant contre lui.
— Je m'en fiche, dit Rindo en reniflant. S-Sanzu, H-Hajime est... Il va pas... i-il...
— Je sais Rin, murmura son petit ami. Je sais déjà...
— J-Je peux pas... Il p-peut pas... C-C'est pas possible...
— Rindo calme-toi, murmura Sanzu en caressant ses cheveux. Pour Hajime il y a encore un peu d'espoir... Ne commence pas à l'imaginer partir, ni à Seishu et à son enterrement... Il est toujours là...
Sanzu prit doucement son visage entre ses mains pour essuyer ses larmes, et lui lança un regard désolé. Rindo le regarda sans comprendre. Il essayait de lui faire comprendre quelque chose. Ses yeux étaient brillants de larmes à lui aussi, ses cils étaient humides, et il le regardait avec une profonde inquiétude.
— Qu'est-ce qu'il y a, demanda le jeune homme en fronçant les sourcils.
Sanzu se mordit les lèvres et secoua doucement la tête, en continuant de faire passer ses pouces sur ses joues.
— Rindo... Je suis désolé..., dit-il d'une voix serrée.
— Quoi ? Pourquoi, demanda le jeune homme.
— Il va falloir que tu sois fort, d'accord ?
— Q-Quoi ?
Sanzu tourna la tête en direction de la porte entrouverte près de lui et Rindo l'imita. Des sanglots se faisaient entendre derrière la porte, et le jeune homme pu reconnaître la voix de Senju, mêlée à quelques murmures. Rindo se détacha de son petit ami et s'avança lentement vers la porte. Il leva un bras tremblant et la poussa légèrement. La porte s'ouvrit toute seule, sans un bruit, laissant alors apparaître une nouvelle pièce. Il n'y avait pas de fenêtre pour laisser voir l'intérieur de la pièce, ce qui expliquait que Rindo n'avait pas tout de suite vu ce qu'il y avait dedans. Il n'y avait pas de lit, ni aucune machine, pas même une fenêtre. Il n'y avait qu'une longue table d'auscultation noire au centre de la pièce, posée au ras du sol. Rien d'autre. Et autour d'elle se tenait agenouillés Senju, Draken, Mikey et Keisuke. Ces deux derniers se tenaient juste devant la table, alors Rindo ne put pas voir ce qui se trouvait dessus. Il ne vit qu'une forme étrange, par-dessus laquelle était déployée un grand drap blanc.
Le jeune homme sentit son cœur s'arrêter et son sang se glacer dans sa poitrine. Il fit un pas dans la pièce, sans parvenir à détacher son regard de la forme blanche sur la table, et s'avança prudemment. Il peinait à avancer, chaque pas alourdissait son cœur et le faisait tomber dans sa poitrine. Il vacillait, chancelait, il tanguait et tentait de tenir. Mais plus il s'approchait, plus sa vue se brouillait, et plus il sentait ses couleurs s'envoler de son visage. Il réussit à faire quelques derniers pas et contourna Mikey et Keisuke. Il arriva au bout de la table d'auscultation, le cœur si lourd qu'il semblait s'être rempli de plomb, et baissa les yeux, les lèvres tremblantes.
Kazutora était allongé sur la table d'auscultation, juste devant lui. Le drap qui le couvrait avait été replié juste en dessous de son tatouage de tigre, et laissait voir son visage pâle, dépourvu de toute couleur. Il était immobile, figé comme une statue de glace, les paupières fermées sur ses iris d'or. Ses cernes s'étaient creusés, tout comme ses joues qui semblaient plus plates. Ses cheveux tombaient en arrière sans plus aucune vigueur, et son visage était baigné des larmes de Keisuke, penché au-dessus de lui.
— Non..., murmura Rindo en secouant faiblement la tête.
Des larmes se mirent à couler sur ses joues sans qu'il ne parvienne à les retenir, et dévalèrent sa peau rougie à toute vitesse.
— N-non..., répéta-t-il en portant ses mains à sa bouche. Kazutora...
Il cligna des yeux et fit tomber ses larmes sur les paupières de Kazutora, en continuant de secouer la tête avec détresse. Sanzu s'approcha à son tour d'eux et vint au coin de la table, pour être entre Rindo et Senju. Il passa doucement sa main dans le dos de Rindo, dans une vaine tentative de soutien, et attira Senju contre lui avec son autre bras. Elle aussi pleurait, ses yeux bleus brillaient de larmes sous la lumière blanche du plafond. Elle tenait la main gauche de Kazutora dans les siennes et la serrait avec impuissance. À côté d'elle, Draken pleurait également, plus discrètement. Il fixait le visage inexpressif de leur ami en serrant les poings, la mâchoire contractée, comme s'il essayait de retenir sa douleur et de la tapir tout au fond de lui. En face, Mikey aussi était en larmes. Lui aussi passait sa main dans le dos de Keisuke pour le soutenir, il tentait de le rassurer à travers ses reniflements, en murmurant quelques paroles que personnes n'écoutait vraiment. Mais leurs larmes n'étaient rien à côté de celles de Keisuke.
Des torrents d'eau coulaient sous ses iris, il hoquetait et peinait à respirer, et ses yeux brillaient tant qu'il devait être incapable de voir quoi que ce soit. Pourtant il fixait le visage de Kazutora avec désespoir, il ne le lâchait pas des yeux, et secouait la tête en sanglotant. Il tenait son visage entre ses mains, sa main gauche glissait dans ses cheveux noirs et les démêlait doucement, tandis que sa main droit était posée sur sa joue, et la caressait avec tant de douceur que s'en était presque irréel.
— K-Kazutora, gémit Rindo avec douleur. C'est p-pas possible... c'est pas possible...
— Même si vous l'aviez ramené en vie, il aurait été impossible de le sauver, dit doucement Ryusei en s'approchant à son tour. Ses blessures étaient mortelles, personne n'aurait rien pu faire pour lui.
— M-mais il a pas le droit de mourir, dit Senju en hoquetant. O-On a besoin de l-lui !
— Il n'a peut-être pas souffert, dit Draken à voix basse.
Senju ne répondit rien et enfouit son visage dans le cou de son frère. Qu'est-ce que ça changeait qu'il ait souffert ou non ? Il était mort ! Il ne reviendrait plus jamais ! Rindo ne le reverrait plus jamais ! Il avait perdu Kazutora, qui était l'une des personnes les plus importantes pour lui ! Kazutora était mort... Il était mort... Rindo n'avait même pas pu lui dire au revoir, il ne savait même pas qu'elle était la dernière chose qu'il lui avait dite...
Kazutora était mort...
Il était mort...
Rindo ne pourrait plus jamais parler avec lui... il ne pourrait plus jamais prendre dans ses bras lorsqu'il se sentait mal... Se perdre dans son regard d'or lorsqu'il voulait oublier sa vie... Il ne passerait plus jamais d'interminable moment avec lui dans les bains... Des nuits enfiévrées à ses côtés... Toute sa relation avec lui volait en éclats, comme ça, en à peine un instant. Tout était fini et il n'y aurait jamais plus rien avec lui, parce que Kazutora était parti, et qu'il ne reviendrait plus jamais. Il ne rirait plus jamais avec eux. Il ne ferait plus jamais de bêtises avec Keisuke, il ne s'amuserait plus jamais à courir à dans tous les étages de la tour pour faire des courses-poursuites avec n'importe qui, il ne ferait plus jamais de mission, il ne passerait plus jamais de temps avec Senju, il ne jouerait plus jamais aux cartes avec les fondateurs, en pleine nuit d'insomnie, il n'irait plus jamais dans des parcs pour enfants, juste pour faire de la balançoire, il ne ferait plus jamais rien ! Il n'était plus là et il ne reviendrait jamais, alors qu'est-ce que ça pouvait faire qu'il ait souffert ou non ?! Qu'est-ce que ça changerait ?!
Kazutora était parti, il était parti, il ne reviendrait plus, ses yeux ne brilleraient plus, sa voix ne chantonnerait plus et son corps resterait froid à jamais ! Il était parti...
Pourquoi avait-il fallu que ça soit lui... Pourquoi Chifuyu l'avait-il tué lui... ?
Rindo releva lentement la tête et dévisagea Keisuke.
— C'est de ta faute, murmura-t-il à travers ses lèvres.
— Q-Quoi, demanda Keisuke en tournant la tête vers lui.
— ... C'est de ta faute. C'est de ta faute si Kazutora est mort. T-tu l'as tué...
— Mais n-non, dit Keisuke en secouant la tête. Pourquoi tu dis ça... ?
— Pourquoi ?! Tu as ramené Chifuyu dans le Bonten, s'écria le jeune homme en frappant soudain Keisuke. Tu l'as ramené, tu n'as pas voulu le tuer, tu l'as entrainé dans tout ça ! C'est toi qu'il a essayé de tuer, et c'est pour te protéger que Kazutora est mort ! Il t'a protégé, il allait être évacué et il est revenu juste pour toi, pour te sauver ! Il a fait demi-tour alors qu'il était blessé, qu'il venait de faire une crise d'angoisse, et qu'il pouvait se mettre en sécurité ! Il est revenu alors qu'il était à peine armé et qu'il avait même pas de gilet pare-balles, il a foncé dans le tas juste pour toi ! C'est de ta faute !
— N-non... c'est pas de ma faute...
— C'est de ta faute, cria Rindo en frappant de nouveau Keisuke avec rage. Tu l'as tué, c'est de ta faute ! C'est ton meilleur ami, c'était à toi de le protéger, et t'as rien fait ! Tu l'as regardé se faire planter et t'as rien fait, tu l'as laissé mourir dans des bras, t'as laissé Chifuyu le tuer ! C'est à cause de toi tout ça, tu nous as ramené Chifuyu juste parce que tu l'aimais et regarde ! REGARDE ! IL A TUÉ TON MEILLEUR AMI ! ET T'AS RIEN FAIT !
— Rindo arrête, s'écria Ran en l'écartant de Keisuke pour l'empêcher de le frapper.
— C'est de ta faute, cria Rindo en continuant d'essayer de frapper Keisuke, qui n'avait pas bougé d'un centimètre. Tu l'as tué !
— Rindo arrête, il est pas responsable, s'exclama Ran en lui bloquant les bras.
— Personne n'est responsable de ça, on pouvait pas savoir que Chifuyu agirait comme ça, dit Draken.
— Bien sûr que si, cria Rindo en repoussant son frère avec toute la force qu'il possédait. On le savait dès le départ ! On le savait et on vous l'a dit, on vous l'a dit putain, et vous avez rien écouté. Dans la prison où ils étaient, Chifuyu nous a tiré dessus dès qu'il nous a vus, et il en avait rien à foutre de nous tuer ! Il a pas hésité à appeler ses collègues quand on était dans le hangar, et eux aussi ils nous ont tirés dessus, comme Chifuyu ! Depuis le début il se foutait de nous, il t'a juste utilisé Keisuke, et toi comme un con tu t'es laissé faire ! Il en a jamais rien eu à faire de toi, et dès le départ il voulait nous tuer, et on le savait très bien, mais vous avez pas voulu le tuer et c'est de votre faute !
— Non c'est pas de notre faute, s'exclama Mikey.
— Bien sûr que si, cria Rindo en continuant de pleurer de rage. Vous avez pensé qu'à vous dans cette histoire, et Kazutora savait très bien que c'était dangereux, mais il vous a rien dit et il vous a suivi parce qu'il vous aime, mais maintenant il est mort et c'est de votre faute !
— Rindo, c'est pas de leur faute, c'est de celle de Chifuyu, dit Ran en essayant de le calmer.
— Et qui a ramené Chifuyu ici hein, demanda Rindo en fusillant Keisuke du regard. Et qui nous a fait foncer tête baissée sur l'île ? Vous êtes partis avec un plan à peine prêt, tout le gang a été entraîné là-dedans, et tout ça juste parce que Mikey voulait retrouver son grand frère ! T'es un putain d'égoïste, tu nous as tous entraîné sur une île ou tout le monde voulait notre mort, juste parce que toi tu voulais ton grand frère qui était peut-être même pas là ! On a foncé juste toi, t'as pensé qu'à toi, t'as pas pensé au gang, ni à tes amis ! À cause de toi on a perdu Takeomi, on a perdu Benkei, on a perdu Hanma, on va perdre Hajime, et on a perdu Kazutora, alors que c'est ton putain de meilleur ami !
— Ah ouais, et qui a ramené Chifuyu sur l'île hein, s'écria Mikey avec colère. Pourquoi tu l'as pas laissé crever ici dans une cellule ?! T'aurais très bien pu le laisser là, ou alors le confier à Akane et South ! C'est vous qui l'aviez ramené sur l'île, c'est tout autant de votre faute ! Et t'as fait quelque chose pour sauver Kazutora ?! T'es parti l'aider ?! Non, tu l'as regardé se faire planter cinq fois et t'as rien fait ! T'étais juste à côté et t'as pas bougé, tu l'as regardé se faire tuer, alors que t'aurais très bien pu en profiter pour tuer Chifuyu par-derrière ! T'as rien fait non plus, et si tu penses qu'en tuant Chifuyu tu t'es rattrapé, t'es complètement à côté de la plaque !
— Moi au moins je suis parti l'aider pour sauver Keisuke, alors que personne n'a réagi, même toi t'as pas bougé-
— Mais arrêtez, s'écria Senju d'une voix tremblante. Vous croyez vraiment que c'est le moment de vous disputer là ?! Ayez un peu de respect pour Kazutora, si vous en avez rien à faire de lui dégagez ! On s'en fou de qui est fautif, vous croyez que ça va le faire revenir ? Kazutora est mort et vous tout ce que vous trouvez à faire, c'est vous engueuler devant lui ?!
Rindo se tut et Mikey aussi. Senju avait raison, ils n'auraient pas dû s'emporter ici, pas devant le corps de leur ami. Et puis, au fond qu'est-ce que ça changeait de trouver le fautif ? Ça ne ferait pas revenir Kazutora...
— On est tous fautif, dit Ran avec calme. Aussi bien Mikey que Keisuke, et que toi et moi Rindo. Cette mission a été une succession de mauvais choix, et on en est tous responsable. Mais ce n'est pas nous qui avons tué Kazutora, et ça il ne faut pas qu'on l'oublie. C'est Chifuyu qui l'a tué, et même si Keisuke ne l'avait pas ramené, on l'aurait retrouvé sur l'île, parce que c'était son travail. Nos choix n'ont fait que précipiter le destin, mais ça ne sert à rien de se rejeter la faute les uns sur les autres. Maintenant tout ceux qui ont terminé de dire au revoir à Kazutora s'en vont, je pense qu'il vaut mieux laisser seul ceux qui en ont besoin.
Ran jeta un dernier regard à Rindo, comme pour s'assurer qu'il allait tenir sans lui, et finit par sortir de la pièce. Ryusei sortit à son tour, suivit de Draken. Sanzu déposa un baiser sur le front de sa sœur, puis il embrassa doucement Rindo et sortit à son tour.
— Ça va aller, demanda Mikey à l'adresse de Keisuke.
Keisuke ne répondit que par un reniflement. Il n'avait lâché Kazutora du regard que quelques secondes lors de leur dispute, mais il le regardait de nouveau, les joues brillantes de larmes. Mikey le regarda un instant avec inquiétude, puis il se pencha vers Kazutora et embrassa son front en lui murmurant un petit « au revoir », avant de s'en aller. Il ferma soigneusement la porte derrière lui, et Rindo se retrouva seul avec Keisuke et Senju. Le jeune homme essuya ses larmes d'un revers de manche et s'approcha de la table d'auscultation. C'était la dernière fois qu'il voyait Kazutora... Il ne savait pas du tout comment lui dire au revoir, aucune caresse ni baiser ne pourrait suffire... Keisuke avait repris ses caresses et continuait de le regarder avec douceur, et Senju lui tenait la main, les yeux baissés. Mais que devait faire Rindo pour lui dire définitivement au revoir... Aucun geste ne pourrait lui témoigner ce qu'il ressentait...
— Keisuke je suis désolé, murmura Rindo au bout d'un long moment de silence.
— T'as raison... Je l'ai pas protégé, et c'est de ma faute. J'aurais jamais pensé qu'un simple crush sur un policier entraînerait la mort de mon meilleur ami...
— Je voulais pas dire ça...
Keisuke secoua la tête et battit des paupières.
— Je connais Kazutora depuis que je suis tout petit. Quand on était enfant il était vraiment timide, il avait toujours peur de faire des bêtises, il était sage, et il osait pas aller vers les autres, se rappela Keisuke avec un faible sourire. Il a jamais eu beaucoup d'amis parce qu'il avait trop peur, mais moi j'ai toujours été avec lui. Avant je faisais tout pour essayer de le pousser vers les autres, et il me disait d'arrêter parce que ça le gênait... Je l'ai vu grandir, et je l'ai vu s'ouvrir aux autres. Et si vous saviez à quel point je suis fier du jeune homme qu'il est devenu...
Keisuke replaça délicatement l'une des mèches de son meilleur ami derrière son oreille. Ses yeux brillaient de perles, et pourtant ses lèvres continuaient de sourire avec détresse.
— Kazutora est mon trésor... Il est le diamant que j'ai poli au fil des années, chaque jour j'ai tout fait pour qu'il étincelle, je l'ai fait rayonner... Il est mon trésor, et il est ma fierté... Je suis fier de l'homme qu'il est devenu, et de tout ce qu'il a entrepris. Je m'en fiche que ce soit des crimes, qu'il ait tué des gens et volé des choses. J'en ai rien à faire... Tout ce que je retiens, c'est qu'il s'est ouvert. Il s'est fait des amis, il s'est laissé être heureux... Je suis fier de lui parce que le petit garçon que j'ai connu est tellement loin maintenant... Et que même s'il était un criminel, il est toujours resté fidèle à ses valeurs, et il n'a pas arrêté d'évolué. Et j'en suis fier... M-Mais... Kazutora, je veux que tu continues de briller pour moi... Je veux que tu continues d'être mon diamant... Que tu continues d'étinceler, et je veux continuer de te regarder avec des lumières dans les yeux... 
La voix de Keisuke se brisa et il se laissa tomber en avant, se couchant sur le torse de son ami avec désespoir.
— Je veux que tu continues de briller, et je veux pouvoir trouver de nouvelles raisons d'être fier de toi chaque jour... T-Tu peux pas partir, j-j'ai besoin de toi moi... T'imagines pas à quel point j'en ai b-besoin, Kazutora j'ai b-besoin de toi... S'il te plaît Kazutora me laisse p-pas... me l-laisse pas... Je veux que ton cœur batte et que tu continues de sourire, Kazutora tu peux pas partir, je veux q-que tu sois dans ma vie, s'il y a bien une personne que j-je veux c'est toi... J-Je p-pourrais échanger le monde contre ta vie, K-Kazutora je t-t'en supplie... Je sais que j'ai f-fait une erreur, m-mais je te promets que je la referais plus jamais... K-Kazutora je p-peux pas continuer sans toi... Je peux pas te laisser partir, e-et t'as pas le droit de me laisser. T'as pas le d-droit de me laisser et de partir a-avec Hanma, c-c'est pas là que tu dois être... Je veux que tu restes avec moi, je veux te voir être heureux et mourir très vieux... J-Je sais pas quoi faire sans toi, comment je suis censé avancer si toi t'es plus l-là ? Ç-Ça a pas de sens... Je t'aime, tu peux pas partir... Je peux pas... Je peux pas...
Keisuke éclata en sanglots et enfouit son visage dans le cou de son meilleur ami, sans pouvoir ajouter quoi que ce soit d'autre. Rindo aussi était incapable de parler, il pleurait tant qu'il ne pouvait plus former la moindre phrase, et son cœur était si serré qu'il ne pouvait même plus réfléchir. La douleur était trop grande pour qu'il parle. Senju aussi était en larmes, et elle ne réussissait pas à parler non plus. Il n'y avait plus rien à dire de toute évidence, parfois le silence était plus expressif que les mots. Ils restèrent alors là, à pleurer tous les trois autour du corps de Kazutora, en laissant toute leur peine se déverser. Rindo avait l'impression qu'il ne pourrait plus jamais s'arrêter de pleurer, ses larmes tombaient sur ses joues sans qu'il ne puisse les contrôler, et lui aussi finit par s'écrouler sur le corps de son ami.
Ses larmes ne séchèrent qu'au bout d'un long moment, peut-être parce qu'il était trop épuisé pour continuer de sangloter. Il ne bougea pas pour autant. Il resta agenouillé devant la table d'auscultation, sa tête posée contre celle de son ami. Lui aussi avait fini par se taire pour entrer dans une longue contemplation de son visage, tout comme Keisuke, qui avait sa tête posée sur son cœur. Tout deux le regardaient en silence, ils caressaient doucement son visage, sans le lâcher des yeux. Ils gravaient son image dans leur mémoire, en regardant chaque petit détail pour le retenir. Ce n'est qu'après une demi-heure, ou peut-être une heure, que deux bras vinrent entourer Rindo et qu'un corps s'approcha du sien. Sanzu était de retour dans la pièce. Il embrassa avec délicatesse sa joue rouge, puis il l'aida à se relever et le prit par la taille pour l'aider à sortir, tandis que Yuzuha venait récupérer Senju. Le temps des adieux pour eux était terminé à présent.
Ce soir-là, cinq nouvelles étoiles brillaient dans le ciel.

Criminel de penséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant