5.1. Zoey

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Deux ans plus tard,

Minneapolis, Minnesota

Penchée au-dessus du lavabo, je croisai mon reflet dans le miroir. J'effleurai mes cheveux d'un blanc polaire, rappel constant de leur absence. J'essayai de sourire à cette fille fragile aux yeux tristes. S'ils me voyaient... La commissure de mes lèvres s'incurva légèrement vers le haut, maigre victoire. Promis, j'irai mieux quand Kaleb sera là, murmurai-je à l'intention de mes parents. En attendant, je fais de mon mieux. J'inspirai et terminai de me préparer.

Une serviette atterrit sur ma tête au moment de ma sortie de la salle de bain. L'impact, bien que léger, me déstabilisa. Je fis un pas de côté, à moitié aveuglée par le tissu humide et percutai le coin de la bibliothèque. Je glapis sous la douleur qui irradia dans mon coude, pareille à un coup d'électricité. Débarrassée de l'objet indésirable, je fusillais du regard la responsable. Alix grimaça, lâcha un « désolée » aigu, avant de farfouiller dans sa pochette fourre-tout. Elle dégaina un tube, telle une offrande. Je soupirai et l'attrapai avec un sourire. Alors que j'appliquai le gel sur la partie douloureuse pour calmer les élancements, ma coloc se préparait à se rendre à son deuxième travail. Elle enchaînait ainsi trois boulots en plus de ses cours à distance. Je lui enviais cette énergie et cette combativité. Pour ma part, je me contentais d'avoir la tête hors de l'eau, de quoi payer les factures et à manger me suffisait. Toutes mes passions, je les avais enfouies. La vie s'était chargée de me rappeler ma place. Je m'étais brûlée les ailes pour intégrer cette leçon. Ma tante n'en aurait pas dédit. Elle avait elle-même pratiquée cette méthode pour m'éduquer. A croire qu'il me fallait cette fois de trop pour percuter.

La bise qu'Alix me claqua sur la joue effaça ces souvenirs. Je lui souhaitai une bonne journée et la regardai disparaître dans le couloir de l'étage. Seule. Le silence m'entoura, mi-angoissant, mi-libérateur. J'oscillai entre la familiarité de cette froide solitude et la peur qui y résidait, prête à bondir sur moi.

Rencontrer Alix m'avait ouvert les yeux sur ce que la vie pouvait offrir de beau. Tout n'était pas que noirceur, égoïsme et souffrance. Je devais encore travailler sur moi-même pour y croire, vraiment. Sans Alix, je moisirai encore dans ce centre social, à moins d'avoir cédé à l'appel de la rue. Sans Alix, je serai déjà éteinte. Une main tendue inespérée, voilà ce qu'elle représentait. Elle m'avait avoué avoir discerné une force en moi. Avoir saisi cette occasion était le seul moment où j'avais eu l'impression d'être courageuse. Pour le reste...

Je jouai avec mes mèches pâles, avant de les recouvrir de ma capuche sombre, une habitude prise pour échapper à l'attention. Tête baissée, je sortis de l'immeuble. Sur le trottoir juste devant, je bloquai sur cette silhouette frêle, à demi-ensevelie sous un tas informe de tissus. Devant elle, un bonnet retourné attendait le bon plaisir des passants, entre ses bras, une guitare acoustique au bois patiné par le temps. La boule au ventre, je passai devant la musicienne des rues, les mains crispées au fond de mes poches. Déchirée entre l'envie de la regarder pour lui montrer qu'elle existait et celle plus forte de baisser les yeux pour ne pas me confronter aux souvenirs. Une lâche. Les sons mélodieux des accords tirés de son instrument me vrillèrent l'estomac. Ce manque me revenait en pleine poitrine. Cette personne déversait ses sentiments dans sa musique, chose que je lui enviais à un point inimaginable. J'accélérai l'allure, furieuse contre moi-même. Combien de fois avais-je caressé l'idée de m'acheter une guitare, même d'occasion pour renouer avec ce besoin ? Bien trop de fois. Les souvenirs du passé ne s'effaçaient pas comme par magie.

RésonanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant