Chapitre 9 - Rookyn

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Amanaka -

La décharge m'a secoué. J'essuie ma hallebarde contre un arbre afin d'ôter les résidus de nerfs, tendons et quelques éclats d'os qui en constellent la lame. L'anguille est sur pied. Elle semble avoir quelques côtes cassées mais rien de sévère. Le mucus naturel que sa peau sécrète a empêché le monstre d'avoir une trop forte prise et lui a probablement sauvé la vie. Derrière moi, j'entends Chaknie s'affoler. Elle tient la tortue inanimée dans ses bras, au pied d'un gros arbre dans lequel s'est encastrée notre Chamane, après un long vol plané.

- Ark, réveille-toi ! Allez ! Bouge, merde !

La carapace est fendue en deux... la puissance du coup a dû être prodigieuse. Slik se précipite, malgré la douleur, aux côtés de l'axolotl.

- Foutue gourdasse, pourquoi est-ce que t'as pas décampé ?

- Est-ce que tu peux la réanimer ?

- J'ai plus un pet de jus, je peux rien faire pour le moment ! Si j'essaie de faire de l'électricité dans mon état, c'est moi qui peux y passer.

- Combien de temps ?

- Quinze minutes, peut-être plus !

- On n'a pas quinze minutes.

- Vous l'aurez voulu, alors ce sera mes dernières étincelles pour la tortue. Si je crève, je vais vous détester.

Slik charge son corps, ses yeux deviennent blancs et il commence à chanceler. Il va s'évanouir. Il approche son doigt tremblant du corps inanimé :

- Calme-toi, l'anguille, je ne suis pas encore morte...

La carapace tremblote et les yeux espiègles d'Arkansza s'ouvrent lentement. Elle sourit, livide.

- Elle vit, elle vit !

Slik saute dans les bras de Chaknie. On a réussi l'Axolotl ! L'épreuve est terminée ! On est officiellement des guerriers lunaires !

La joie dure un temps et la fatigue finit par nous rattraper. Nous arrachons les cornes du Mandricorne ensemble, ainsi que les griffes pour Jensen et ses hommes. Nous repartons en direction de la colline pour récupérer des provisions et accessoirement, des forces.

Notre petit groupe arrive en fin d'après-midi à l'endroit où nous avons caché les vivres. L'allure a été lente. J'ai porté la tortue sur le trajet car ses blessures sont assez sérieuses. Elle ne peut plus marcher, son genou est brisé, ainsi que ses côtes et son bras droit. Elle gardera la grande fêlure qui traverse sa carapace, à vie.

Sur les indications de notre chamane, nous avons extrait les aiguilles de sa ceinture pour nous injecter ce qu'il fallait de stimulant et d'opiacés, puis nous partons ramasser du bois et quelques fruits comestibles pour le dîner. Une fois le feu allumé, nous déballons les vivres offerts par les Ansom : d'épaisses tranches de lard de Scrof séchées et poivrées et nous débouchons un tonnelet de la réserve personnelle du caporal.

Lorsque le soleil décline au loin dans un bouquet aux couleurs de lave, nous sommes assis sur un tapis de hautes herbes et de mousse. L'alcool Ansom passe de bouche en bouche et nous laissons la douceur de la fin de journée accompagner l'ivresse, avec la certitude que pour la première fois, nous prendrons le temps de dormir. Nos muscles se détendent à mesure qu'une colonie d'étoiles envahit le ciel - « les ancêtres qui nous regardent » - et nous oublions nos blessures. Bientôt, le soir nous enveloppe et nous nous allongeons en désordre sous les ténèbres, délivrés de toutes souffrances et angoisses liées à la vie, la vieillesse et la mort. Nous sommes désormais liés par la camaraderie la plus intime et ce sentiment est une des choses pour lesquelles la vie vaut la peine d'être vécue. Nous ressassons des légendes Kragh, rions à toutes les aventures que nous avons rencontrées. Nous évoquons notre ambition commune : atteindre l'élite et obtenir le rang d'Explorateur qui nécessite l'obtention de dix Lunes sur les douze. Bien conscients que cela nous prendra des années car pour chaque Lune, la difficulté de l'épreuve qui s'y rapporte est croissante. Si une guerre ne nous envoie pas au front d'ici là...

[FR] Prélude | Noara : La Dernière LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant