Chapitre 3 - Le souffle de verre

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Arkansza -

Je pensais qu'on aurait le temps de souffler entre deux épreuves mais Djakpa ne semble pas être de cet avis. Les esprits ne sont toujours pas calmés qu'on reprend déjà la cérémonie. Je suis sur les rotules, Chaknie est toujours en rogne, Slik s'est muré dans un mutisme inquiétant, Rexes semble épuisé. Seul Amanaka tient le coup. Mon arrière-grand-père nous intime de les suivre, lui et le roi aux confins de la grotte engloutie, vers l'épreuve des éléments. Nous empruntons un petit escalier dans l'autre versant du mont dont je ne connaissais pas l'existence. Celui-ci longe la paroi puis bifurque à même la roche, dans le cœur de la montagne. Nous sommes de l'autre côté du puits de lumière ou la géante a déjà disparue. Slik baisse la tête et serre les dents. Il avance d'un pas lourd devant moi, essaie d'attraper le regard du prince mais celui-ci l'ignore avec une application mesurée. Après quelques minutes de descente dans l'humidité et la pénombre nous arrivons dans la cavité centrale de la grotte engloutie : l'enceinte Astrale. Autour de nous, des cristaux phosphorescents sortent de terre de façon aléatoire, comme de la mauvaise herbe. Ils semblent être imprégnés d'une lumière similaire à celle que nous avons récoltée sur la géante. Cinq tabourets nous attendent au centre. Le plafond est si haut que je ne le vois même pas. Les Kragh sont en train de migrer tranquillement vers la grande salle où se déroulera le rite élémentaire. Leur vacarme raisonne bientôt en écho se mêlant à la clameur des Chamans qui récitent des incantations divinatoires et aux vagues qui s'éclatent contre la grotte. Cette épreuve réunit la maitrise du feu, de la terre, du vent et consiste à souffler une planète de verre en équipe. Sur le papier rien de méchant.

Les planètes de verres soufflées par les générations précédentes sont entreposées derrière les tabourets en un amas de bulles cristallines. Parmi elle, trône une planète qui domine toutes les autres. Absolument colossale. C'est celle de la génération du roi Akuyandi. Amanaka fait craquer ses doigts machinalement en l'apercevant.

- Prenez donc place jeunes maelstroms, nous intime Djakpa.

Cela fait dix minutes que la cérémonie du tatouage a commencé. Les Kragh sont étrangement silencieux. Nos tatoueurs ont raclé notre peau à l'aide d'une brosse de corail, arrachant de très fins lambeaux de chair au passage. Nous saignons en silence alors qu'ils terminent de récolter les dernières poussières d'astres sur notre corps. Rexes et Amanaka sont obligés d'avoir deux tatoueurs tant la quantité de poussière astrale est importante sur ces deux-là. La mixture est une bouillie de sang et de particules phosphorescentes qu'ils placent délicatement dans un bol en terre cuite, au pied de chacun des membres de l'équipe. Une fois la saignée effectuée, ils trempent ensuite leur aiguillon et commencent à piquer une lune vide sous la peau : une nouvelle lune. Le symbole représente notre naissance dans le monde guerrier et la première des douze lunes qui composent notre calendrier. Notre premier fait d'armes en tant que lutteur Kragh. Lorsque nous terminerons la quatrième et dernière épreuve, nous obtiendrons un croissant, la deuxième des douze. L'obtention des autres lunes viendront dans quelques années et il faut savoir que le seul Kragh à posséder les douze n'est autre que notre Roi, le colosse Akuyandi. Mon oncle en possède huit. Les lutteurs d'élites sont à dix mais ne pensons pas à ça tout de suite.

Rexes et moi avons la chance d'avoir une carapace sur laquelle se pose le tatouage, mais Slik, Amanaka et Chaknie, eux semblent dérouiller. Les tambours continuent à tonner en cadence avec les coups de burins des tatoueurs. Chaque pointe imprime une grimace sur les visages de mes trois compagnons, parfois un soupire ou un râle discret. Le sang dégouline en fine trainée vermeille qui renvoie la lumière des torches.

Lorsque chacun possède sa nouvelle lune qui scintille et dégouline, les sept tatoueurs ramènent la soufflerie pour cautériser et sceller la marque. Lorsque le verre gluant et chauffé à blanc s'approche de ma carapace, un frisson me parcoure la nuque. La pâte incandescente se colle à mon tatouage et je ressens une vague de chaleur le long de mon dos. Malgré l'odeur de tortue brulée je remercie les astres pour la coquille insensible dont je suis dotée.

[FR] Prélude | Noara : La Dernière LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant