Une vie normale

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Wendy

Patrick? Mais qu’est ce qu’il fiche… merde!!! On devait dîner ensemble ce soir.

– Je descends, lancé-je dans l’interphone tout en me déshabillant en qutrième vitesse. Je fonce dans ma chambre et enfile un leggins noir et une robe couleur crème avec un joli décolleté dans le dos. Une paire de bottes montantes et une ceinture noire avec une grosse boucle dorée vient parfaire ma tenue. Je profite du miroir de l’ascenseur pour appliquer une touche de rouge à lèvres et discipliner mes cheveux châtains. Les portes s’ouvrent et je suis plutôt fiere du résultat. Lorsque j’ouvre la porte d’entrée, Ptrick me fixe de haut en bas et m’embrasse furtivement.

– Tu es très belle, Wendy, dit-il en me prenant par la taille.

– Merci Patrick, toi aussi tu es très élégant, ne puis-je m’empêcher de souligner en remarquant qu’en effet il s’est mis sur son trente et un.

Il semble apprécier le compliment et m’entraîne vers sa voiture. Il est un peu plus âgé que moi et même si, au début je l’ai séduit uniquement dans le but de retrouver mes sœurs, aujourd’hui il est devenu un peu plus que ça. J’apprécie les moments qu’on passe ensemble, mais j’aurais beau faire tous les efforts du monde, je ne pourrais rien lui offrir de plus. Pourtant, il a toutes les qualités que pourraient rechercher une femme. il est doux, gentil, attentionné, fidèle, charmant, bosseur et il ne rechigne pas à faire les tâches ménagères. Son appartement est toujours nikel, contrairement au mien.

Sur le trajet, qui nous conduit au restaurant, je l’interroge sur son travail. Autant que cette sortie puisse m’apporter quelque chose.

— On a renforcé la surveillance sur Abignair, dit-il.

Je fais mine de fouiller ma mémoire.

— Abignair ? Le milliardaire qui a perdu sa fille, c’est ça ?

Il acquiesce et poursuit :

— D’après nos sources il a affrété un navire avec à son bord des armes et des missiles.

— Pardon ? m’étranglé-je.

Alors ça, pour le coup je n’étais pas préparée !

— Oui, soit disant c’est pour faire des essais au large du Pacifique. Avec son argent, il a pu obtenir toutes les autorisations dont il avait besoin.

Je me mure dans le silence, cherchant dans le comportement de mon mécène des éléments de réponses. Tout ce que fait Abignair, c’est dans le but de retrouver sa fille alors pourquoi affréter un navire armé ? A moins que ….

Je voudrais hurler à Patrick de faire demi-tour et de me ramener chez moi. J’ai besoin de savoir, d’appeler Abignair et qu’il me fasse monter sur son bateau. S’il a trouvé, je veux en être. Malheureusement, Patrick stoppe le véhicule et presse ma cuisse légèrement.

– Wendy? Tu viens ?

Je suis sur le point de lui dire que je ne me sens pas bien, mais je m’aperçois que nous sommes devant l’un des meilleurs restaurants de Londres. Un de ceux où il faut réserver des mois et des mois en avance pour espérer y avoir une table.  Immédiatement mon alarme interne se met à sonner. Costume, chaussures cirées, restaurant haut de gamme… je calcule dans ma tête. ça fait trois ans qu’on est ensemble, est-ce qu’il voudrait me demander en mariage? Non! Non non! C’était pas du tout au programme. Patrick me regarde, les yeux pétillants et je me force à sourire. Je sors de la voiture, pas du tout rassurée. Pourtant, pour tout individu normalement constitué c’est la suite logique. Je déglutis, ne sachant comment me sortir de cette situation sans lui briser le coeur. Patrick, me prend par la main alors qu’un portier ouvre la porte du restaurant. La lumière de l’immense lustre m’éblouit tandis que Patrick se dirige vers le pupitre :

– Glowning pour 4 personnes, annonce-t-il.

Je marque un temps d’arrêt.

– 4 ?

Il se tourne vers moi, l’air gêné, ce qui n’augure rien de bon.

– J’ai pensé que ce serait une bonne idée, Wendy. Après tout ça fait trois ans qu’on est ensemble.

– Qu’est-ce qui serait une bonne idée ? demandé-je avec la sensation d’être piégée.

– Chéri!!! On est là! s’exclamme une voix en agitant la main.

Je tourne machinalement la tête et avise une femme replète avec les cheveux bruns et les mêmes yeux que Patrick. A ses côtés, un homme à l’air sévère la réprimande en la forçant à se rasseoir. La ressemblance entre eux et Patrick est évidente.

– Tes parents. Tu veux me faire rencontrer tes parents.

– Eh bien oui, tu es importante pour moi Wendy et je veux qu’ils voient la merveilleuse personne qui partage ma vie.

Il y a tant d’amour dans son regard que je finis par accepter. Pour une soirée, je pourrais jouer le jeu. Il ne mérite pas que je le plante en plein restaurant alors qu’il a fait venir ses parents exprès pour moi. Une infime partie de moi, aimerait se laisser aller, construire quelque chose, avancer, mais tout le reste de ma personne est tournée vers le passé. Vers mes sœurs et je ne pourrais pas être heureuse tant que je n’aurais pas mes réponses.

Le repas est une torture qui s’éternise. Moi qui pensais que nous serions rentrés pour 22h, nous attaquons à peine le dessert. La mère de Patrick est française, très exubérante et pleine de vie. le genre de personne que tout le monde adore, mais qui me tape sur les nerfs. Très curieuse, elle semble vouloir tout savoir de ma vie et planifie déjà notre avenir à Patrick et moi. Je souris, je réponds, mais mon esprit est resté à la maison avec Jimmy Barrie et ses secrets. Les dessins du pays imaginaire et de ses occupants m’appellent, surtout celui d’un séduisant capitaine. Son regard brûlant me hante et je n’ai qu’à fermer les yeux pour rappeler son portrait à moi. J’ai mémorisé chaque trait, de la mince cicatrice de sa lèvre, aux quelques rides d’expression au coin de ses yeux. Cet homme que je ne connais qu’au travers du conte pour enfant s’est incrusté en moi.

— Vous devriez songer à acheter avant que les prix flambent. J’ai vu de ravissantes petites maisons en banlieue. Mon amie Barbara tient une agence immobilière, elle m’a parlé d’un quartier qui est en train de monter et qui possède une ravissante petite écolé à côté d’un parc. Ce serait idéal pour mes futurs petits enfants.
Ses derniers mots parviennent à percer le mur de mes pensées et je m’étrangle, tandis que Patrick passe une main réconfortante dans mon dos.

— Les enfants ne sont pas au programme, dit-il.

— Mais pourquoi  donc ? ça fait trois ans que vous êtes ensemble, vous devez forcément y penser non ?

— Maman, la rabroue-t-il gentiment, Wendy n’est pas encore prête. Elle a vécu des choses difficiles.

Elle fronce les sourcils et semble soudain se souvenir de quelque chose. Elle pose sa main sur la mienne et reprend :

— Ma chérie, la mort de vos sœurs est certes dramatique, mais ce n’est pas pour autant qu’il  faut punir mon Patrick.

Je me tétanise. Je ne sais pas ce qui me choque le plus, l’injonction que quand on est en couple on doit forcément faire des gosses  derrière, le fait que mon refus d’en avoir soit assimilé à une punition envers l’homme que je suis censée aimer ou bien que Patrick se permette de raconter mon passif à sa mère.

— Maman, on avait dit que tu ne parlerais pas de ça ! s’agace Patrick, sentant ma colère affleurer.

— Oui Mary, tiens toi un peu. Excusez-là Mademoiselle, c’est son côté français qui ressort.

Le père de Patrick, lui lance un regard sévère et immédiatement Mary se renfrogne.

— Excuse-moi de penser au bonheur de notre fils.

— Et mon bonheur à moi, vous y songez ? M’énervé-je en haussant légèrement le ton.

Elle me fixe interloquée, surprise sans doute que les enfants ne soient pas ma définition du bonheur.

— Wendy, laisse tomber, murmure Patrick.

Je m’apprête à rétorquer quand une douleur familière à la poitrine me surprend. Je prétexte un besoin pressant pour quitter la table. Je connais cette douleur. C’est le signe. Le signe qu’un autre enlèvement va bientôt se produire d’ici 48 heures, 72 heures maximum.  Assise sur la cuvette d’un WC, je masse la marque qu’a laissée la Stryge lorsque j’ai voulu m’interposer et l’empêcher d’emmener mes sœurs. Ce monstre m’a repoussé et ses griffes se sont enfoncées en moi, y laissant une marque que j’ai tenté de cacher plus tard par un tatouage, ne supportant plus de voir cette cicatrice, preuve que j’avais échoué.  Je dois rentrer, appeler Abignair. Je sors de ma cachette et me dirige droit vers la table où le dessert vient d’être servi. Me moquant bien de paraître impolie, je récupère mon blouson et l’enfile :

— Je dois rentrer. John m’a envoyé un mail, je dois reprendre mon dernier article.

— Ce soir ? ça ne peut pas attendre demain ? s’agace Patrick.

— Non, ça ne peut attendre. Il ne manque que mon article pour lancer l’impression et là tout est bloqué, je me tourne ensuite vers ses parents, Madame et Monsieur Glowing ce fût un plaisir. Je vous souhaite une bonne soirée.

Je n’entends pas leur réponse, marchant à vive allure vers la sortie. Le vent froid me cingle le visage. Merde, j’ai pas pris mon écharpe. Je m’avance vers le bord du trottoir, prête à héler un taxi, mais n’en voit pas. Je sors mon portable pour commander un uber, mais Patrick agite ses clés devant mon nez.

— Je te ramène.

Son ton d’ordinaire chaleureux est teinté de lassitude. Je lui fais du mal et il ne mérite pas ça. Je me déteste.
Nous roulons dans un silence de plomb et je n’ai pas les mots pour le rompre. Que pourrais-je dire ? Désolée d’avoir fait mauvaise impression à ta famille ? Désolée d’avoir même carrément zappé que nous devions dîner ensemble ? Désolée d’avoir tailler une pipe à un autre mec cet après-midi ? Je suis abominable. Les larmes montent doucement. Il ne mérite vraiment pas ça. Il métrite une femme qui l’aime à 200%, qui rêve de vivre avec lui, qui lui offre les trois bambins dont il rêve et le golden retriever qui court dans le jardin d’une jolie maison en banlieue.

— Wendy, écoute, commence-t-il.
Je prends une inspiration avant de me tourner vers lui.

— Je… je sais que j’aurais du te prévenir pour mes parents. Te prendre au dépourvu ce n’était pas cool.

Je rêve où il s’excuse .

— C’était une idée de ma psy. Elle pensait que je devais prendre les devants et t’inclure dans ma famille. Que te sentir entourée, te ferait du bien, que ce serait un pas de plus dans notre relation.

— Ta psy ? Tu vois une psy ?

Il hoche la tête.

— C’est obligatoire dans mon travail. Les affaires criminelles qui touchent les enfants peuvent laisser des traumatismes aux agents.

Oui, c’est logique. J’en ai vu une aussi quand j’étais môme. Elle a conclu que tout était le fruit de mon imagination. Que la femme aux doigts crochus était un mécanisme de protection de mon cerveau. On a même tenté l’hypnose, mais ma version n’a jamais dévié d’un iota. Mes parents espéraient qu’en grandissant, j’y verrais plus clair et que je serais en mesure de donner un signalement plus précis du kidnappeur, mais ça n’a pas été le cas. Dès lors, ils ne m’ont plus jamais regardé comme avant. Pour eux, je fais obstacle à la justice et c’est à cause de moi si on ne peut pas mettre la main sur ce criminel, si me sœurs sont demeurées introuvables.

— Bref, je lui parle de mon équilibre et de ma relation avec toi parce que c’est important pour moi. Je sais que tu ne t’intéresse à moi que pour le lien que je représente avec ta sœur, mais j’ai l’espoir qu’il y ait plus que ça. Que tu tiens quand même à moi ?

— Bien sûr Patrick ! Tu comptes pour moi.

C’est vrai, je ne mens pas vraiment. Je me suis attachée à lui et il fait partie de ma vie. Peut-être pas comme il l’aimerait, mais je suis au maximum de mes capacités.

— Pourtant, ce soir encore tu m’as démontré le contraire.

— Pardon ?

— Wendy, regarde-moi. Quel est le métier de ma mère.

Je me mords la lèvre et lâche peu sûre de moi.

— Docteur ?

Il soupire.

— Pharmacienne.

— Tu chipotes, on est quand même dans le domaine médical, je rétorque de pure mauvaise foi.

— Et comment elle a rencontré mon père ?

Je buggue et fouille ma mémoire. Elle a parlé d’un voyage, il me semble.

— Lors d’un voyage organisé pour l’Amérique.

Nouveau soupir de sa part.

— Elle a passé trente minutes à te parler de son séjour à Jaipur en Inde. Tu n’as pas écouté un traitre mot de tout le repas, Wendy. Tu étais ailleurs. Avec Abignair, c’est ça.

Je sursaute et plante mon regard dans le sien. Que sait-il ? Pourquoi me parle-t-il de lui ? Son regard est désormais plus sombre, plus vif.

— Tu pensais vraiment que je ne savais pas Wendy ? Je suis un agent affecté à une unité spéciale. Je ne suis pas un guignol. J’ai toujours su qui tu étais, avant même que tu me racontes ton passif. J’ai étudié chaque dossier, de chacune des victimes de ce taré. Je connais les noms et prénoms de chaque membre de leur famille. Je sais pertinemment que quand tu viens chez moi, tu furètes sur mon PC à la recherche des derniers éléments.

Je me statufie. Durant toutes ses années, il m’a manipulée. Je n’ai vu que ce qu’il voulait bien me montrer. Je découvre Patrick sous un nouveau jour et je me sens d’autant plus minable.

— Pourquoi m’avoir laissée faire ? je demande.

— Parce que je suis tombée amoureux de toi, parce que je pensais que tu avais besoin de voir par toi-même qu’on n’abandonnait pas, qu’on poursuivait les recherches, je pensais que ça te faisais du bien, mais…. Mais je me suis trompé. Tu t’enfonces chaque fois un peu plus, t’acoquinant même avec Abignair.

Je suis estomaquée par la précision de ses renseignements.

— Eh oui, ça aussi je le sais. Tes sois disant reportages à l’autre bout du monde alors qu’en réalité tu pars interroger les familles de ceux qui ont disparu tout ça financé par Abignair. Mais ça doit s’arrêter Wendy. Abignair a les moyens de s’en sortir, pas toi.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ose me dire que tu ne crèves pas de l’appeler pour lui parler de ce navire qu’il envoie dans le Pacifique ?

Mon silence me trahit et il enchaîne :

— Merde Wendy. C’est un navire avec des armes, si tu te fais choper dessus, tu iras en taule. Abignair a beau avoir tout prévu, si ca tourne mal il aura besoin d’un bouc émissaire et quoi de mieux qu’une jeune fille fragile, obsedée par la disparition de ses sœurs ?

Je ne réponds pas, méditant ses paroles. Il se gare non loin de mon immeuble et coupe le moteur.

— Wendy, je ne voulais pas en arriver là, mais je n’ai pas le choix. Je suis fou de toi, mais je ne peux plus continuer comme ça. Je suis prêt à t’aimer, à t’offrir une vie heureuse, mais tu dois tourner la page, arrêter de pourchasser une chimère. Je t’aiderai, ma psy peut t’aider aussi. Normalement, elle ne prend pas les civils, mais elle est prête à faire une exception.

— Et si je refuse ?

Il exhale un long soupir avant de répondre :

— Nous ne nous verrons plus. J’arrête et je jette l’éponge, même si je dois en souffrir.

Il sort de sa poche un écrin de velours. A l’intérieur, un anneau surmonté d’un petit diamant.

— J’ai cette bague depuis deux ans, Wendy. J’attends le bon moment depuis tout ce temps, ce moment où tu accepterais de me laisser faire pleinement parti de ma vie. Mais il n’est jamais arrivé. Je ne te demande pas de m’épouser, ni maintenant, ni dans six mois. Tu n’es pas prête et ça aussi je suis prêt à l’accepter. Je te laisse trois jours, Wendy. Dans trois jours je t’attendrais là où on s’est rencontré la première fois. Si tu viens, tu acceptes de laisser Peter Pan derrière toi et d’avancer, avec moi, si tu ne viens pas, je te souhaite d’être heureuse.

Il referme l’écrin qu’il me tend avec un sourire triste.

— Si jamais tu ne viens pas, garde-là.

Je ne sais pas quoi dire, alors je prends la petite boite que je glisse dans mon sac. Je sors ensuite du véhicule en lui promettant de réfléchir à ce qu’il vient de me dire et je regagne mon appartement, le moral dans les chaussettes.

Hook & WendyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant