[FR] Prélude | Noara : La Dernière Lune

Chapitre 8 - Le Mandricorne

Amanaka -

Nous sommes réveillés de bonne heure par une grosse averse. Nous empaquetons rapidement le matériel et partons déjeuner dans le campement. Les soldats ont installé une tonnelle de fortune avec une bâche et des cordes fixées aux arbres. Jensen est déjà debout et prépare une sorte de tisane noire qui dégage une odeur que je ne connais pas.

- Et voilà pour vous. Ça devrait vous sortir la tête du cul. Après vous me foutez le camp et vous allez me finir cette épreuve. Si vous repassez dans le coin et que vous avez besoin d'une nuit de sommeil avant le grand retour, vous êtes mes hôtes !

- Vous êtes sur notre chemin de retour, caporal. Et je comptais vous rapporter une griffe chacun, à toi et tes hommes, pour vous remercier de votre hospitalité. Une fois en poudre, elles vous aident à combattre le sommeil et la solitude. Je réponds sans demander l'avis du groupe car je sais qu'ils seront plus que d'accord. Hier soir était la première soirée vraiment détendue depuis le début de l'épreuve, je me dois de récompenser leurs efforts à tous.

- Alors on fait comme ça, Jeune Prince. Bottez-lui le cul. J'espère vous voir d'ici trois jours.

- Sois-en sûr. Et merci.

Nous reprenons la route, d'un pas léger, en direction de la Croisée. Celle-ci est à une bonne journée de marche plus à l'Est. Jensen nous a confié un chemin de traverse que lui et ses soldats ont déjà taillé en venant sur nos terres. La végétation ne semble pas avoir totalement repoussé et la marche est d'un calme inhabituel. La verdure de ce côté du territoire est légèrement plus claire, la teneur des sols change, nous approchons des frontières Ansom et donc de la Croisée. Slik est redevenu étrangement silencieux depuis que nous avons pris la route. Est-ce la Ligne qui l'a mis dans cet état-là ? Je ne m'en inquiète pas plus car je connais l'animal et sa polarité biscornue qui lui permet de passer d'une émotion à une autre comme une girouette au gré des vents.

L'après-midi défile et la jungle dévoile des courbes de plus en plus vallonnées. Au sommet d'une colline, nous l'apercevons enfin. Cette construction fortifiée de pierre, hissée au sommet d'un versant d'une vallée. C'est la Croisée. Elle sert de point de repère mais personne ne s'en approche vraiment car les frontières restent floues à cet endroit. Et bien que Jensen semble digne de confiance, je ne compte pas tenter le diable. Il doit sûrement y avoir, en plus des patrouilles Ansom postées aux environs, des sentinelles Adalar et peut-être même des lutteurs Kragh envoyés par mon père. Dans le doute de ce qu'on pourrait croiser dans le périmètre, j'ordonne à tout le monde de stopper la marche. Inutile d'aller plus loin car j'aperçois déjà au sud trois sommets qui forment la grande fosse des Mandricornes. Un sous-bois où les arbres sont plus espacés et où ils se retrouvent pour la période de reproduction. Durant le reste de l'année, le mâle dominant n'en bouge jamais pour garder le territoire. Il sera ici à coup sûr et nous y serons demain à midi.

- On fait une pause ici. Prenez des forces maintenant, car la prochaine fois que nous mangerons ce sera demain midi, après le combat.

- On ne devrait pas avancer plus vers la croisée afin d'être certains de ne pas louper l'endroit ? interroge Arkansza.

- Pas besoin. Regarde au sud.

Je lui pointe du doigt les sommets qui d'ici ressemblent à trois dents de verdure arrondies. Slik saute de joie sur place.

- Oh mon dieu c'est l'endroit ! Regarde, l'axolotl ! Ouvre tes mirettes, on a réussi.

Il tourne Chaknie dans la bonne direction.

- Demain, on lui fera payer l'enfer de ses derniers jours, l'anguille.

Nous dévalons la colline à toute vitesse. Excités comme des puces à l'idée d'en finir bientôt. Nous n'avons volontairement pas mangé ce matin car combattre le ventre plein peut jouer des mauvais tours. Et puis, aussi, pour ne pas empester la nourriture à cent nages à la ronde.