Le trône des magiciens - Préquel - L'éveil des ténèbres

Chapitre 16 - Le cœur est lourd quand il souffre

« Je crois que le poids du cœur change en fonction de nos humeurs. Tantôt il est léger, tantôt il pèse si lourd que chaque pas est un effort. Nous portons le poids de nos émotions. »

Le père de Kristian Ash.

Kristian aimait passer du temps avec ses enfants. Leur insouciance le touchait, et malgré les tracas qui l'assaillaient, il espérait protéger l'innocence de Konrad, Kio et Katleen aussi longtemps que possible. Il faisait attention à ne jamais se disputer avec Victoria devant eux, et quand elle haussait la voix en leur présence, il se taisait aussitôt.

— Oh ! Des Chauds-Dorés ! s'exclama Kio en découvrant le stand et la bonne odeur des viennoiseries sorties du four.

— Tu viens d'en manger deux dans les cuisines.

Konrad reprenait souvent son jumeau. Kristian se demandait parfois s'il n'y avait pas une certaine jalousie de la part de son aîné, qui disposait de beaucoup plus de libertés. On n'attendait pas de lui qu'il reprenne un jour le flambeau familial, ou qu'il maîtrise le phénix de feu.

Kristian se remémora la scène d'entraînement dans les jardins deux jours auparavant, quand le phénix avait failli décimer sa propre famille. Il n'était pas contrôlable, Victoria devait l'entendre et cesser de tous les mettre en danger. C'était un miracle que personne n'ait été blessé cette fois-là et que le phénix ait disparu de lui-même. Si elle persistait à vouloir obtenir cette démonstration de force, un accident irréversible se produirait, il le sentait. En plus, elle avait été témoin aux premières loges des dégâts que pouvait occasionner ce pouvoir, quand ses parents étaient morts, pourquoi n'en tirait-elle pas la même leçon que lui ?

Il secoua la tête pour chasser ces pensées et sourit à Katleen qui l'observait avec attention.

— Qu'est-ce qui te ferait plaisir, ma petite abeille ?

Elle tendit un index timide vers un roulé à la cannelle, que Kristian s'empressa de lui acheter, assorti d'un Chaud-Doré pour Kio.

— Rien pour toi, Konrad ?

— Non, on a déjà mangé.

Kristian haussa les épaules en se demandant s'il avait réellement protégé l'innocence de son aîné. L'influence que Victoria exerçait sur lui prédominait en toutes circonstances.

Ils marchèrent dans les rues en dégustant leurs viennoiseries et s'arrêtèrent à plusieurs stands. Kio voulut tenter sa chance avec les pyramides de boîtes de conserve, et Konrad entra aussitôt en compétition avec lui Les deux garçons s'affrontèrent en trois rounds et Kio gagna, ce qui mit Konrad dans une humeur terrible.

— Tu as triché !

— Je n'ai pas triché, tu étais à côté, et comment est-ce qu'on triche à ce jeu ?

— Je t'ai vu, tu m'as poussé !

— Tu m'aurais senti, et nous étions à un mètre l'un de l'autre !

— Personne n'a triché, les apaisa Kristian. Kio, occupe-toi de ta sœur une minute, tu veux bien ?

Il confia Katleen aux bons soins de son frère et se baissa pour se mettre à hauteur de Konrad.

— J'étais témoin et Kio n'a pas triché.

Konrad croisa les bras sur son torse et détourna le regard avec un air boudeur.

— J'aurais dû gagner.

— On ne gagne pas à chaque fois, et ce n'est qu'un jeu. Il n'y a pas de conséquences à avoir perdu.

— Si, Kio va fanfaronner, et que va dire Maman ?

Le cœur de Kristian se serra et rata un battement. Son intuition ne le trompait pas : Victoria avait déjà planté ses griffes dans le cerveau du jeune homme. Elle le manipulait avec ses mots doux et ses ordres et le façonnait à son image.

— Si ça te fait si mal que ça de perdre à ce jeu, nous pouvons nous entraîner si tu veux ? Mais tu sais, tu ne gagneras pas à chaque fois dans la vie, Konrad. Il faut accepter la défaite, surtout si ton adversaire est plus fort que toi. Il n'y a rien de mal à perdre contre plus fort que soi.

Konrad s'éloigna en traînant les pieds au sol et en shootant dans un caillou qui osa croiser le chemin de sa chaussure. Kio et Katleen le suivirent en échangeant des messes basses sur les spectacles qui se déroulaient tout autour. L'incident leur était passé au-dessus de la tête, il n'y avait que Konrad qui ruminait encore. Kristian n'était pas doué du don d'empathie, comme sa femme, mais chaque fois qu'il voyait un de ses enfants de moins bonne humeur, il avait la sensation que son cœur s'alourdissait, comme s'il portait leurs émotions. S'il avait pu les décharger de ces sentiments négatifs, il l'aurait fait, même s'il avait conscience que ça aurait été une erreur.

Il les suivit du regard, en se demandant comment alléger la peine de Konrad, quand son œil fut attiré par une femme en robe bleue sur la droite, une Sélène à n'en pas douter. S'agissait-il d'Ariana, la fille aînée de la matriarche ? Elle avait grandi et s'était transformée en femme depuis la dernière fois qu'il l'avait vue.

Subitement, il la vit perdre l'équilibre et se précipita pour l'aider. Il rattrapa son corps en même temps que Marius Shade, et à eux deux, ils réussirent à l'allonger en douceur sur le sol.

— Que lui arrive-t-il ? demanda Kristian.

— Une vision, je pense.

La seconde suivante, Ariana hurla.